Tribunal judiciaire de Grasse, le 18 juin 2025, n°25/00286

Le Tribunal judiciaire de Grasse, par ordonnance du 18 juin 2025, a statué sur la régularité et le bien-fondé d’une hospitalisation complète sans consentement. L’intéressé avait été admis sur demande d’un tiers le 18 avril 2024. Une ordonnance du 29 avril 2024 avait autorisé la poursuite de l’hospitalisation complète. Un programme de soins avait ensuite été arrêté le 21 juin 2024, assorti de certificats mensuels de situation, avant une réintégration en hospitalisation complète décidée le 9 juin 2025.

Saisi par le directeur de l’établissement, le juge a tenu audience le 18 juin 2025. Le ministère public s’est prononcé pour le maintien. La défense a sollicité la mainlevée, soutenant que le programme de soins, en réalité, constituait une hospitalisation complète déguisée, privant l’intéressé du contrôle juridictionnel systématique et des évaluations périodiques prévues par le code de la santé publique.

La question posée était double. D’une part, il s’agissait d’apprécier si les contraintes attachées au programme de soins équivalaient à une privation de liberté justifiant une requalification en hospitalisation complète. D’autre part, il convenait, en cas d’irrégularité, de rechercher si elle avait atteint les droits de la personne au sens de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique.

Le juge a rappelé que « L’office du juge judiciaire implique un contrôle relatif à la fois à la régularité de la décision administrative d’admission en soins psychiatriques sans consentement et au bien-fondé de la mesure, en se fondant sur des certificats médicaux ». Il a retenu que les modalités du programme imposaient en substance une hospitalisation complète, privant ainsi l’intéressé du contrôle juridictionnel systématique. Il en a déduit une atteinte aux droits justifiant la mainlevée, tout en différant celle-ci de vingt-quatre heures pour organiser, le cas échéant, un nouveau programme.

I. Le contrôle exercé par le juge sur la forme des soins sans consentement

A. L’office du juge et les conditions légales de la contrainte

La décision s’inscrit d’abord dans le cadre posé par le code de la santé publique. Le juge circonscrit son intervention en rappelant que « Il résulte de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique que l’irrégularité affectant une décision administrative de soins psychiatriques sans consentement n’entraîne la mainlevée de la mesure que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en fait l’objet ». L’examen de la régularité est donc finalisé par la protection des droits substantiels, plutôt que par une automaticité de la sanction.

Le juge précise, ensuite, ses paramètres de contrôle. Ainsi, « Le juge doit vérifier que médecins établissent sans ambiguïté que, d’une part, le patient présente des troubles mentaux rendant impossible le consentement aux soins, et que, d’autre part, l’état de la personne impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante justifiant une hospitalisation sous contrainte ». Cette exigence épouse la structure de l’article L.3212-1, en ciblant cumulativement l’impossibilité de consentir et la nécessité d’une prise en charge intensifiée.

La frontière entre contrôle de légalité et appréciation médicale est, enfin, clairement tracée. Le juge rappelle que « Dans l’exercice de son office, le juge ne saurait se substituer au médecin dans l’appréciation de l’état mental du patient et de son consentement aux soins (1re Civ., 27 septembre 2017, n°16 22.544) ». La solution consacre un équilibre classique, articulant la vérification des critères juridiques avec la déférence due à l’expertise clinique.

B. La requalification du programme de soins au regard des contraintes effectives

La singularité du litige réside dans l’analyse des modalités concrètes du programme de soins. Le juge admet explicitement que, dans certaines hypothèses, « le juge peut être amené à requalifier un programme de soins en hospitalisation complète si les contraintes imposées au patient sont telles que celui-ci est en réalité privé de liberté ». La clé de voûte du raisonnement demeure donc la privation de liberté, appréciée in concreto au regard des contraintes effectives.

L’ordonnance retient que, depuis son instauration, le programme de soins combinait hospitalisation partielle, observance thérapeutique, entretiens réguliers et permissions exclusivement limitées de quelques heures à quarante-huit heures. En conséquence, « Or, les modalités de l’hospitalisation partielle du patient décidées dans le cadre du programme de soins mis en œuvre depuis le 21 juin 2024 , limitant les sorties à des permissions de quelques heures à 48 heures en fonction de l’état de santé du patient, présentent les caractère d’une hospitalisation complète assortie de sorties non accompagnées d’une durée maximale de 48 heures, telles que prévues par l’article L 3211-11-1 2°du code de la santé publique ». La requalification repose sur une stricte équivalence fonctionnelle entre les deux régimes, l’un étant en réalité le miroir contraignant de l’autre.

Cette relecture ne substitue pas le juge au médecin. Elle opère un contrôle de proportion et de nature des contraintes, en les confrontant aux catégories juridiques. La solution valorise ainsi un critère matériel, adapté aux réalités de la prise en charge, et limite les risques de contournement des garanties procédurales par des étiquetages inappropriés.

II. La protection juridictionnelle des libertés et la portée de la sanction

A. L’exigence d’une atteinte aux droits et le contrôle systématique manquant

La sanction n’est pas envisagée de manière automatique. Conformément au texte, l’ordonnance rappelle que « Il résulte de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique que l’irrégularité […] n’entraîne la mainlevée […] que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne ». Le cœur de l’atteinte tient ici à la suppression du contrôle juridictionnel périodique. Le juge souligne que « Seule l’hospitalisation complète faisant l’objet d’un contrôle juridictionnel systhématique, sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, aucun contrôle de la mesure de soins sous contrainte n’est intervenu depuis le 21 avril 2024 ». L’absence de saisine régulière a donc privé l’intéressé d’une garantie centrale de la légalité de la contrainte.

La solution est conforme à l’économie générale de la protection de la liberté individuelle. Elle insère la requalification matérielle au sein d’un dispositif contentieux structuré, où l’office du juge se renouvelle périodiquement, précisément pour prévenir la chronicisation de la contrainte. La valeur de l’arrêt tient, dès lors, dans l’objectivation des critères déclenchant ce contrôle systématique, indépendamment de l’intitulé formel de la prise en charge.

La portée pratique est notable pour les établissements. Le marquage des contraintes, notamment la limitation stricte des sorties, devient un indicateur décisif du régime applicable. Les gestionnaires doivent en déduire que l’empilement de contraintes quasi carcérales within un programme de soins emporte l’activation des exigences propres à l’hospitalisation complète.

B. La modulation temporelle de la mainlevée et l’aménagement de la continuité des soins

L’ordonnance ne s’arrête pas à la constatation de l’irrégularité. Elle ajuste la remise en liberté aux nécessités thérapeutiques immédiates, sur le fondement du code de la santé publique. Elle énonce que « il y a lieu de décider que cette mainlevée de la mesure sera différée, dans un délai maximal de 24 heures, afin qu’un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi ». Cette modulation traduit une conciliation méthodique entre protection des droits et continuité des soins, sans excès ni rigidité.

L’économie de la décision est cohérente. La mainlevée est acquise en droit, puisqu’un contrôle indispensable a fait défaut. Toutefois, la mise en œuvre est aménagée pour prévenir une rupture thérapeutique potentiellement préjudiciable. L’outil choisi, bref et strictement encadré, évite de créer une nouvelle atteinte aux droits, tout en rendant possible une réorganisation conforme.

La portée de cette technique est double. Elle fournit un mode d’emploi opérationnel lorsque la requalification révèle une irrégularité ancienne dans la chaîne de contrôle. Elle alerte aussi sur l’obligation d’adapter immédiatement les modalités de suivi à un cadre moins attentatoire, sous peine de nouvelle censure. En somme, la décision articule une exigence ferme de légalité procédurale et un souci constant de la finalité soignante.

Par sa méthode, l’ordonnance renforce la lisibilité du droit positif applicable aux soins sous contrainte. Elle confirme l’importance du critère matériel de privation de liberté pour distinguer les régimes, et réaffirme la centralité du contrôle juridictionnel périodique. Elle offre, enfin, une solution équilibrée sur la temporalité de la mainlevée, respectueuse à la fois des droits fondamentaux et des impératifs thérapeutiques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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