Tribunal judiciaire de Grenoble, le 16 juin 2025, n°25/02775

Le désistement d’instance, figure procédurale d’extinction de la procédure, révèle, même dans sa simplicité apparente, des enjeux de technique contentieuse dignes d’examen. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Grenoble le 16 juin 2025 illustre cette institution prévue aux articles 394 et suivants du Code de procédure civile.

Une société de logement social avait assigné deux locataires le 27 février 2025, vraisemblablement aux fins de recouvrement d’une créance locative. À l’audience du 16 juin 2025, le conseil de la demanderesse déclare se désister de l’instance au motif que la dette a été soldée. Les défendeurs ne comparaissent pas. Le juge des contentieux de la protection constate le désistement, dit qu’il met fin à l’instance et laisse les dépens à la charge du demandeur sauf meilleur accord des parties.

La question posée est celle des conditions de validité du désistement d’instance unilatéral et de ses effets sur l’extinction du lien d’instance. Le tribunal applique les articles 394 et suivants du Code de procédure civile pour constater un désistement parfait, ne nécessitant pas l’acceptation du défendeur non comparant et n’ayant formulé aucune demande.

L’examen de cette décision conduit à analyser le régime du désistement d’instance dispensé d’acceptation (I), puis les conséquences procédurales et patrimoniales attachées à cette extinction de l’instance (II).

I. Le régime du désistement d’instance dispensé d’acceptation

Le désistement d’instance se distingue par sa nature et ses conditions. L’absence de comparution du défendeur emporte des conséquences sur le régime de perfectionnement de l’acte.

A. La qualification du désistement comme acte unilatéral parfait

L’article 394 du Code de procédure civile dispose que « le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance ». Le désistement constitue un acte de volonté du demandeur tendant à l’abandon de la procédure engagée. Il ne porte pas sur le droit substantiel mais sur le seul droit d’action exercé. Cette distinction fondamentale permet au créancier qui se désiste de conserver intacte sa créance et la faculté d’engager ultérieurement une nouvelle instance.

En l’espèce, le conseil de la demanderesse « déclare se désister de l’instance introduite suivant acte d’huissier en date du 27 Février 2025 ». La formulation retenue vise expressément l’instance et non le droit lui-même. Le motif invoqué, tenant au règlement de la dette, confirme cette analyse. Le paiement par le débiteur éteint l’obligation et prive l’action de son objet, rendant inutile la poursuite de l’instance sans pour autant impliquer une renonciation au droit substantiel qui se trouve satisfait par un autre mode d’extinction.

B. La dispense d’acceptation en l’absence de défense au fond

L’article 395 du Code de procédure civile subordonne en principe le désistement à l’acceptation du défendeur. Cette règle protège le défendeur qui pourrait avoir intérêt à obtenir une décision sur le fond, notamment pour bénéficier de l’autorité de la chose jugée. Le même texte prévoit toutefois une exception lorsque le défendeur n’a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste.

La décision commentée relève que les défendeurs « n’ont pas comparu ». Cette non-comparution établit qu’aucune défense au fond n’a été présentée. Le désistement acquiert donc sa perfection par la seule déclaration du demandeur, sans qu’il soit nécessaire de solliciter ni même de notifier l’acceptation du défendeur. Le juge se borne à constater l’existence d’un désistement parfait. Cette solution s’inscrit dans une logique d’économie procédurale. Exiger l’acceptation d’un défendeur défaillant paralyserait la faculté de mettre fin à une instance devenue sans objet.

II. Les effets attachés à l’extinction de l’instance par désistement

Le désistement constaté produit des effets sur l’instance et sur la charge des frais exposés.

A. L’effet extinctif immédiat sur le lien d’instance

Le tribunal « constate le désistement d’instance » et « dit que ce désistement met fin à l’instance ». L’article 398 du Code de procédure civile précise que le désistement emporte extinction de l’instance sans qu’il soit statué sur le fond. L’effet extinctif opère erga omnes et dessaisit la juridiction. Le lien d’instance, rapport juridique processuel unissant les parties devant le juge, disparaît rétroactivement.

Cette extinction se distingue de celle résultant d’un jugement sur le fond. Le désistement d’instance n’emporte pas autorité de la chose jugée sur le droit substantiel. La partie qui se désiste conserve la faculté théorique de réintroduire une action identique, sous réserve des règles de prescription. En l’occurrence, la dette ayant été soldée, le créancier n’aura pas matière à nouvelle instance. Mais juridiquement, aucun obstacle de procédure ne s’y opposerait si le débiteur venait à manquer à nouveau à ses obligations.

B. Le sort des dépens laissés à la charge du demandeur

Le tribunal « dit que les dépens resteront à la charge du demandeur sauf meilleur accord des parties ». Cette solution découle de l’article 399 du Code de procédure civile qui dispose que les frais de l’instance éteinte par désistement sont supportés par le demandeur, sauf convention contraire.

Cette règle procède d’une logique d’imputation des frais à celui qui a pris l’initiative d’une instance qu’il abandonne ensuite. Le demandeur qui assigne engage des frais qu’il fait supporter au défendeur contraint de se défendre. S’il renonce à poursuivre, il est équitable qu’il assume les conséquences pécuniaires de sa décision. La réserve du « meilleur accord des parties » préserve la liberté contractuelle. En pratique, le règlement amiable de la dette peut s’accompagner d’une transaction sur les dépens, le débiteur acceptant de contribuer aux frais en contrepartie du désistement.

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Hassan KOHEN
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