Tribunal judiciaire de Grenoble, le 19 juin 2025, n°25/00428

L’impayé locatif constitue un contentieux récurrent devant les juridictions civiles et pose la question de l’articulation entre la rigueur des clauses résolutoires et la protection du droit au logement. L’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Grenoble le 19 juin 2025 illustre cette tension.

En l’espèce, un bailleur social avait consenti par acte sous seing privé du 24 janvier 2020 un bail d’habitation portant sur un logement conventionné moyennant un loyer mensuel de 673,94 euros. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer un commandement de payer le 2 juillet 2024 pour une somme de 1 849,50 euros. Après saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives le 12 juin 2024, le bailleur a assigné les locataires en référé le 19 février 2025.

Le bailleur sollicitait le constat de la résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire, l’expulsion des occupants et leur condamnation solidaire au paiement de l’arriéré locatif. Les locataires, présents à l’audience, ont fait valoir les difficultés temporaires d’une micro-entreprise et proposé un apurement mensuel de 60 euros.

La question posée au juge était de déterminer si, face à des conditions d’acquisition de la clause résolutoire réunies, il convenait de prononcer la résiliation immédiate du bail ou d’accorder des délais de paiement suspendant les effets de cette clause.

Le juge des référés a constaté que les conditions d’application de la clause résolutoire étaient remplies mais a suspendu ses effets en accordant aux locataires un échéancier de trente-six mensualités de 60 euros. Il a condamné solidairement les défendeurs au paiement provisionnel de 2 564,90 euros, précisant que le défaut de paiement d’une seule échéance rendrait la totalité de la dette exigible et entraînerait la résiliation du bail.

Cette décision met en lumière le pouvoir modérateur du juge face à la clause résolutoire (I) tout en organisant un mécanisme conditionnel de maintien dans les lieux (II).

I. Le constat tempéré de l’acquisition de la clause résolutoire

Le juge reconnaît la réunion des conditions formelles de la clause résolutoire (A) avant d’exercer son pouvoir de suspension prévu par la loi (B).

A. La vérification des conditions légales du commandement de payer

Le juge des référés a procédé à un contrôle rigoureux du respect des exigences posées par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifié. Le commandement de payer délivré le 2 juillet 2024 devait contenir, à peine de nullité, les mentions énumérées par ce texte. L’ordonnance relève que « Monsieur [W] et Madame [O] n’ont pas payé l’intégralité des loyers impayés visés au commandement dans le délai de deux mois ».

La régularité formelle du commandement conditionne l’acquisition de la clause résolutoire. Le juge a également vérifié la saisine préalable de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, obligation incombant aux bailleurs personnes morales en application du paragraphe II de l’article 24. Cette formalité substantielle, accomplie le 12 juin 2024, rendait recevable l’assignation délivrée le 19 février 2025.

Le contrôle opéré par le juge porte tant sur la validité intrinsèque du commandement que sur le respect des délais procéduraux. L’écoulement du délai de six semaines sans paiement intégral entraîne mécaniquement l’acquisition de la clause. Le juge constate ainsi que « les conditions d’application de la clause résolutoire insérée au bail sont remplies ».

B. L’exercice du pouvoir de suspension des effets de la clause

Le paragraphe VII de l’article 24 confère au juge la faculté de suspendre les effets de la clause résolutoire « pendant le cours des délais accordés ». Cette prérogative s’exerce à une double condition : la demande du bailleur ou du locataire et la reprise du versement intégral du loyer courant avant l’audience.

L’ordonnance relève l’absence d’opposition du bailleur à l’octroi de délais. Cette position facilite l’exercice du pouvoir modérateur du juge. La proposition des locataires de verser mensuellement 60 euros témoigne de leur volonté d’apurer la dette. Le juge apprécie souverainement la capacité des débiteurs à respecter l’échéancier envisagé.

Le choix de suspendre plutôt que de prononcer immédiatement la résiliation traduit une conception protectrice du droit au logement. Le juge préserve le lien contractuel tout en garantissant les droits du créancier. L’équilibre ainsi recherché s’inscrit dans la philosophie de la loi du 27 juillet 2023 qui a renforcé les mécanismes de prévention des expulsions.

II. L’organisation d’un maintien conditionnel dans les lieux

Le juge structure un échéancier adapté à la situation des locataires (A) tout en prévoyant les conséquences d’une défaillance dans son exécution (B).

A. L’aménagement d’un échéancier sur trente-six mois

La dette locative arrêtée au 23 avril 2025 s’élevait à 2 564,90 euros. Le juge a accordé un échéancier de trente-six mensualités de 60 euros, la dernière étant majorée du solde. Cette durée maximale autorisée par le paragraphe V de l’article 24 déroge au délai de droit commun de l’article 1343-5 du code civil.

L’ordonnance précise que les mensualités sont « payables en plus du loyer courant le 15 de chaque mois ». Cette exigence cumulative impose aux locataires un effort financier mensuel d’environ 734 euros. Le juge a implicitement considéré cette charge compatible avec leurs ressources malgré les difficultés invoquées de la micro-entreprise.

La première échéance court à compter du quinzième jour du mois suivant la signification du jugement. Ce point de départ différé accorde aux locataires un délai d’organisation. L’échéancier ainsi conçu concilie la nécessaire protection du débiteur avec le droit du créancier au recouvrement de sa créance.

B. Le mécanisme de déchéance du terme et ses conséquences

L’ordonnance prévoit qu’à défaut de paiement d’une seule mensualité, « la totalité de la dette redeviendra exigible dans un délai de 8 jours après mise en demeure restée infructueuse ». Cette clause de déchéance du terme renforce la pression sur les débiteurs.

Le paragraphe VII de l’article 24 dispose que « cette suspension prend fin dès le premier impayé ». Le juge a fidèlement appliqué ce mécanisme en précisant qu’à compter de la déchéance, « le contrat de bail sera résilié et il pourra être procédé à l’expulsion ». La formule dispense le bailleur d’une nouvelle saisine du tribunal.

L’indemnité d’occupation conditionnelle, égale au montant des loyers et charges, garantit l’indemnisation du bailleur pendant la période d’occupation sans titre. Le rejet de la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile tempère toutefois la charge financière pesant sur les locataires défaillants. Le juge a estimé qu’il n’était pas inéquitable de laisser les frais irrépétibles à la charge du bailleur social.

Cette ordonnance illustre l’office contemporain du juge des contentieux de la protection dans le contentieux locatif. Sans nier l’existence de la dette ni la validité de la clause résolutoire, le magistrat aménage une voie médiane préservant temporairement le maintien dans les lieux. La solution retenue repose sur un pari : la capacité des locataires à honorer un engagement de trente-six mois. L’avenir dira si ce pari était raisonnable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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