Tribunal judiciaire de Grenoble, le 19 juin 2025, n°25/00452

Le contentieux des baux d’habitation constitue un terrain d’observation privilégié de l’équilibre entre les prérogatives du bailleur et la protection du locataire défaillant. L’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Grenoble le 19 juin 2025 illustre le mécanisme rigoureux de la clause résolutoire en matière locative.

Une société d’économie mixte gérant un parc de logements sociaux a consenti, par acte du 1er mai 2022, un bail d’habitation portant sur un logement conventionné moyennant un loyer mensuel de 464,49 euros hors charges. En juillet 2024, l’une des colocataires a notifié sa volonté de résilier le contrat. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer le 6 décembre 2024 un commandement de payer visant une dette de 2 897,56 euros. La commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives de l’Isère a été saisie le 3 décembre 2024. Par assignation du 19 février 2025, le bailleur a sollicité du juge des référés le constat de la résiliation du bail et l’expulsion des occupants. Le préfet de l’Isère a reçu notification de cette assignation le 20 février 2025.

Le bailleur demandait le constat de l’acquisition de la clause résolutoire, l’expulsion des locataires, leur condamnation solidaire au paiement d’une provision sur arriérés locatifs et l’allocation d’une indemnité d’occupation. A l’audience du 13 mai 2025, il s’est désisté de ses demandes à l’encontre de la colocataire démissionnaire tout en maintenant l’intégralité de ses prétentions contre le locataire restant. Ce dernier, bien que régulièrement convoqué selon les formes de l’article 656 du code de procédure civile, n’a pas comparu.

La question soumise au juge des référés était de déterminer si les conditions d’acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail étaient réunies et si, en l’absence de reprise du paiement du loyer courant, des délais de paiement pouvaient être accordés au locataire défaillant.

Le juge des contentieux de la protection a constaté la résiliation du bail à compter du 6 février 2025, ordonné l’expulsion du locataire et de tout occupant de son chef deux mois après signification du commandement de quitter les lieux, et condamné celui-ci au paiement d’une provision de 6 349,95 euros outre une indemnité d’occupation. Le juge a relevé que « Monsieur [H] présente une dette locative depuis le mois d’août 2024, il ne s’est pas manifesté ni à l’audience ni dans le cadre de l’enquête sociale et il n’a pas repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience, ce qui représente un obstacle à l’octroi de délais de paiement ».

Cette décision invite à examiner successivement le jeu de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation (I) puis les conditions d’octroi des délais de paiement et leurs conséquences sur l’expulsion du locataire défaillant (II).

I. Le mécanisme de la clause résolutoire en matière locative

Le juge des référés a été conduit à vérifier tant les conditions formelles du commandement de payer (A) que la réunion des conditions substantielles de l’acquisition de la clause résolutoire (B).

A. Le formalisme protecteur du commandement de payer

L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 27 juillet 2023 énumère de façon exhaustive les mentions obligatoires du commandement de payer. Ce texte impose notamment l’indication du délai de six semaines dont dispose le locataire pour régler sa dette, le décompte détaillé des sommes réclamées, l’avertissement des risques encourus et l’information sur les possibilités de saisine du fonds de solidarité pour le logement.

Le juge a implicitement validé la régularité formelle du commandement délivré le 6 décembre 2024. Cette validation résulte de l’absence de toute contestation sur ce point et du constat de l’acquisition de la clause résolutoire. Le législateur a voulu que le locataire soit pleinement informé de la gravité de sa situation et des voies de recours qui s’offrent à lui avant que la clause résolutoire ne produise ses effets. Cette exigence de transparence s’inscrit dans un mouvement de renforcement de la protection du locataire que la loi de 2023 a accentué en portant le délai de régularisation de deux mois à six semaines.

La sanction de l’inobservation de ces prescriptions est la nullité du commandement, privant ainsi la clause résolutoire de tout effet. En l’espèce, le locataire n’ayant pas comparu, aucun moyen tiré de l’irrégularité formelle n’a été soulevé. Le juge n’était pas tenu de relever d’office une éventuelle irrégularité dès lors qu’elle ne constituait pas un moyen d’ordre public.

B. L’acquisition de la clause résolutoire par l’écoulement du temps

L’ordonnance retient que le locataire « n’a pas payé l’intégralité des loyers impayés visés au commandement dans le délai de deux mois à compter du commandement de payer ». Cette formulation appelle une observation. La loi du 27 juillet 2023 a substitué au délai historique de deux mois un délai de six semaines. La référence aux deux mois dans la décision pourrait s’expliquer par une application des dispositions transitoires ou par une inadvertance rédactionnelle sans incidence sur la solution.

La clause résolutoire, stipulation contractuelle par laquelle les parties conviennent que le contrat sera résilié de plein droit en cas de manquement déterminé, produit ses effets à l’expiration du délai légal. Le juge se borne à constater cette résiliation sans la prononcer. Son pouvoir est lié dès lors que les conditions textuelles sont réunies. L’ordonnance fixe la date de résiliation au 6 février 2025, soit à l’expiration du délai suivant le commandement du 6 décembre 2024.

Le bailleur social avait parallèlement respecté l’obligation de saisine préalable de la CCAPEX prévue au II de l’article 24 pour les bailleurs personnes morales. Cette formalité substantielle conditionne la recevabilité de l’assignation. Le délai de deux mois entre la saisine et l’assignation était écoulé, l’assignation ayant été délivrée le 19 février 2025 pour une saisine du 3 décembre 2024.

II. L’impossibilité d’accorder des délais au locataire non comparant

L’absence de reprise du paiement du loyer courant avant l’audience ferme l’accès aux délais de paiement (A), entraînant le prononcé de l’expulsion assorti de mesures protectrices du locataire (B).

A. Le préalable de la reprise du versement du loyer courant

Le V de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 subordonne l’octroi de délais de paiement à une double condition. Le locataire doit être en situation de régler sa dette locative et avoir repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience. Ces exigences cumulatives traduisent la volonté du législateur de réserver le bénéfice des délais aux locataires manifestant une capacité et une volonté de redressement.

Le juge relève expressément que le locataire « n’a pas repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience, ce qui représente un obstacle à l’octroi de délais de paiement ». Cette constatation suffit à écarter tout aménagement temporel de la dette. Le locataire ne s’était d’ailleurs pas présenté à l’audience ni manifesté dans le cadre de l’enquête sociale diligentée par les services préfectoraux.

La jurisprudence fait une application stricte de cette condition. Le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation pour accorder des délais lorsque le loyer courant n’est pas acquitté. Cette rigueur s’explique par le souci d’éviter l’aggravation de la dette pendant la période de suspension de la clause résolutoire. Le locataire qui ne peut assumer le paiement du loyer courant ne serait pas en mesure de respecter un échéancier incluant le remboursement de l’arriéré.

B. Les garanties procédurales entourant l’expulsion

L’ordonnance prononce l’expulsion avec le tempérament d’un délai de deux mois suivant la signification du commandement de quitter les lieux. Elle rappelle les dispositions protectrices relatives à la trêve hivernale interdisant l’exécution des mesures d’expulsion entre le 1er novembre et le 31 mars. Elle mentionne également le sort des meubles selon le régime du code des procédures civiles d’exécution.

Le juge a ajouté un rappel inhabituel en précisant que « le bailleur doit également faire preuve de bonne foi et de loyauté dans l’exécution de ses obligations ». Cette mention, sans portée normative directe, constitue un avertissement au bailleur sur les modalités d’exécution de la décision. Elle trouve son fondement dans l’article 1104 du code civil imposant l’exécution de bonne foi des conventions.

La condamnation provisionnelle du locataire à hauteur de 6 349,95 euros couvre les loyers, charges et indemnités d’occupation arrêtés au 9 mai 2025. Le juge des référés, statuant au provisoire, peut allouer une provision dès lors que l’obligation n’est pas sérieusement contestable. L’absence de comparution du locataire et la production du décompte détaillé par le bailleur établissaient le caractère non sérieusement contestable de la créance.

Le rejet de la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile mérite attention. Le juge a estimé qu’il ne serait pas inéquitable de laisser les frais irrépétibles à la charge du bailleur. Cette solution, favorable au locataire défaillant non comparant, témoigne peut-être d’une appréciation tenant compte du déséquilibre économique entre un bailleur social institutionnel et un locataire manifestement en difficulté.

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Hassan KOHEN
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