- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Le droit à réparation des victimes d’accidents de la circulation soulève des questions probatoires spécifiques. La mesure d’expertise médicale constitue un préalable indispensable à l’évaluation du préjudice corporel. Elle permet d’établir les éléments nécessaires à la liquidation des différents postes de préjudice selon la nomenclature consacrée.
En l’espèce, un jeune homme a été victime d’un accident de la circulation dans la nuit du 03 au 04 mars 2024, alors qu’il était passager d’un véhicule automobile. Il a subi une fracture de la paroi postérieure avec enfoncement cartilagineux articulaire, nécessitant une intervention chirurgicale réalisée le 15 mars 2024 consistant en une réduction et ostéosynthèse par plaque. Les suites opératoires ont comporté un arrêt d’appui de 45 jours et des séances de kinésithérapie. L’assureur de la conductrice a versé spontanément deux indemnités provisionnelles pour un montant total de 5 000 euros et a fait réaliser une expertise amiable.
La victime a assigné en référé la conductrice, son assureur et la caisse primaire d’assurance maladie devant le tribunal judiciaire de Foix aux fins d’obtenir une expertise judiciaire et une provision complémentaire de 15 000 euros. Les défendeurs ne se sont pas opposés à la mesure d’expertise mais ont sollicité la limitation de la provision à 2 000 euros. Par ordonnance du 17 juin 2025, le juge des référés du tribunal judiciaire de Foix a ordonné l’expertise médicale et condamné l’assureur à verser une provision complémentaire de 4 000 euros.
Il convenait dès lors de déterminer si les conditions du référé probatoire étaient réunies et dans quelle mesure une provision pouvait être allouée à la victime d’un accident de la circulation avant même la consolidation de son état.
Le juge des référés a considéré que le motif légitime de l’article 145 du code de procédure civile était établi et que l’obligation de l’assureur n’était pas sérieusement contestable au sens de l’article 835 alinéa 2 du même code.
Cette décision illustre l’articulation entre le référé probatoire et le régime d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation (I), tout en révélant les limites du pouvoir d’appréciation du juge des référés en matière de provision (II).
I. Le référé probatoire au service de l’indemnisation des victimes de la route
Le juge des référés fait application de l’article 145 du code de procédure civile dans un contexte où la responsabilité du conducteur n’est pas contestée (A), ce qui confère à la mesure d’instruction une utilité particulière dans la perspective du procès au fond (B).
A. L’admission d’un motif légitime en présence d’une responsabilité non contestée
L’article 145 du code de procédure civile permet d’ordonner des mesures d’instruction avant tout procès lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le juge des référés rappelle que ce texte constitue « un texte autonome auquel les conditions habituelles du référé ne sont pas applicables ». Il précise que la demande « n’est ainsi pas soumise à la condition d’urgence ou à la condition d’absence de contestation sérieuse ».
L’ordonnance énonce les critères du motif légitime. Celui-ci suppose « un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés ». Le demandeur n’a pas à démontrer l’existence des faits invoqués. Il doit néanmoins « justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec ».
En l’espèce, la particularité réside dans l’absence de toute contestation de la responsabilité. Les défendeurs ont expressément indiqué ne pas s’opposer à la mesure d’expertise. L’assureur a d’ailleurs pris l’initiative de faire réaliser une expertise amiable et de verser des provisions. Cette attitude révèle que le litige porte exclusivement sur l’évaluation du préjudice et non sur le principe même du droit à indemnisation.
Le régime de la loi du 5 juillet 1985 explique cette situation. Ce texte instaure un droit à indemnisation de plein droit au profit des victimes d’accidents de la circulation, sans qu’elles aient à démontrer la faute du conducteur. Seule la faute inexcusable de la victime, cause exclusive de l’accident, peut lui être opposée. Le passager bénéficie d’une protection renforcée puisqu’il ne peut se voir opposer sa propre faute.
B. L’utilité de l’expertise judiciaire malgré l’existence d’une expertise amiable
Le juge des référés relève que la victime « produit des justificatifs suffisants (justificatif d’admission aux urgences, comptes-rendus médicaux relatifs à son opération et aux suites opératoires, certificat médical) établissant les éléments de fait et de droit d’un litige possible ». Il ajoute que l’expertise « rejoint l’intérêt de chacune des parties dans la perspective d’une défense loyale de leurs droits respectifs ».
Cette motivation mérite attention. Une expertise amiable avait été réalisée à l’initiative de l’assureur par le docteur [X]. Les défendeurs auraient pu soutenir que cette expertise rendait inutile une mesure judiciaire. Le juge écarte implicitement cette objection.
L’expertise judiciaire présente des garanties que l’expertise amiable ne peut offrir. L’expert judiciaire est désigné par le juge et non par l’une des parties. Il est tenu au respect du contradictoire tout au long de ses opérations. Ses conclusions s’imposeront aux parties avec une autorité particulière devant le juge du fond. La victime conserve donc un intérêt légitime à solliciter une expertise judiciaire, même si une expertise amiable a déjà été réalisée.
La mission confiée à l’expert reprend la nomenclature Dintilhac. Elle permet d’évaluer l’ensemble des postes de préjudice : déficit fonctionnel temporaire et permanent, souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d’agrément, préjudice sexuel, assistance par tierce personne, dépenses de santé futures, pertes de gains professionnels. Cette mission exhaustive garantit que l’évaluation du préjudice sera complète.
II. L’appréciation mesurée de la provision en référé
Le juge des référés dispose du pouvoir d’allouer une provision lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable (A). L’exercice de ce pouvoir suppose toutefois une appréciation prudente du quantum (B).
A. Le fondement de la provision dans le régime spécial de la loi de 1985
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permet au juge des référés d’accorder une provision au créancier « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Le juge relève que « les défendeurs ne contestent pas le principe de l’allocation d’une indemnité provisionnelle supplémentaire mais en discutent le montant ».
Cette absence de contestation du principe découle directement du régime de la loi du 5 juillet 1985. L’assureur du véhicule impliqué dans un accident de la circulation doit présenter une offre d’indemnisation à la victime dans un délai de huit mois à compter de l’accident. Cette obligation légale implique la reconnaissance du droit à indemnisation. L’assureur qui a déjà versé 5 000 euros de provisions et fait réaliser une expertise ne peut sérieusement contester l’existence de sa dette.
Le débat porte donc exclusivement sur le montant de la provision. La victime sollicitait 15 000 euros. Les défendeurs proposaient 2 000 euros. Le juge a retenu 4 000 euros. Cette solution médiane appelle une analyse des critères d’appréciation.
L’ordonnance fait état des « éléments médicaux » tout en relevant qu’« aucun déficit permanent n’a été envisagé au stade de l’expertise amiable, ni de préjudice d’agrément ». Le juge note également « la fin d’assistance par un tiers depuis le 30 juin 2024 ». Ces éléments tirés de l’expertise amiable servent à apprécier le quantum de la provision sans pour autant préjuger des conclusions de l’expert judiciaire.
B. La prise en compte de la situation personnelle de la victime
Le juge des référés examine la situation professionnelle de la victime. Il relève que celle-ci « devait suivre une formation d’agent de service hospitalier validée par Pôle emploi » au moment de l’accident et qu’elle s’est vu prescrire un arrêt de travail jusqu’au 18 juin 2024. Il constate cependant qu’« aucun autre élément ne vient compléter les démarches entreprises depuis ni établir l’absence de perception de toute aide financière à ce jour ».
Cette motivation révèle les exigences probatoires pesant sur le demandeur en référé. La victime invoquait son absence de ressources pour justifier une provision élevée. Le juge lui oppose l’insuffisance de ses justificatifs sur sa situation actuelle. Il ne suffit pas d’alléguer une situation de précarité. Encore faut-il la démontrer.
La charge des dépens mérite également attention. Le juge condamne la victime aux dépens au motif que « le fondement de l’action s’analyse comme une recherche probatoire au bénéfice de la partie qui en prend l’initiative ». Cette solution est conforme à une jurisprudence constante en matière de référé probatoire. Elle peut paraître sévère pour une victime bénéficiant de l’aide juridictionnelle totale. Elle s’explique par le fait que la partie défenderesse ne peut être considérée comme perdante lorsqu’elle ne s’oppose pas à la mesure sollicitée.
Le refus d’allouer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile procède d’une logique similaire. Le juge estime que « la complexité de l’affaire justifie que les frais irrépétibles soient réservés à la décision au fond ». Cette réserve préserve les droits de chacune des parties pour la suite de la procédure.