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Par un jugement du 19 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Grenoble, statuant en matière de contentieux de la protection, a prononcé la déchéance du droit aux intérêts d’un établissement de crédit dans le cadre d’une location avec option d’achat portant sur un véhicule automobile.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Le 4 octobre 2019, un établissement de crédit spécialisé a conclu avec deux époux un contrat de location avec option d’achat portant sur un véhicule Peugeot 208 GT Line, pour une durée de 37 mois. Des impayés sont survenus à compter de février 2023, conduisant le bailleur à se prévaloir de la déchéance du terme.
Par actes de commissaire de justice du 29 janvier 2025, l’établissement de crédit a assigné solidairement les deux locataires devant le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Grenoble. Il sollicitait leur condamnation au paiement de la somme de 12 468,86 euros, outre intérêts au taux légal, la capitalisation des intérêts, la restitution du véhicule sous astreinte ainsi qu’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Les défendeurs, régulièrement cités, n’ont pas comparu.
Le tribunal a relevé d’office plusieurs moyens tirés du non-respect des dispositions du code de la consommation. Il a constaté que l’encadré de l’offre de crédit ne comportait pas le montant en euros des loyers, que le bailleur ne produisait pas le double de l’information sur les risques encourus adressée dès le premier incident de paiement, et que la fiche précontractuelle d’informations ne mentionnait ni le montant des loyers ni le coût total de la location assurance comprise.
La question posée au tribunal était la suivante : quelles sont les conséquences de la méconnaissance par un bailleur, dans le cadre d’une location avec option d’achat, des obligations d’information précontractuelle et contractuelle prévues par le code de la consommation ?
Le tribunal a prononcé la déchéance du droit aux intérêts du bailleur en application des articles L.341-1 et suivants du code de la consommation. Il a réduit la créance à la somme de 1 208,47 euros, correspondant au prix d’achat hors taxes du véhicule diminué des versements effectués. Il a écarté la majoration de cinq points de l’intérêt légal ainsi que la capitalisation des intérêts, et a débouté le demandeur de ses demandes d’astreinte et de frais irrépétibles.
Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle illustre le contrôle d’office exercé par le juge des contentieux de la protection sur le respect des dispositions protectrices du code de la consommation. Elle invite à examiner successivement les conditions de la déchéance du droit aux intérêts prononcée à l’encontre du bailleur (I), avant d’en apprécier les conséquences sur le calcul de la créance résiduelle (II).
I. La sanction de la méconnaissance des obligations d’information du bailleur
Le tribunal retient trois manquements distincts aux obligations d’information pesant sur le bailleur (A), dont la combinaison justifie la déchéance totale du droit aux intérêts (B).
A. La caractérisation de manquements multiples aux exigences du code de la consommation
Le tribunal relève en premier lieu que « l’encadré de l’offre de crédit ne comporte pas le montant en euros des loyers mais seulement le pourcentage (1,80%) du prix TTC ». Cette omission contrevient aux dispositions des articles L.312-14, R.312-10 et R.312-14 du code de la consommation, qui imposent que l’encadré fasse apparaître les caractéristiques essentielles du contrat. Le montant des loyers constitue précisément une information déterminante pour le consommateur, qui doit pouvoir apprécier immédiatement la portée de son engagement.
Le tribunal constate ensuite que « le bailleur ne produit pas le double de l’information sur les risques encourus adressée dès le premier incident de paiement en vertu de l’article L.312-36 ». Cette disposition impose au prêteur, applicable par renvoi à la location avec option d’achat en vertu de l’article L.312-2 du code de la consommation, d’alerter l’emprunteur sur les conséquences d’un défaut de paiement. L’absence de production de ce document établit que le bailleur n’a pas satisfait à cette obligation lors du premier impayé survenu en février 2023.
Le tribunal relève enfin que « la fiche pré contractuelle ne mentionne pas le montant des loyers ni le coût total de la location, assurance comprise ». Or le consommateur avait souscrit une assurance facultative. La fiche d’information précontractuelle européenne normalisée doit, conformément aux articles L.312-7 et L.312-12 du code de la consommation, permettre au consommateur de comparer les offres et d’appréhender le coût global de l’opération. Cette lacune prive le consommateur d’une information essentielle à son consentement éclairé.
Ces trois manquements, relevés d’office par le juge en application de l’article R.632-1 du code de la consommation, attestent d’une méconnaissance substantielle des obligations d’information tant précontractuelles que contractuelles.
B. Le prononcé de la déchéance totale du droit aux intérêts
Le tribunal tire les conséquences de ces manquements en prononçant la déchéance du droit aux intérêts sur le fondement des articles L.341-1 et suivants du code de la consommation. Cette sanction, qui prive le prêteur de toute rémunération de son concours financier, constitue la réponse légale aux irrégularités affectant la formation du contrat de crédit.
La déchéance du droit aux intérêts présente un caractère automatique dès lors que les conditions en sont réunies. Le juge ne dispose d’aucun pouvoir modérateur. La multiplicité des manquements constatés en l’espèce renforce la légitimité de cette sanction, qui vise à assurer l’effectivité des règles protectrices du consommateur.
Le tribunal précise que cette sanction emporte également exclusion de la majoration de cinq points de l’intérêt légal prévue par l’article L.313-3 alinéa 2 du code monétaire et financier. Il justifie cette solution par la nécessité de « garantir l’effectivité de la sanction de la déchéance du droit de percevoir les intérêts ». Cette précision revêt une importance pratique considérable. Admettre la majoration reviendrait à permettre au prêteur fautif de reconstituer indirectement une partie de sa rémunération par le jeu des intérêts moratoires.
Le refus d’ordonner la capitalisation des intérêts s’inscrit dans la même logique. L’anatocisme aurait permis une aggravation de la dette du consommateur incompatible avec la finalité de la sanction prononcée.
II. Les modalités de liquidation de la créance résiduelle
Le prononcé de la déchéance du droit aux intérêts impose une reconfiguration complète du calcul de la créance (A), dont les conséquences s’avèrent particulièrement favorables aux locataires défaillants (B).
A. L’application d’une méthode de calcul conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation
Le tribunal, après avoir prononcé la déchéance du droit aux intérêts, doit déterminer le montant de la créance résiduelle du bailleur. Il se réfère explicitement à la jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation selon laquelle « la créance du loueur s’élève au prix d’achat du véhicule diminué des versements effectués et du prix de revente » (Cass. 1re civ., 1er décembre 1993, n° 91-20894).
Cette méthode de calcul est propre à la location avec option d’achat et diffère du régime applicable au crédit affecté classique. Elle tient compte de la spécificité de l’opération, dans laquelle le bailleur demeure propriétaire du bien pendant toute la durée du contrat et conserve la possibilité de le revendre en cas de défaillance du locataire.
Le tribunal apporte une précision importante concernant l’assiette du calcul. Il retient que « le prix d’achat doit s’entendre hors taxes puisque la société anonyme CREDIPAR ne reversera pas la TVA ». Cette solution, fondée sur le principe de la réparation intégrale sans enrichissement, évite que le bailleur ne perçoive une somme correspondant à une taxe qu’il ne supportera pas in fine. Le prix d’achat hors taxes du véhicule est ainsi fixé à 21 807,74 euros.
Les versements effectués par les locataires s’élèvent à 20 599,27 euros selon l’historique produit aux débats. La différence, soit 1 208,47 euros, constitue le montant de la condamnation prononcée. Cette somme est assortie des intérêts au taux légal non majoré à compter de la signification du jugement.
B. Une réduction considérable de la créance initialement réclamée
La comparaison entre la somme initialement réclamée (12 468,86 euros) et celle finalement allouée (1 208,47 euros) révèle l’ampleur de la réduction opérée par le tribunal. Le bailleur n’obtient que 9,7 % de sa demande initiale. Cette disproportion illustre les conséquences financières majeures de la méconnaissance des obligations d’information du code de la consommation.
Le tribunal ordonne par ailleurs la restitution du véhicule, qui demeure la propriété du bailleur en l’absence d’exercice de l’option d’achat par les locataires. Il précise que « le prix de revente du véhicule sera déduit des sommes dues » et que « le reliquat devra leur être restitué ». Cette disposition est favorable aux locataires dans la mesure où la valeur résiduelle du véhicule excède vraisemblablement le montant de la condamnation prononcée.
Le tribunal refuse d’assortir la restitution d’une astreinte, relevant qu’il « n’y a pas lieu de prévoir une restitution sous astreinte au vu de la créance de la société CREDIPAR manifestement inférieure au prix de revente du véhicule ». Cette motivation révèle une appréciation pragmatique de la situation. Le bailleur n’a pas d’intérêt véritable à obtenir rapidement la restitution d’un véhicule dont la vente générera un excédent au profit des locataires.
Le rejet de la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile parachève la sanction du bailleur. Le tribunal estime qu’aucune considération d’équité ne commande de faire droit à cette demande. Cette solution se comprend aisément au regard des manquements constatés. Le bailleur, qui a méconnu ses obligations d’information, ne saurait obtenir le remboursement de frais exposés pour tenter de recouvrer une créance en grande partie injustifiée.