Tribunal judiciaire de Évry, le 17 juin 2025, n°25/00406

Le Tribunal judiciaire d’Evry, juge des référés, par ordonnance du 17 juin 2025, se prononce sur l’extension à un tiers des opérations d’expertise décidées au visa de l’article 145 du code de procédure civile. Une expertise avait été ordonnée le 26 avril 2024. Le demandeur, maître d’ouvrage, a ultérieurement assigné un intervenant contractuel au lot de démolition, afin de rendre l’expertise commune et opposable. La défenderesse a comparu en personne à l’audience du 20 mai 2025, sans constituer avocat ni solliciter de renvoi. Le litige porte sur la possibilité, avant tout procès au fond, d’associer un tiers intéressé à une mesure d’instruction déjà en cours, dès lors qu’un motif légitime est caractérisé.

Le texte applicable est rappelé en des termes clairs : « Selon l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. » Le juge précise encore la grille d’analyse probatoire en affirmant que « Justifie d’un motif légitime au sens de ce texte la partie qui démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. » Constatant l’intervention du tiers dans le marché de démolition, l’ordonnance déclare l’expertise commune et opposable, organise la convocation, prescrit la communication des pièces déjà versées, fixe une provision complémentaire et assortit la mesure d’une caducité en cas de défaut de consignation. La conclusion est nette : « Il sera donc fait droit à la demande, aux frais avancés du demandeur, dans les termes du dispositif ci-dessous. »

I. Les conditions d’extension des opérations d’expertise au titre de l’article 145

A. La consistance du « motif légitime » précontentieux

Le juge des référés retient un critère probatoire intermédiaire, fondé sur la vraisemblance de faits utiles à un litige possible, et non sur une démonstration au fond. L’ordonnance s’inscrit dans la finalité conservatoire de l’article 145, qui impose une utilité objectivement appréciée de la mesure sollicitée. L’affirmation selon laquelle « les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé » souligne l’ouverture subjective du dispositif, dès lors que l’intérêt à agir est établi.

La qualité d’intervenant direct au marché de démolition suffit, en l’espèce, à caractériser l’utilité de l’extension. La pertinence s’apprécie par le lien technique et contractuel entre la mesure et le tiers visé. Le juge retient une probabilité de faits litigieux liée à l’exécution du lot, ce qui confère à l’extension un objet probatoire immédiat et non exploratoire. La motivation demeure brève, mais elle recoupe les exigences habituelles de plausibilité et de rattachement aux faits déterminants.

B. L’articulation avec une expertise déjà ordonnée

L’extension ne crée pas une seconde mesure concurrente ; elle fait entrer le tiers dans le périmètre contradictoire de la mesure en cours. La solution choisie assure l’unité des opérations, évite les redondances et garantit l’égalité d’information de tous les intéressés. La convocation du tiers à la prochaine réunion et la communication des pièces déjà produites assurent un contradictoire effectif sans recommencer toute la procédure technique.

L’ajout d’un délai supplémentaire pour le dépôt du rapport et l’exigence d’une provision complémentaire témoignent d’une gestion procédurale proportionnée. La sanction de caducité en cas de défaut de consignation protège le bon déroulement des opérations, tout en rappelant que la charge des frais provisoires pèse sur le demandeur de la mesure.

II. La valeur et la portée de la décision

A. Une motivation sobre, un contrôle de proportionnalité implicite

La décision retient la définition fonctionnelle du motif légitime, en insistant sur la probabilité et l’utilité probatoire, sans trancher la responsabilité. Ce choix préserve la neutralité de la mesure et respecte la frontière entre instruction et jugement. La brièveté de la motivation s’explique par la nature de l’ordonnance de référé, qui privilégie l’efficacité et la clarté des conditions légales.

Le contradictoire est ménagé par la comparution de la défenderesse et par les modalités imposées à l’expert. L’équilibre des intérêts ressort de la combinaison entre information, participation, et charge provisoire des frais. Le dispositif, strict quant aux délais et consignations, assure une discipline procédurale adaptée à l’urgence technique et au calendrier de l’expertise.

B. Les incidences pratiques sur la conduite des expertises en matière de construction

L’ordonnance conforte une pratique éprouvée des référés précontentieux en matière de construction, consistant à étendre l’expertise aux intervenants utiles à la manifestation de la vérité technique. Le schéma favorise la centralisation des investigations, limite le risque de rapports divergents et réduit les coûts procéduraux ultérieurs. L’information du tiers dès la prochaine réunion simplifie l’expression de ses observations et la production de ses pièces.

La portée normative demeure d’espèce, mais le rappel de la formule probatoire renforce un standard opératoire clair. L’office du juge se concentre sur la plausibilité de faits litigieux et l’utilité de la mesure, sans excéder le cadre de l’article 145. La solution retenue, articulant extension, contradictoire et maîtrise des délais, fournit un guide opérationnel aux praticiens confrontés aux litiges techniques naissants.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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