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La responsabilité indéfinie des associés de société civile à l’égard des créanciers sociaux constitue un mécanisme protecteur dont la mise en œuvre obéit à des conditions strictes. L’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes le 20 juin 2025 en offre une illustration significative, en permettant à un créancier d’obtenir une provision contre un associé de société civile immobilière placée en liquidation judiciaire.
Une société avait réalisé des travaux de couverture et d’étanchéité pour le compte d’une société civile immobilière, laquelle était restée redevable d’une somme de 320 920 euros. La créance avait été fixée au passif de la procédure collective de la société civile par jugement du 24 novembre 2023. Face à l’impossibilité de recouvrer sa créance auprès de la société débitrice, le créancier a assigné en référé l’associé quasi-unique, détenteur de 99,99 % du capital social, aux fins d’obtenir le paiement de la dette sociale sur le fondement de l’article 1857 du code civil.
Le défendeur, assigné selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile, n’a pas comparu. Le juge des référés a ordonné une réouverture des débats pour permettre au demandeur de justifier de la répartition du capital social. À l’audience du 27 mai 2025, les statuts mis à jour ont été produits, établissant que l’associé défaillant détenait 26 415 parts sur 26 416.
La question posée au juge des référés était de déterminer si un créancier social peut obtenir en référé une provision contre l’associé d’une société civile en liquidation judiciaire, et dans quelle mesure la déclaration de créance à la procédure collective dispense ce créancier d’établir l’insuffisance du patrimoine social.
Le juge des référés a fait droit à la demande en condamnant l’associé au paiement d’une provision de 322 907,77 euros, correspondant à la dette sociale dans la limite de sa participation au capital. Il a retenu que la déclaration de créance à la procédure collective dispensait le créancier de prouver l’insuffisance du patrimoine social et que l’obligation de l’associé ne se heurtait à aucune contestation sérieuse.
Cette ordonnance mérite attention en ce qu’elle précise les conditions d’engagement de la responsabilité de l’associé de société civile (I), tout en illustrant l’office du juge des référés confronté à une telle demande (II).
I. Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’associé de société civile
Le juge des référés rappelle avec précision le régime de la responsabilité des associés de société civile (A), avant d’appliquer les assouplissements jurisprudentiels relatifs à la preuve des vaines poursuites (B).
A. Le caractère conjoint et proportionnel de la responsabilité
L’article 1857 du code civil institue une responsabilité indéfinie mais conjointe des associés de société civile. Chaque associé répond des dettes sociales « à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ». Le juge des référés rappelle qu’« il résulte du caractère seulement conjoint de la responsabilité des associés d’une société civile que les créanciers d’une société civile ne peuvent agir pour le tout contre l’un de ses associés déterminés, chaque associé ne pouvant être poursuivi qu’à hauteur de la fraction de capital qu’il détient dans la société ».
Cette règle distingue fondamentalement la société civile des sociétés de personnes à responsabilité solidaire. Le créancier doit identifier précisément la quote-part de chaque associé et ne peut réclamer à l’un d’entre eux que la fraction correspondante de la dette. L’ordonnance procède à un calcul minutieux : l’associé détenant 26 415 parts sur 26 416 représente 99,9962121 % du capital, ce qui limite sa responsabilité à 322 907,77 euros sur une dette totale de 322 920 euros.
Cette exigence de proportionnalité explique la réouverture des débats ordonnée le 11 avril 2025. Le juge a requis la production des statuts dans leur dernière version pour vérifier la répartition exacte du capital social. La rigueur de ce contrôle témoigne de l’importance accordée au respect du caractère conjoint de l’obligation.
B. L’assouplissement de la condition des vaines poursuites préalables
L’article 1858 du code civil subordonne l’action contre les associés à des poursuites préalables et vaines contre la société. Le juge des référés rappelle que « l’inefficacité des poursuites contre la société doit, à peine d’irrecevabilité de l’action en paiement, être constatée préalablement à l’engagement des poursuites contre les associés », citant l’arrêt de la chambre commerciale du 27 septembre 2005.
Toutefois, l’ordonnance applique l’assouplissement jurisprudentiel consacré par l’arrêt du 20 mars 2019 : « dans les sociétés civiles en liquidation judiciaire, il est désormais de principe que la déclaration de la créance à la procédure dispense le créancier d’établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser ». Le juge retient que « la SARL TREBISOL ayant déclaré sa créance à la procédure collective de la SCI CONDORCET, elle justifie de vaines poursuites à l’égard de cette dernière, sans qu’elle n’ait à établir que le patrimoine social est insuffisant pour la désintéresser ».
Cette solution répond à une logique pragmatique. L’ouverture d’une liquidation judiciaire révèle par elle-même l’impossibilité pour la société de faire face à son passif. Exiger du créancier qu’il démontre en sus l’insuffisance du patrimoine social reviendrait à lui imposer une preuve superfétatoire. La déclaration de créance vaut donc présomption de vaines poursuites.
II. L’office du juge des référés en matière de responsabilité des associés
Le juge des référés adapte sa saisine aux exigences du référé-provision (A) et procède à un contrôle rigoureux de l’absence de contestation sérieuse (B).
A. La requalification de la demande en provision
Le demandeur avait formulé une demande de « condamnation » à une somme de 322 920 euros, sans la qualifier de provision. Le juge des référés relève cette anomalie : « il sera constaté que la société TREBISOL formule une demande de condamnation de Monsieur [W] [B] à une somme non provisionnelle de 322.920 euros alors que le juge des référés ne peut prononcer de condamnation au fond ».
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile ne permet au président du tribunal judiciaire d’accorder qu’une « provision » lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge des référés est « le juge de l’évidence » dont les pouvoirs sont « limités par le caractère provisoire des mesures qu’il peut prendre ». Une condamnation définitive excéderait ses pouvoirs.
Le juge procède néanmoins à une interprétation favorable de la demande : « dans la mesure où la société TREBISOL fonde sa demande sur l’article 835 alinéa 2 du code de procédure, celle-ci sera interprétée comme une demande de provision ». Cette requalification illustre le principe selon lequel le juge n’est pas tenu par la dénomination donnée par les parties à leurs prétentions. Elle permet d’éviter un rejet pour excès de pouvoir tout en respectant les limites de la compétence du juge des référés.
B. L’appréciation de l’absence de contestation sérieuse
Le juge des référés vérifie que « l’obligation de Monsieur [W] [B] de payer à la SARL TREBISOL la somme de 322 907,77 euros […] ne se heurte ainsi à aucune contestation sérieuse ». Cette appréciation repose sur plusieurs éléments convergents.
Le titre du créancier est établi par le jugement du 24 novembre 2023 qui a fixé la créance au passif de la procédure collective. Ce jugement, signifié et devenu définitif, constitue un « titre incontestable » au sens de la jurisprudence. Le caractère social de la dette résulte de la nature même de la créance, née de travaux réalisés pour le compte de la société civile immobilière.
La qualité d’associé du défendeur et sa quote-part dans le capital sont établies par les statuts et l’extrait KBIS produits aux débats. Le défaut de comparution du défendeur, qui n’a soulevé aucune contestation, conforte l’évidence de l’obligation. Le juge applique l’article 472 du code de procédure civile selon lequel il « ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée », mais l’absence de contestation ne dispense pas le créancier de sa charge probatoire.
Cette ordonnance confirme que le mécanisme de l’article 1857 du code civil peut être efficacement mis en œuvre par la voie du référé-provision lorsque la société débitrice est en liquidation judiciaire. Elle rappelle aux associés de sociétés civiles que leur responsabilité indéfinie n’est pas théorique et que la déclaration de créance par un créancier social ouvre la voie à des poursuites directes, sans attendre la clôture de la procédure collective.