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La responsabilité civile de l’assureur du véhicule impliqué dans un accident de la circulation peut être engagée de plein droit. Toutefois, l’allocation d’une provision en référé suppose que la créance invoquée ne soit pas sérieusement contestable. L’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse le 19 juin 2025 illustre les difficultés probatoires auxquelles se heurte la victime lorsqu’un état antérieur interfère avec les conséquences de l’accident.
Une conductrice de bus a été percutée par un véhicule alors qu’elle traversait un passage protégé le 6 janvier 2024. Elle a bénéficié d’arrêts de travail depuis cette date, d’abord prescrits par son médecin traitant puis par son psychiatre. Son employeur a maintenu son salaire jusqu’en juillet 2024. À compter d’août 2024, elle n’a plus perçu cette rémunération. Elle a sollicité une provision correspondant à ses pertes de salaire auprès de l’assureur du véhicule responsable.
La victime a assigné en référé l’assureur et la caisse primaire d’assurance-maladie devant le tribunal judiciaire de Grasse. Elle demandait une provision de 6 259,21 euros au titre de ses pertes de revenus. L’assureur a contesté l’imputabilité des arrêts de travail à l’accident, faisant valoir l’existence d’un état antérieur psychiatrique. La caisse, régulièrement assignée, n’a pas comparu.
La question posée au juge des référés était de déterminer si la victime d’un accident de la circulation pouvait obtenir une provision au titre de ses pertes de revenus lorsqu’un état antérieur psychiatrique est susceptible d’expliquer la prolongation de ses arrêts de travail.
Le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé. Il a retenu que « l’imputabilité des arrêts de travail qui se poursuivent jusqu’à ce jour, à l’état antérieur ou à l’accident, devra nécessairement être établie par l’expert ». Il a jugé qu’il n’était « pas établi avec le degré d’évidence nécessaire à la matière des référés, que la totalité des arrêts de travail qui se poursuivent jusqu’à ce jour soient imputables à l’accident litigieux ».
Cette décision met en lumière les exigences probatoires propres au référé-provision (I) et révèle l’incidence déterminante de l’état antérieur sur l’appréciation du lien de causalité (II).
I. L’exigence d’une obligation non sérieusement contestable en matière de référé-provision
Le juge des référés ne peut allouer une provision que si la créance invoquée présente un caractère d’évidence (A). Cette condition conduit à apprécier restrictivement les éléments de preuve produits par le demandeur (B).
A. Le standard probatoire élevé du référé-provision
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile subordonne l’octroi d’une provision à l’absence de contestation sérieuse de l’obligation. Le juge des référés a rappelé que « le montant de la provision allouée n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui impose au demandeur d’établir l’évidence de sa créance.
Le caractère non sérieusement contestable s’apprécie au regard des pièces produites. En l’espèce, le juge a relevé que le droit à indemnisation n’était « pas contesté ni sérieusement contestable au regard des circonstances de l’accident ». Le principe de la responsabilité était donc acquis. La difficulté portait sur le quantum des préjudices réparables.
La provision sollicitée correspondait à des pertes de revenus sur une période de treize mois. Le juge devait vérifier si ce poste de préjudice présentait le degré d’évidence requis. Or les certificats médicaux produits ne permettaient pas de trancher la question de l’imputabilité avec la certitude exigée en référé.
B. L’insuffisance des certificats médicaux face à la contestation de l’assureur
La victime avait produit des certificats émanant de son médecin traitant, de son psychiatre et d’une psychologue. Ces documents attestaient la réalité de ses troubles et de ses arrêts de travail. Le juge a toutefois considéré que ces éléments ne suffisaient pas à établir le lien de causalité entre l’accident et les arrêts prolongés.
Le médecin traitant avait indiqué suivre la patiente « tant en raison de sa pathologie reconnue en affection longue durée, pathologie suivie par un psychiatre, que de l’accident de la circulation survenu le 6 janvier 2024 ». Cette formulation révélait l’existence de deux causes possibles aux arrêts de travail. Le juge en a déduit qu’il « semble qu’il existait un état antérieur de nature psychiatrique ».
Les certificats médicaux, même concordants, ne constituent pas une preuve irréfragable de l’imputabilité. Leur force probante est limitée lorsqu’ils émanent des praticiens qui suivent habituellement le patient. L’assureur pouvait légitimement contester leur valeur en l’absence d’expertise judiciaire.
II. L’incidence de l’état antérieur sur l’appréciation du lien de causalité
L’existence d’un état antérieur psychiatrique a constitué l’obstacle déterminant à l’allocation de la provision (A). Le juge a renvoyé à l’expertise le soin de départager les causes des arrêts de travail (B).
A. L’état antérieur comme source de contestation sérieuse
L’état antérieur désigne les pathologies ou prédispositions préexistantes à l’accident. En droit de la réparation du préjudice corporel, son existence ne fait pas obstacle par principe à l’indemnisation. La jurisprudence admet que l’accident qui révèle ou aggrave un état antérieur engage la responsabilité de son auteur.
Le juge a néanmoins estimé que la question de l’imputabilité « devra nécessairement être établie par l’expert, au besoin avec l’avis d’un sapiteur psychiatre ». Cette formulation traduit l’impossibilité de trancher la question en référé. L’état antérieur constituait une contestation sérieuse au sens de l’article 835 du code de procédure civile.
La reconnaissance d’une affection longue durée antérieure à l’accident renforçait la position de l’assureur. Cette circonstance établissait que la victime présentait des troubles psychiatriques nécessitant un suivi spécialisé avant même le fait dommageable. Le juge ne pouvait exclure que ces troubles expliquent la prolongation des arrêts.
B. Le renvoi à l’expertise judiciaire pour établir l’imputabilité
Le juge des référés a expressément indiqué que la question de l’imputabilité relevait de l’expertise. Cette solution s’inscrit dans la logique du référé-provision qui interdit au juge de trancher une difficulté de fond. L’expertise permettra de déterminer la part respective de l’accident et de l’état antérieur dans l’incapacité de travail.
L’expert devra rechercher si l’accident a provoqué une décompensation de l’état psychiatrique préexistant. Il devra également apprécier si les arrêts de travail auraient été prescrits en l’absence d’accident. Ces questions supposent une analyse clinique approfondie que les certificats produits ne permettaient pas de réaliser.
Le renvoi au fond préserve les droits de la victime. Elle pourra, à l’issue de l’expertise, obtenir la réparation intégrale de son préjudice si l’imputabilité est établie. La décision de référé ne préjuge pas de l’issue du litige. Elle traduit seulement l’impossibilité de statuer avec l’évidence requise en l’état des éléments produits.