Tribunal judiciaire de Grenoble, le 19 juin 2025, n°25/00480

L’obligation de payer le loyer constitue l’essence même du contrat de bail. Son inexécution prolongée expose le locataire défaillant à la résiliation de son titre d’occupation et à son expulsion. L’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Grenoble le 19 juin 2025 illustre le fonctionnement de ce mécanisme.

Une société bailleresse a consenti, par acte sous seing privé du 28 juin 2022, un bail d’habitation portant sur un logement conventionné moyennant un loyer mensuel de 628,27 euros. Le locataire a cessé de régler ses loyers à compter de décembre 2022. Face à cette situation d’impayé, la bailleresse lui a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire le 2 février 2024, pour une somme de 2 314,46 euros. Ce commandement est demeuré infructueux. La commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives a été saisie le 30 janvier 2024 conformément aux exigences légales. Par assignation signifiée le 21 février 2025, la société bailleresse a saisi le juge des référés aux fins de constat de la résiliation du bail et d’expulsion du locataire. Cette assignation a été notifiée au préfet de l’Isère le 24 février 2025.

Le locataire n’a pas comparu à l’audience du 13 mai 2025. La bailleresse a maintenu ses demandes en produisant un décompte actualisé faisant apparaître une dette de 12 178,83 euros, précisant que le locataire ne réglait plus rien depuis dix-huit mois.

La question posée au juge était de déterminer si les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire étaient réunies et si des délais de paiement pouvaient être accordés au locataire défaillant.

Le juge des contentieux de la protection a constaté la résiliation du bail à compter du 2 avril 2024, ordonné l’expulsion du locataire et l’a condamné au paiement provisionnel de la dette locative ainsi qu’à une indemnité d’occupation jusqu’à la libération effective des lieux.

Cette décision invite à examiner successivement le constat de la résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire (I), puis les conséquences tirées de cette résiliation (II).

I. Le constat de la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire

Le juge procède au constat de l’acquisition de la clause résolutoire (A) après avoir vérifié le respect des conditions légales préalables (B).

A. La vérification des conditions procédurales préalables

L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, modifié par la loi du 27 juillet 2023, soumet le constat de la résiliation du bail à plusieurs formalités impératives. Le commandement de payer doit contenir des mentions obligatoires à peine de nullité, notamment l’indication du délai de six semaines dont dispose le locataire pour payer sa dette, le montant mensuel du loyer et des charges, le décompte de la dette, ainsi que l’avertissement des conséquences du défaut de paiement.

Pour les bailleurs personnes morales, l’assignation aux fins de constat de résiliation ne peut être délivrée « avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant la saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives ». Cette saisine préalable, prévue au II de l’article 24, constitue une condition de recevabilité de la demande. En l’espèce, la bailleresse a saisi cette commission le 30 janvier 2024, soit antérieurement au commandement du 2 février 2024 et bien avant l’assignation du 21 février 2025. Le délai de deux mois était donc largement respecté.

L’assignation doit également être notifiée au représentant de l’État « au moins six semaines avant l’audience » conformément au III de l’article 24. Cette notification permet au préfet de saisir l’organisme compétent pour réaliser un diagnostic social et financier. En l’espèce, l’assignation a été notifiée au préfet le 24 février 2025 pour une audience fixée au 13 mai 2025, soit un délai de plus de onze semaines. Cette exigence était donc satisfaite.

Le juge a ainsi pu constater la régularité de la procédure sans que la recevabilité de la demande ne soit affectée par un vice de forme.

B. Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire

La clause résolutoire, stipulée dans le bail conformément au I de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, « ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux ». Le juge ne prononce pas la résiliation mais se borne à constater que les conditions de son acquisition sont réunies. Cette distinction entre constat et prononcé de la résiliation traduit le caractère automatique du mécanisme contractuel.

Le juge relève que « Monsieur [Y] [V] n’a pas payé l’intégralité des loyers impayés visés au commandement dans le délai de deux mois à compter du commandement de payer et le contrat de bail comporte une clause résolutoire ». Il constate ainsi que le commandement du 2 février 2024 est demeuré infructueux, ce qui a entraîné l’acquisition de la clause résolutoire au 2 avril 2024, soit six semaines après sa signification.

Cette date de résiliation revêt une importance particulière car elle marque le moment où le locataire perd son titre d’occupation et devient occupant sans droit ni titre. À compter de cette date, les sommes dues ne constituent plus des loyers mais des indemnités d’occupation. Le juge fixe cette date au 2 avril 2024, ce qui correspond au terme du délai de six semaines prévu par le texte.

II. Les conséquences de la résiliation du bail

La résiliation du bail emporte l’expulsion du locataire (A) et sa condamnation au paiement des sommes dues (B).

A. L’expulsion de l’occupant sans droit ni titre

Le constat de la résiliation du bail prive le locataire de tout titre d’occupation. Le juge ordonne son expulsion « deux mois après la signification du commandement d’avoir à quitter les lieux » et précise qu’il y sera procédé « au besoin avec le concours de la force publique ».

Le juge rappelle que « les opérations d’expulsion ne pourront pas être mises en œuvre entre le 1er novembre de chaque année et le 31 mars de l’année suivante ». Cette période de trêve hivernale, prévue par l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, suspend l’exécution des mesures d’expulsion à l’égard des occupants de locaux d’habitation principale. Elle constitue une protection temporaire qui ne remet pas en cause le principe de l’expulsion mais en diffère seulement l’exécution.

L’ordonnance refuse d’accorder des délais de paiement au locataire. Le V de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 subordonne cette faculté à une double condition : « que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu’il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». Le juge constate que le locataire « ne s’est manifesté ni dans le cadre de l’enquête sociale, ni à l’audience et le fait qu’il ne règle pas le loyer courant avant l’audience fait obstacle à l’octroi de délais de paiement ». L’absence de reprise du paiement du loyer courant constitue un obstacle dirimant à l’octroi de délais, quand bien même le juge disposerait du pouvoir de les accorder d’office.

Cette solution s’inscrit dans la logique de la loi du 27 juillet 2023 qui a renforcé les exigences pesant sur le locataire souhaitant bénéficier d’une suspension des effets de la clause résolutoire. Le législateur a entendu réserver cette faveur aux locataires qui manifestent une volonté concrète de régulariser leur situation.

B. La condamnation au paiement des sommes dues

Le juge condamne le locataire « à titre provisionnel » au paiement de la somme de 12 178,83 euros au titre des loyers, des charges et des indemnités d’occupation arrêtés au 7 mai 2025. Le caractère provisionnel de cette condamnation s’explique par la nature du référé : le juge statue « au principal » en renvoyant les parties à se pourvoir, conformément à la formule consacrée.

Cette condamnation provisionnelle se fonde sur l’article 834 du code de procédure civile qui permet au juge des référés d’« ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ». L’absence du locataire à l’audience et l’existence d’un décompte détaillé établissent l’absence de contestation sérieuse quant au montant de la créance.

Le juge fixe également une indemnité d’occupation mensuelle « égale au montant du loyer et des charges qui auraient été dus en cas de non-résiliation du bail ». Cette indemnité, due à compter de la résiliation jusqu’à la libération effective des lieux, compense le préjudice subi par le bailleur du fait de l’occupation sans titre de son bien. Son montant, calqué sur celui du loyer contractuel, correspond à la jurisprudence constante en la matière.

Le juge rejette la demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile en estimant qu’« il ne paraît pas inéquitable de laisser les frais irrépétibles à la charge de la bailleresse ». Cette solution peut surprendre dès lors que le locataire succombe entièrement dans ses défenses. Elle traduit néanmoins le pouvoir souverain d’appréciation du juge en cette matière et peut s’expliquer par la situation économique précaire du locataire défaillant.

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Hassan KOHEN
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