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Le contentieux locatif constitue un domaine dans lequel le législateur cherche à concilier la protection du bailleur créancier et le maintien dans les lieux du locataire défaillant. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Grenoble le 19 juin 2025 illustre cette articulation délicate entre les effets de la clause résolutoire et le pouvoir modérateur du juge.
En l’espèce, un syndicat des copropriétaires avait consenti un bail d’habitation le 6 mars 2018 portant sur un logement situé à Grenoble, moyennant un loyer mensuel de 443,25 euros. Le locataire ayant cessé de régler régulièrement ses loyers, le bailleur lui a fait signifier un commandement de payer le 19 septembre 2024 pour une somme de 1 906,76 euros. La commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives a été saisie le lendemain. Le commandement étant demeuré infructueux dans le délai légal de six semaines, le syndicat des copropriétaires a assigné le locataire devant le juge des contentieux de la protection le 11 février 2025 aux fins de constat de l’acquisition de la clause résolutoire et d’expulsion.
Le locataire, comparant en personne à l’audience du 13 mai 2025, a sollicité des délais de paiement et manifesté sa volonté de conserver son logement. Le bailleur, dont la créance s’était réduite à 923,73 euros à cette date en raison d’un règlement de 3 099 euros intervenu en avril, ne s’opposait pas à l’octroi de tels délais.
La question posée au juge était de déterminer si, alors même que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies, il pouvait suspendre les effets de cette clause et accorder au locataire un échelonnement de sa dette.
Le juge constate que les conditions d’application de la clause résolutoire sont remplies mais en suspend les effets. Il condamne le locataire au paiement de la somme de 923,73 euros avec intérêts au taux légal et l’autorise à s’en acquitter en seize mensualités de 58 euros. Il précise qu’à défaut de paiement d’une seule échéance, la totalité de la dette redeviendra exigible et le bail sera résilié, permettant alors l’expulsion sans nouvelle saisine du tribunal.
Cette décision met en lumière tant le mécanisme de la clause résolutoire encadrée par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 (I) que l’exercice du pouvoir souverain du juge dans l’octroi de délais suspensifs (II).
I. Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire soumis à un formalisme rigoureux
Le régime juridique de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation répond à des exigences procédurales strictes (A), dont le respect conditionne la recevabilité même de l’action du bailleur (B).
A. Les conditions substantielles de mise en œuvre de la clause résolutoire
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023, dispose que « tout contrat de bail d’habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ». Cette clause ne produit toutefois effet que « six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux ».
Le commandement de payer constitue ainsi l’acte déclencheur du mécanisme résolutoire. Il doit, à peine de nullité, contenir plusieurs mentions obligatoires énumérées par le texte. Le juge grenoblois relève que le commandement signifié le 19 septembre 2024 était régulier et que le locataire « n’a pas payé l’intégralité des loyers impayés visés au commandement dans le délai de deux mois à compter du commandement de payer ». Le jugement mentionne un délai de deux mois, ce qui correspond à l’ancien régime, alors que le texte actuel prévoit six semaines. Cette formulation traduit vraisemblablement une reprise des termes du bail lui-même, conclu avant la réforme de 2023.
Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire apparaît comme une compétence liée du juge dès lors que les conditions légales sont réunies. La clause joue de plein droit, sans que le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation sur son principe. Cette automaticité distingue la résiliation de plein droit de la résiliation judiciaire prévue par les articles 1224 et suivants du code civil, laquelle suppose une appréciation de la gravité du manquement.
B. Les conditions procédurales de recevabilité de l’action
L’article 24 soumet la recevabilité de l’assignation aux fins de constat de résiliation à des formalités préalables substantielles. Pour les bailleurs personnes morales autres que les sociétés civiles familiales, l’assignation ne peut être délivrée « avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant la saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives ».
En l’espèce, le syndicat des copropriétaires a saisi cette commission par courrier du 20 septembre 2024, soit le lendemain de la signification du commandement. L’assignation n’a été délivrée que le 11 février 2025, respectant ainsi le délai requis. Le jugement relève également que l’assignation a été notifiée au préfet de l’Isère le 12 février 2025, conformément aux exigences du paragraphe III de l’article 24 qui impose cette notification « au moins six semaines avant l’audience ».
Ces formalités s’inscrivent dans une logique de prévention des expulsions. Elles permettent aux services sociaux d’intervenir en amont pour accompagner le locataire défaillant et rechercher des solutions alternatives à l’expulsion. Le législateur a ainsi créé un dispositif d’alerte et d’accompagnement qui retarde l’intervention du juge mais enrichit son information par la transmission d’un diagnostic social et financier.
II. L’exercice du pouvoir modérateur du juge au service du maintien dans les lieux
Le juge des contentieux de la protection dispose d’une faculté de tempérer les effets de la clause résolutoire par l’octroi de délais de paiement (A), pouvoir dont l’exercice emporte des conséquences conditionnelles sur la situation du locataire (B).
A. Les conditions d’octroi des délais suspensifs
Le paragraphe V de l’article 24 confère au juge le pouvoir d’accorder des délais de paiement « dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l’article 1343-5 du code civil ». Cette faculté n’est toutefois pas discrétionnaire. Elle est subordonnée à deux conditions cumulatives : le locataire doit être « en situation de régler sa dette locative » et avoir « repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ».
Le juge grenoblois relève « le montant de la dette locative et les règlements du loyer courant pendant les mois précédant l’audience » pour justifier l’octroi d’un échelonnement. Le versement de 3 099 euros effectué en avril 2025 démontrait la capacité du locataire à mobiliser des ressources significatives. La réduction de la dette de 1 906,76 euros à 923,73 euros témoignait d’un effort substantiel de régularisation.
L’échelonnement accordé prend la forme de seize mensualités de 58 euros, soit une durée correspondant au montant de la dette rapporté à une charge mensuelle raisonnable. Cette modulation permet au locataire de résorber son arriéré sans compromettre le paiement du loyer courant. Le choix d’un montant de 58 euros représente environ 13 % du loyer mensuel, proportion qui préserve l’équilibre budgétaire du locataire.
Le bailleur lui-même ne s’opposait pas à l’octroi de ces délais. Cette absence d’opposition, si elle ne lie pas le juge, constitue un élément d’appréciation favorable. Elle traduit une forme de consensus sur la viabilité du maintien de la relation locative.
B. Le régime conditionnel du maintien dans les lieux
Le jugement organise un mécanisme de résiliation conditionnelle différée. Le juge « suspend les effets » de la clause résolutoire « dans la mesure des délais octroyés » et précise que « si le locataire se libère dans le délai et selon les modalités fixés par le juge, la clause de résiliation de plein droit sera réputée ne pas avoir joué ».
Cette fiction juridique permet au locataire de retrouver une situation contractuelle normale à condition de respecter scrupuleusement l’échéancier. Le bail n’est pas résilié mais menacé de résiliation. Cette technique du sursis conditionnel présente l’avantage de maintenir une pression sur le locataire tout en lui offrant une chance de régularisation.
Le jugement prévoit symétriquement les conséquences du non-respect de l’échéancier. A défaut de paiement d’une seule mensualité, après mise en demeure restée infructueuse pendant huit jours, « la totalité de la dette redeviendra exigible » et « le contrat de bail sera résilié ». L’expulsion pourra alors être ordonnée « sans qu’une nouvelle saisine du tribunal soit nécessaire ».
Cette clause de déchéance du terme dispense le bailleur d’engager une nouvelle procédure en cas de défaillance du locataire. Le titre exécutoire délivré par le présent jugement suffit à fonder l’expulsion. Le juge fixe également par avance l’indemnité d’occupation due en cas de résiliation à 467,37 euros mensuels, montant correspondant aux loyers et charges qui auraient été dus.
Cette construction juridique réalise un équilibre entre les intérêts antagonistes. Le bailleur obtient un titre exécutoire lui garantissant le recouvrement de sa créance et, le cas échéant, la libération des lieux. Le locataire bénéficie d’une chance de conserver son logement à condition d’honorer ses engagements. Le juge des contentieux de la protection exerce ainsi pleinement sa mission de régulation du contentieux locatif, conciliant efficacité du droit et protection de la partie faible.