Tribunal judiciaire de Grasse, le 19 juin 2025, n°25/00221

La décision de l’espèce, rendue par le tribunal judiciaire de Grasse le 19 juin 2025, statue en matière de référé sur une demande d’expertise médicale et de provision consécutive à un accident de la circulation. Elle s’inscrit dans le contentieux de l’indemnisation du préjudice corporel et illustre l’articulation entre les mesures d’instruction préventives et l’allocation de provisions.

Les faits à l’origine du litige remontent au 25 juin 2019. Un motocycliste a été percuté par un autre conducteur de deux-roues qui effectuait un demi-tour en sortie de courbe. La victime a subi de multiples lésions : fracture ouverte de la rotule droite, luxation de l’hallux, luxation de l’épaule gauche, fracture d’un métacarpien et diverses contusions. Une expertise amiable a été réalisée le 15 septembre 2021 par un médecin mandaté par l’assureur du responsable. Ce rapport a fixé la consolidation au 25 décembre 2020 et a servi de base à une offre d’indemnisation définitive émise le 17 novembre 2022.

La victime n’a pas accepté cette offre. Elle fait valoir que deux interventions chirurgicales ont été pratiquées en 2024 sur l’épaule gauche et le genou droit. Un certificat médicolégal atteste de la persistance des douleurs postérieurement à l’expertise amiable. La victime a donc assigné en référé la Caisse Meusienne d’assurances Mutuelles et la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-Maritimes par actes des 30 janvier et 4 février 2025. Elle sollicitait la désignation d’un expert judiciaire et l’octroi d’une provision de 37 391 euros. L’assureur a conclu à l’irrecevabilité des demandes et, subsidiairement, à la limitation de la provision à 1 000 euros. Il a également formulé des réserves sur la désignation de certains experts et demandé que la mission porte sur l’imputabilité des interventions de 2024 à l’accident.

La question posée au juge des référés était double. Il lui appartenait de déterminer si les conditions de l’article 145 du code de procédure civile étaient réunies pour ordonner une expertise judiciaire alors qu’une expertise amiable avait déjà été réalisée. Il devait également statuer sur le montant de la provision pouvant être allouée sur le fondement de l’article 835 alinéa 2 du même code.

Le juge des référés a déclaré la demande d’expertise recevable et bien fondée. Il a désigné un expert judiciaire avec une mission complète d’évaluation des préjudices conformément à la nomenclature Dintilhac. Il a condamné l’assureur au paiement d’une provision de 8 000 euros, outre 1 000 euros au titre des frais irrépétibles. Les dépens ont été mis à la charge de l’assureur.

Cette ordonnance met en lumière l’autonomie du juge des référés dans l’appréciation du motif légitime justifiant une mesure d’instruction (I). Elle illustre également les critères d’évaluation de la provision en matière d’accident de la circulation (II).

I. L’autonomie du juge des référés dans l’appréciation du motif légitime

Le juge des référés dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier l’existence d’un motif légitime (A). Cette appréciation s’exerce indépendamment de toute expertise amiable antérieure (B).

A. Le pouvoir souverain d’appréciation du motif légitime

L’article 145 du code de procédure civile permet d’obtenir une mesure d’instruction avant tout procès lorsqu’existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le juge des référés rappelle que « l’existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en œuvre des dispositions de l’article 145 ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le référé probatoire échappe à la condition d’absence de contestation sérieuse propre au référé provision.

Le magistrat précise également que « l’application de ce texte n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des personnes mises en cause ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé ». Cette neutralité du juge du référé probatoire constitue une garantie procédurale essentielle. Elle permet au demandeur d’obtenir les éléments de preuve nécessaires sans que le juge n’anticipe sur le fond du litige.

L’ordonnance énonce en outre que « les dispositions de l’article 146 ne s’appliquent pas lorsque le juge est saisi d’une demande fondée sur l’article 145 ». Cette précision est importante. L’article 146 interdit au juge d’ordonner une mesure d’instruction pour suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve. Cette prohibition ne joue pas en matière de référé probatoire. Le juge indique qu’en ordonnant la mesure sollicitée, il n’a « d’autre objet que d’éviter la carence du demandeur ».

B. L’indifférence de l’expertise amiable antérieure

L’assureur faisait valoir qu’une expertise amiable avait déjà été réalisée et qu’une offre d’indemnisation définitive avait été formulée. Ces arguments n’ont pas été retenus. Le juge constate que « le préjudice de Monsieur [G] [T] n’a jamais été liquidé » et que « des éléments médicaux nouveaux sont survenus depuis le rapport du docteur [J] ».

La survenance d’interventions chirurgicales postérieurement à l’expertise amiable justifie le recours à une expertise judiciaire. Le demandeur produit un certificat médicolégal attestant que « la victime a continué à souffrir de son épaule gauche et de son genou droit » et qu’elle « a dû être opérée à 2 reprises ». Ces éléments suffisent à caractériser le motif légitime exigé par l’article 145.

Le juge des référés affirme son pouvoir de désignation de l’expert. Il écarte les demandes de l’assureur tendant à exclure certains praticiens et précise qu’il « veillera à l’impartialité du médecin expert désigné ». Cette affirmation d’un pouvoir souverain de désignation s’inscrit dans la jurisprudence traditionnelle qui reconnaît au juge une entière liberté dans le choix de l’expert.

La mission confiée à l’expert reprend l’intégralité des postes de préjudice de la nomenclature Dintilhac. Elle inclut expressément l’examen de l’imputabilité des « opérations chirurgicales subies en 2024 » à l’accident du 25 juin 2019. Cette rédaction répond aux préoccupations de l’assureur sans pour autant préjuger de la solution.

II. Les critères d’évaluation de la provision en matière d’accident de la circulation

L’octroi d’une provision suppose l’existence d’une obligation non sérieusement contestable (A). Le montant de cette provision fait l’objet d’une appréciation souveraine du juge (B).

A. L’exigence d’une obligation non sérieusement contestable

L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permet au juge des référés d’accorder une provision lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. En matière d’accident de la circulation, cette condition est généralement satisfaite dès lors que le droit à indemnisation de la victime est établi.

Le juge relève que « le droit à indemnisation de M. [G] [T] à la suite de l’accident de la circulation du 25 juin 2019, n’est pas contesté ni sérieusement contestable au regard des circonstances de l’accident ». Les faits établissent que le responsable a effectué un demi-tour imprudent, percutant le demandeur. La loi du 5 juillet 1985 pose le principe d’une indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. L’assureur du responsable est tenu de réparer l’intégralité du préjudice.

L’ordonnance écarte méthodiquement les arguments de l’assureur. Celui-ci invoquait la tardiveté de la demande, l’absence d’utilité d’une provision après consolidation et le risque d’une liquidation anticipée du préjudice. Le juge qualifie ces développements de « totalement inopérants ». Il rappelle que « le seul critère posé par l’article 835 du code de procédure civile est celui de l’existence ou non d’une obligation à paiement non sérieusement contestable ».

Cette motivation est conforme à la finalité du référé provision. La provision n’a pas vocation à liquider définitivement le préjudice. Elle constitue une avance sur l’indemnisation finale destinée à permettre à la victime de faire face à ses besoins immédiats.

B. L’appréciation souveraine du montant de la provision

Le demandeur sollicitait une provision de 37 391 euros. L’assureur proposait de limiter cette somme à 1 000 euros. Le juge a retenu un montant intermédiaire de 8 000 euros.

L’ordonnance mentionne que des provisions antérieures de 20 000 euros ont déjà été versées. Le juge indique statuer « au regard des pièces produites, des provisions d’ores et déjà allouées ». Cette motivation, bien que succincte, répond aux exigences jurisprudentielles. Le juge des référés n’est pas tenu de détailler le calcul de la provision. Il lui suffit de caractériser l’existence d’une créance certaine dans son principe et d’en évaluer le montant non sérieusement contestable.

La réduction de la demande traduit une appréciation prudente. Le préjudice n’est pas encore définitivement évalué. L’expertise judiciaire devra déterminer si les interventions de 2024 sont imputables à l’accident et modifier le cas échéant la date de consolidation. Dans l’attente de ces éléments, le juge limite la provision à une somme qu’il estime correspondre à la part incontestable de la créance.

L’assureur est également condamné aux dépens et au paiement de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le juge retient qu’il « succombe et qu’il est tenu à l’obligation indemnitaire ». Cette solution est classique. La partie qui perd le procès supporte les frais de l’instance. L’allocation d’une indemnité pour frais irrépétibles sanctionne l’attitude de l’assureur qui a contraint la victime à engager une procédure judiciaire pour obtenir une expertise et une provision complémentaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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