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Le bail d’habitation porte en lui une tension permanente entre la protection du logement et le respect des obligations contractuelles. L’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Grenoble le 19 juin 2025 illustre cette tension à travers le mécanisme de la clause résolutoire pour impayés de loyer.
En l’espèce, un bailleur social avait consenti par acte sous seing privé du 4 mars 2005 un bail portant sur un logement conventionné et un garage. Le locataire ayant cessé de régler ses loyers depuis août 2022, le bailleur lui fit signifier le 26 novembre 2024 un commandement de payer visant une dette de 2 432,18 euros ainsi qu’une mise en demeure de justifier d’une assurance locative. Par courriers du 29 octobre 2024, la caisse d’allocations familiales et la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives de l’Isère furent saisies. Le locataire n’ayant pas régularisé sa situation, le bailleur l’assigna devant le juge des référés par acte du 12 février 2025 aux fins de constat de la résiliation du bail et d’expulsion. L’assignation fut notifiée au préfet le même jour. A l’audience du 13 mai 2025, le bailleur maintint ses demandes en produisant un décompte arrêté au 29 avril 2025 à la somme de 4 572,92 euros. Le locataire, régulièrement convoqué selon les modalités de l’article 656 du code de procédure civile, ne comparut pas.
Le bailleur soutenait que la clause résolutoire devait produire ses effets faute de paiement dans le délai de deux mois suivant le commandement, et que l’expulsion devait être ordonnée. Le locataire, absent, ne présenta aucune défense ni demande de délais.
La question posée au juge était de déterminer si les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies et si des délais de paiement pouvaient être accordés au locataire défaillant.
Le juge des contentieux de la protection constate la résiliation du bail à compter du 26 janvier 2025, ordonne l’expulsion du locataire et le condamne au paiement provisionnel de la somme de 4 572,92 euros outre une indemnité d’occupation. Le juge relève que le locataire « présente une dette locative depuis le mois d’août 2022 » et que « le fait qu’il ne règle pas le loyer courant avant l’audience et qu’il n’a pas remis son justificatif relatif à l’assurance locative au bailleur fait obstacle à l’octroi de délais de paiement ».
Cette décision mérite examen tant au regard du mécanisme d’acquisition de la clause résolutoire strictement encadré par la loi (I) que des conditions restrictives posées à l’octroi de délais de paiement (II).
I. L’acquisition de la clause résolutoire : un mécanisme légal strictement encadré
Le juge des référés applique le dispositif issu de la loi du 6 juillet 1989 modifiée, dont l’article 24 organise minutieusement les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire (A), tout en imposant des formalités préalables destinées à prévenir les expulsions (B).
A. Les conditions substantielles de l’acquisition de la clause
L’article 24 I de la loi du 6 juillet 1989 dispose que « tout contrat de bail d’habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ». Cette clause ne produit effet que « six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux ».
En l’espèce, le commandement fut signifié le 26 novembre 2024 et le juge constate la résiliation à compter du 26 janvier 2025, soit exactement deux mois plus tard. Ce délai correspond à l’ancien régime antérieur à la loi du 27 juillet 2023 qui a réduit le délai à six semaines. L’application du délai de deux mois suggère que le commandement visait explicitement ce délai conformément aux stipulations contractuelles initiales.
Le juge relève que le locataire « n’a pas payé l’intégralité des loyers impayés visés au commandement dans le délai de deux mois » et que « le contrat de bail comporte une clause résolutoire de sorte qu’il y a lieu de constater la résiliation du bail ». Cette motivation, lapidaire mais suffisante, correspond à l’office du juge des référés qui se borne à constater l’acquisition d’une clause dont les conditions sont objectivement réunies.
La clause résolutoire présente un caractère automatique dès lors que ses conditions sont satisfaites. Le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de la résiliation, sauf à examiner la possibilité d’en suspendre les effets par l’octroi de délais.
B. Les formalités préventives imposées aux bailleurs sociaux
La loi du 27 juillet 2023 a considérablement renforcé les obligations procédurales pesant sur les bailleurs personnes morales. L’article 24 II impose que ceux-ci ne peuvent « faire délivrer, sous peine d’irrecevabilité de la demande, une assignation aux fins de constat de résiliation du bail avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant la saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives ».
L’ordonnance mentionne que « par courriers datés du 29 octobre 2024, le bailleur a saisi la CAF et la CCAPEX de l’Isère de la situation d’impayé du locataire, au sens de l’article R.351-30 du code de la construction et de l’habitation ». L’assignation datant du 12 février 2025, le délai de deux mois était respecté.
De même, l’article 24 III impose la notification de l’assignation au préfet « au moins six semaines avant l’audience ». L’assignation fut notifiée le 12 février 2025 pour une audience tenue le 13 mai 2025, soit un délai largement supérieur. Le juge vérifie ainsi implicitement la recevabilité de l’action.
Ces formalités traduisent la volonté du législateur d’instaurer un dispositif de prévention des expulsions en permettant l’intervention des services sociaux avant toute décision judiciaire. Leur non-respect est sanctionné par l’irrecevabilité, ce qui confère au contrôle du juge un caractère substantiel malgré sa nature de référé.
II. Le refus des délais de paiement : une appréciation conditionnée par l’attitude du locataire
L’article 24 V de la loi du 6 juillet 1989 ouvre au juge la faculté d’accorder des délais de paiement sous certaines conditions que le locataire doit impérativement satisfaire (A). L’absence de comparution du débiteur compromet gravement ses chances d’obtenir une telle mesure (B).
A. Les conditions légales d’octroi des délais de paiement
L’article 24 V dispose que le juge peut accorder des délais de paiement « à la condition que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu’il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». Ces deux conditions sont cumulatives et leur défaut interdit au juge d’exercer son pouvoir modérateur.
Le juge relève en l’espèce que le locataire « ne règle pas le loyer courant avant l’audience » et qu’il « n’a pas remis son justificatif relatif à l’assurance locative au bailleur ». La première constatation suffit à elle seule à exclure l’octroi de délais. La dette locative, constituée depuis août 2022, témoigne d’une situation d’impayé ancienne et persistante sans aucune manifestation de volonté d’apurement.
La réforme de 2023 a durci les conditions d’accès aux délais en exigeant non seulement une capacité abstraite de remboursement mais une reprise effective des paiements courants. Cette exigence vise à réserver le bénéfice des délais aux locataires démontrant une volonté concrète de régularisation, excluant ceux dont l’inertie traduit une impossibilité ou un refus de payer.
Le juge peut également vérifier d’office « tout élément constitutif de la dette locative » selon l’article 24 V alinéa 3. En l’espèce, le décompte produit par le bailleur n’a fait l’objet d’aucune contestation, le locataire étant absent.
B. Les conséquences de la non-comparution du locataire
La non-comparution du locataire, bien que ne constituant pas en soi un obstacle à l’examen de sa situation, prive le juge des éléments nécessaires à l’appréciation d’une éventuelle mesure de faveur. L’ordonnance est rendue de manière « réputée contradictoire », le locataire ayant été régulièrement convoqué selon les formes de l’article 656 du code de procédure civile.
Le juge ne peut accorder de délais d’office qu’à la condition de disposer d’éléments permettant d’apprécier la capacité du locataire à régler sa dette. L’absence de diagnostic social et financier exploitable, combinée à l’absence de reprise des loyers courants, interdit toute suspension des effets de la clause résolutoire.
La formule utilisée par le juge selon laquelle ces éléments « font obstacle à l’octroi de délais de paiement » traduit une impossibilité juridique et non un choix discrétionnaire. Le locataire qui ne se manifeste pas et ne reprend pas ses paiements se place lui-même hors du champ protecteur de l’article 24 V.
La condamnation provisionnelle à hauteur de 4 572,92 euros et l’indemnité d’occupation mensuelle complètent le dispositif. Le juge des référés exerce ici pleinement sa compétence en matière de provision sur créance non sérieusement contestable, la dette locative résultant d’un décompte non contesté.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle la clause résolutoire, une fois acquise, ne peut être paralysée que par le locataire lui-même à travers une démarche active de régularisation. Le juge des contentieux de la protection, malgré sa vocation protectrice, demeure lié par les conditions légales qui subordonnent l’exercice de son pouvoir modérateur à l’attitude du débiteur.