Tribunal judiciaire de Foix, le 17 juin 2025, n°25/00072

Rendue par le tribunal judiciaire de Foix le 17 juin 2025, l’ordonnance de référé statue sur une demande d’expertise préalable relative à des désordres d’étanchéité affectant une toiture-terrasse. La demanderesse, ayant constaté des infiltrations en 2024, a sollicité une mesure d’instruction avant tout procès après des échanges amiables infructueux. L’entrepreneur en charge du lot d’étanchéité ne s’est pas opposé à l’expertise judiciaire, tandis que l’assureur du constructeur a accepté la mesure sous réserves, en sollicitant qu’elle soit menée au contradictoire. La question portait sur l’existence d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile et sur les incidences procédurales de l’ordonnance quant aux dépens et à l’exécution provisoire. Le juge des référés a estimé le motif légitime caractérisé et a ordonné une expertise, mettant provisoirement les dépens à la charge de la demanderesse et rappelant le régime de l’exécution provisoire et l’absence d’autorité de chose jugée au principal.

I. Le référé probatoire et l’appréciation du motif légitime

A. Le cadre légal et l’office du juge des référés

Le juge s’inscrit d’abord dans le cadre général du référé. Il rappelle que « l’ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires ». La nature instrumentale de la décision justifie une appréciation pragmatique des conditions d’intervention, sous réserve de ne pas préjuger du fond.

La mesure sollicitée relève du référé probatoire. Le texte de référence est explicite: « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Le juge vérifie également le respect de la mise en état procédurale préalable, conformément au principe selon lequel « le juge s’assure qu’il s’est écoulé un temps suffisant entre l’assignation et l’audience pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense ». L’examen s’attache alors à la vraisemblance du litige annoncé et à la nécessité de la mesure d’instruction, sans empiéter sur la responsabilité finale.

B. La caractérisation du motif légitime au regard des éléments produits

Le juge fonde sa décision sur une double vérification, relative à la gravité alléguée des désordres et à la pertinence d’une investigation technique. Il retient que « en l’espèce, il ressort des éléments présentés contradictoirement au présent juge que les désordres allégués par la demanderesse sont, s’ils sont avérés, de nature à compromettre la destination de l’ouvrage ou à le rendre impropre à son usage, et pourraient ainsi justifier une action en responsabilité à l’encontre des défenderesses ». La motivation se concentre sur la compatibilité des éléments déjà recueillis avec un futur litige fondé, sans exiger un niveau probatoire achevé.

La présence de constats amiables non contradictoires, produits par des intervenants techniques, n’ôte pas l’intérêt de la mesure judiciaire. L’ordonnance en fait un usage mesuré, comme indices justifiant une instruction contradictoire utile sur l’origine des infiltrations, l’imputabilité éventuelle et l’étendue des remèdes. La conclusion s’impose alors, dans un cadre strictement probatoire: « En conséquence, une expertise sera diligentée dans les termes qui seront fixés dans le dispositif de la présente décision ». L’office du juge demeure préservé, la mesure visant la preuve, non l’allocation anticipée de responsabilité.

II. Les incidences procédurales de la mesure ordonnée

A. La répartition des dépens en référé probatoire

Le juge précise d’abord l’étendue de sa saisine lorsqu’il ordonne une mesure fondée sur l’article 145. Il énonce que « lorsque le juge ordonne la mesure d’instruction et procède à la désignation d’un technicien sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile et, partant, épuise sa saisine, il doit nécessairement statuer sur les dépens ». La conséquence en est la neutralité des défendeurs dans ce type de référé: « La partie défenderesse ne pouvant, en ce cas, être considérée comme une partie perdante, elle ne peut être condamnée aux dépens ». L’avance provisoire mise à la charge du demandeur correspond à la logique d’un acte de pure recherche probatoire, sans préjuger de la charge finale.

Cette solution ménage l’égalité des armes. Elle garantit l’efficacité de la mesure en assurant son financement initial par son initiateur, sans attribuer prématurément un statut de perdant aux défendeurs. Elle préserve, enfin, la possibilité de redistribution ultérieure des frais selon l’issue du litige au fond, conformément aux principes du droit commun des dépens et auxiliairement de l’équité.

B. L’exécution provisoire et la portée limitée de l’ordonnance

Le caractère exécutoire de la décision s’inscrit dans le régime propre aux référés. Le dispositif rappelle que « RAPPELONS que l’exécution provisoire de la présente décision est de plein droit ». Cette affirmation assure la célérité nécessaire à une mesure de preuve, spécialement lorsque les désordres présentent un risque évolutif ou lorsque les constatations doivent intervenir rapidement pour conserver leur pertinence.

La portée de l’ordonnance est, en contrepartie, strictement circonscrite. Le juge réaffirme que « l’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée ». La mesure ordonnée n’emporte donc pas préjugé de responsabilité, ni reconnaissance définitive d’un manquement contractuel ou décennal. Elle organise un cadre contradictoire d’instruction technique, destiné à éclairer une éventuelle instance au fond, et à favoriser d’éventuels accords transactionnels informés.

Cette articulation concilie la protection des droits de la preuve et la prudence quant au fond. L’ordonnance conserve un rôle d’impulsion utile, en fixant une mission d’expertise suffisamment précise pour instruire les causes, l’imputabilité et l’évaluation des remèdes, sans excéder la finalité probatoire ni dessaisir le juge du fond de ses prérogatives.

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Hassan KOHEN
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