Tribunal judiciaire de Évry, le 19 juin 2025, n°25/01640

Le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Évry le 19 juin 2025 illustre les difficultés que soulève le règlement d’une succession comportant un bien immobilier indivis lorsque les héritiers, nombreux et dispersés, ne parviennent pas à s’entendre spontanément. En l’espèce, une personne décédée en 1998 avait laissé pour seul actif notable un appartement situé à Montreuil. L’absence de postérité et la présence exclusive de collatéraux domiciliés en Italie ont conduit à la désignation d’un mandataire successoral par jugement du 10 juin 2024. Ce mandataire sollicitait l’autorisation de vendre le bien de gré à gré à un prix minimal de 100 000 euros, avec possibilité de réduction à 90 000 euros, ainsi que la prorogation de sa mission pour douze mois supplémentaires.

Les faits procéduraux révèlent une succession ouverte depuis plus de vingt-cinq ans. L’acte de notoriété initial date du 6 mai 2008, un second ayant été dressé le 1er juillet 2011 pour tenir compte des décès intervenus parmi les héritiers originels. La dévolution successorale, établie par un généalogiste, fait apparaître dix ayants droit répartis entre frères, sœurs, neveux, nièces et leurs descendants respectifs. Les défendeurs, tous assignés selon les formalités du règlement européen 2020/1784, n’ont pas comparu à l’audience. Certains ont néanmoins fait connaître par correspondance qu’ils ne s’opposaient pas aux demandes du mandataire.

La question de droit principale consistait à déterminer si les conditions de l’article 815-6 du code civil, relatives aux mesures urgentes dans l’intérêt commun des indivisaires, étaient réunies pour autoriser une vente de gré à gré par le mandataire successoral. Le tribunal répond par l’affirmative et accorde l’ensemble des autorisations sollicitées.

L’examen de cette décision conduit à analyser successivement les conditions d’autorisation de la vente d’un bien indivis par le mandataire successoral (I), puis le régime de prorogation de la mission de ce dernier (II).

I. Les conditions d’autorisation de la vente d’un bien indivis

L’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis suppose la réunion de deux conditions cumulatives que le tribunal vérifie avec rigueur (A), avant d’en encadrer les modalités pratiques (B).

A. La double exigence d’urgence et d’intérêt commun

Le tribunal fonde sa décision sur l’article 815-6 du code civil qui permet au président du tribunal judiciaire de « prescrire ou autoriser toutes mesures urgentes que requiert l’intérêt commun ». La juridiction rappelle qu’elle dispose du pouvoir d’autoriser un indivisaire, ou en l’occurrence un mandataire successoral, à conclure seul un acte de vente « pourvu qu’une telle mesure soit justifiée par l’urgence et l’intérêt commun ».

L’urgence résulte implicitement de la durée anormale de la succession, ouverte depuis 1998. Le bien génère des charges qui grèvent l’actif successoral sans profit pour quiconque. Le tribunal relève que « la majorité des indivisaires s’accordent sur la nécessité de vendre ce bien immobilier qui génère des charges ». Cette formulation traduit une conception pragmatique de l’urgence, entendue non comme un péril imminent mais comme une situation préjudiciable appelant une mesure de sauvegarde.

L’intérêt commun se déduit de la convergence des positions exprimées par les héritiers ayant répondu. Aucune opposition n’a été formulée, plusieurs ayants droit ayant même expressément approuvé la vente. Le tribunal en conclut qu’il « est dès lors dans l’intérêt des indivisaires d’autoriser » la cession. Cette motivation succincte traduit l’absence de difficulté sérieuse : l’unanimité de fait dispense d’une démonstration approfondie.

B. L’encadrement des conditions de prix

Le tribunal accorde l’autorisation de vendre au prix minimal de 100 000 euros net vendeur, conformément à la demande. Il accepte également la possibilité d’une réduction à 90 000 euros, mais l’assortit d’une condition temporelle : cette baisse ne pourra intervenir que « dans l’hypothèse où la vente du bien n’interviendrait pas dans un délai de 90 jours suivant la signature du premier mandat de vente ».

Cette précision témoigne du souci de « fixer un prix plancher afin de protéger l’ensemble des indivisaires ». Le tribunal refuse ainsi de donner carte blanche au mandataire. La dégressivité du prix est encadrée par un délai qui permet de tester le marché avant d’envisager une décote. Les estimations produites situaient la valeur du bien entre 90 000 et 117 500 euros dans le contexte immobilier actuel, contre 130 000 à 136 000 euros en 2021. Le prix plancher de 90 000 euros correspond donc à la fourchette basse des évaluations, ce qui garantit que la vente ne se fera pas à vil prix.

II. Le régime de prorogation de la mission du mandataire successoral

La prorogation de la mission répond à une logique d’achèvement de la liquidation successorale (A) et s’accompagne de mesures financières destinées à en assurer l’effectivité (B).

A. La justification de la prorogation par l’inachèvement de la mission

Le tribunal se fonde sur l’article 813-9 du code civil qui prévoit que le jugement désignant le mandataire successoral « fixe la durée de sa mission ainsi que sa rémunération » et qu’il peut « la proroger pour une durée qu’il détermine ». La mission cesse de plein droit par convention d’indivision, signature de l’acte de partage ou constat judiciaire de son exécution complète.

En l’espèce, le tribunal relève que « la succession n’est pas réglée et que le mandataire successoral n’a pu à ce jour exécuter pleinement sa mission ». Il énumère les tâches restant à accomplir : administrer le bien dans l’attente de sa vente, affecter le prix au règlement des dettes et droits de succession, déposer la déclaration de succession et régler la succession au profit des héritiers. Cette énumération détaillée justifie objectivement la nécessité de maintenir le mandataire en fonction.

La prorogation est accordée pour douze mois à compter du 10 juin 2025, soit la date d’expiration de la mission initiale. Cette durée paraît raisonnable au regard des actes à accomplir, la vente immobilière constituant le préalable nécessaire à la clôture définitive des opérations.

B. Le financement de la mission prorogée

Le tribunal fixe à 1 500 euros la provision complémentaire à valoir sur la rémunération du mandataire successoral. Cette somme est mise à la charge de la succession, ce qui signifie concrètement qu’elle devra être avancée par les indivisaires.

Le jugement précise les modalités de contribution en rappelant l’article 870 du code civil : « les cohéritiers contribuent entre eux au paiement des dettes et charges de la succession, chacun dans la proportion de ce qu’il y prend ». Cette référence textuelle anticipe les difficultés de recouvrement inhérentes à une indivision éclatée entre dix héritiers domiciliés à l’étranger. Le tribunal admet que la somme soit avancée en totalité par certains indivisaires « à défaut de versement par certaines d’entre elles », tout en rappelant qu’in fine chacun supportera sa propre part.

Les dépens de l’instance sont également mis à la charge de la succession, solution classique en l’absence d’opposition. Le jugement rappelle enfin son caractère exécutoire de droit à titre provisoire conformément aux articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile, ce qui permet au mandataire d’entreprendre immédiatement les démarches de vente sans attendre l’expiration des délais de recours.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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