Tribunal judiciaire de Grasse, le 19 juin 2025, n°23/00152

La procédure de saisie immobilière constitue l’ultime recours du créancier hypothécaire pour recouvrer sa créance. Le mécanisme de l’adjudication forcée, prévu par le Code des procédures civiles d’exécution, organise la vente publique du bien du débiteur défaillant. Le jugement rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Grasse le 19 juin 2025 illustre une hypothèse particulière de ce contentieux, celle de l’adjudication au profit du créancier poursuivant en l’absence d’enchères.

Une société civile immobilière avait contracté un emprunt auprès d’un établissement bancaire monégasque. Face au défaut de remboursement, le créancier a fait délivrer un commandement aux fins de saisie immobilière le 15 septembre 2023, publié au service de la publicité foncière d’Antibes le 2 novembre suivant. La procédure a suivi son cours normal, un jugement d’orientation du 6 mars 2025 ayant ordonné la vente forcée des biens. Le cahier des conditions de vente, déposé au greffe le 14 décembre 2023, fixait la mise à prix à 5 600 000 euros pour deux propriétés situées dans les Alpes-Maritimes.

Lors de l’audience d’adjudication du 19 juin 2025, aucun enchérisseur ne s’est manifesté. Le temps imparti s’est écoulé sans que la mise à prix soit couverte. L’avocat du créancier poursuivant a alors sollicité que son client soit déclaré adjudicataire pour le montant de la mise à prix, conformément aux dispositions légales applicables.

La question posée au juge de l’exécution était la suivante : en cas d’enchères désertes lors d’une vente sur saisie immobilière, le créancier poursuivant peut-il être déclaré adjudicataire pour le montant de la mise à prix qu’il avait lui-même fixé ?

Le juge de l’exécution, faisant application de l’article L. 322-6 du Code des procédures civiles d’exécution, a déclaré les enchères désertes et adjugé le bien au créancier poursuivant pour la somme de 5 600 000 euros, rappelant que le jugement d’adjudication constitue un titre d’expulsion à l’encontre du saisi.

Cette décision met en lumière le mécanisme protecteur du créancier en cas de défaillance du marché (I), tout en révélant les conséquences radicales de l’adjudication pour le débiteur saisi (II).

I. Le mécanisme protecteur du créancier en cas d’enchères désertes

L’absence d’enchérisseur lors de la vente forcée ne saurait paralyser les droits du créancier. Le législateur a prévu un dispositif permettant au poursuivant de se porter adjudicataire (A), manifestant ainsi la primauté accordée au recouvrement de la créance (B).

A. L’attribution automatique au créancier poursuivant

Le juge de l’exécution constate que « le temps imparti s’est écoulé sans que la mise à prix ait été couverte ». Cette situation, loin de constituer un échec de la procédure, déclenche l’application d’un régime dérogatoire. L’article L. 322-6 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que si aucune enchère n’atteint le montant de la mise à prix, le créancier poursuivant est déclaré adjudicataire d’office.

Ce mécanisme présente un caractère automatique. Le juge n’exerce pas de pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de l’attribution. Il se borne à constater la réunion des conditions légales et à en tirer les conséquences. La formulation du jugement est révélatrice : « Faisant application de l’article L 322-6 du Code des procédures civiles d’exécution, déclare le poursuivant adjudicataire ». Le verbe déclaratif traduit l’absence de marge d’appréciation judiciaire.

L’adjudication s’effectue pour le montant de la mise à prix. Le créancier avait fixé cette somme à 5 600 000 euros. Il devient donc propriétaire du bien pour ce prix, qu’il a lui-même déterminé lors du dépôt du cahier des conditions de vente. Cette circonstance soulève la question de l’équilibre entre les intérêts du créancier et ceux du débiteur.

B. La consécration de la primauté du recouvrement

L’économie de ce dispositif révèle la volonté du législateur de garantir l’efficacité de la saisie immobilière. Le créancier qui a engagé des frais de procédure, taxés en l’espèce à 11 299,09 euros, ne saurait voir ses efforts anéantis par l’absence d’acquéreur.

La solution adoptée présente toutefois une ambivalence. Le créancier se retrouve propriétaire d’un bien immobilier qu’il devra soit conserver, soit revendre ultérieurement. Le prix d’adjudication viendra en déduction de sa créance, mais cette imputation comptable ne lui procure pas de liquidités immédiates. Le mécanisme transforme une créance monétaire en droit de propriété immobilière.

En l’espèce, le créancier poursuivant est un établissement bancaire. Sa vocation première n’est pas la détention patrimoniale d’actifs immobiliers. L’adjudication à son profit constitue donc une situation transitoire, dans l’attente d’une revente sur le marché libre. Le prix obtenu lors de cette revente ultérieure sera déterminant pour apprécier si le recouvrement effectif correspond aux attentes du créancier.

II. Les conséquences radicales pour le débiteur saisi

L’adjudication emporte des effets définitifs sur la situation du débiteur. Le transfert de propriété s’accompagne d’une privation immédiate du droit d’occuper les lieux (A), sans que la valeur du bien acquis corresponde nécessairement à la dette éteinte (B).

A. La constitution d’un titre d’expulsion

Le jugement rappelle que « conformément aux dispositions de l’article L 322-13 du Code des procédures civiles d’exécution, le jugement d’adjudication constitue un titre d’expulsion à l’encontre du saisi ». Cette mention, bien que formulée en termes de simple rappel, emporte des conséquences considérables pour le débiteur.

Le jugement d’adjudication vaut titre exécutoire permettant l’expulsion. L’adjudicataire n’a pas à obtenir une décision judiciaire distincte pour contraindre l’occupant à quitter les lieux. Le juge de l’exécution peut être saisi directement aux fins d’expulsion, sans débat sur le principe du droit de l’adjudicataire à prendre possession du bien.

Cette règle procédurale manifeste la rigueur du droit de l’exécution forcée. Le débiteur qui n’a pas honoré ses engagements se trouve privé non seulement de son droit de propriété, mais également de toute protection en matière d’occupation des locaux. La célérité de la procédure d’expulsion découle directement du caractère exécutoire du jugement d’adjudication.

B. L’absence de garantie quant à la valeur de réalisation

La mise à prix de 5 600 000 euros a été fixée par le créancier poursuivant. L’absence d’enchère supérieure ne signifie pas nécessairement que le bien ne vaut pas davantage. Elle peut résulter de conditions de marché défavorables, d’un défaut de publicité efficace ou d’une mise à prix trop élevée décourageant les enchérisseurs.

Le débiteur saisi supporte le risque d’une sous-évaluation. Si le bien avait fait l’objet d’enchères, la concurrence entre acquéreurs potentiels aurait pu porter le prix au-delà de la mise à prix. L’adjudication au seul bénéfice du créancier, pour le montant qu’il avait lui-même déterminé, ne garantit pas que le prix correspond à la valeur vénale réelle.

Cette situation interroge sur la protection des intérêts du débiteur. Le Code des procédures civiles d’exécution encadre certes la fixation de la mise à prix, mais le juge de l’orientation ne dispose que d’un pouvoir de modification limité. En l’espèce, aucun élément du jugement ne permet de vérifier si la mise à prix correspondait à une évaluation objective du bien. Le débiteur demeure tenu de l’éventuel solde de la créance après imputation du prix d’adjudication, sans certitude que le bien ait été valorisé à son juste prix.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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