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Le droit de la famille constitue un domaine où les juges doivent concilier la protection des intérêts de l’enfant avec les droits fondamentaux de chaque parent. Le tribunal judiciaire de Laval, par un jugement du 17 juin 2025, illustre cette tension en prononçant un divorce pour faute tout en aménageant un droit de visite particulièrement encadré.
En l’espèce, deux époux de nationalité algérienne s’étaient mariés le 14 juin 2018 à Alger. De cette union était née une enfant mineure. L’épouse a introduit une demande en divorce pour faute sur le fondement de l’article 242 du code civil, sollicitant que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de son conjoint. Elle demandait également la fixation de la résidence de l’enfant à son domicile ainsi qu’un droit de visite médiatisé pour le père. Ce dernier, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, était représenté par un avocat.
Le juge aux affaires familiales a prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’époux. S’agissant des conséquences du divorce sur l’enfant, il a fixé sa résidence chez la mère tout en accordant au père un droit de visite non pas médiatisé au sens strict, mais exercé sous la présence d’un tiers, en l’occurrence le grand-père maternel de l’enfant. Le père a par ailleurs été dispensé de toute contribution à l’entretien de l’enfant en raison de son impossibilité financière.
La question posée au tribunal était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les fautes imputées à l’époux justifiaient un divorce à ses torts exclusifs. Il convenait ensuite de définir les modalités d’exercice du droit de visite paternel compatibles avec l’intérêt de l’enfant.
Le tribunal a répondu par l’affirmative à la première question en prononçant le divorce aux torts exclusifs de l’époux. Concernant la seconde, il a opté pour un droit de visite conditionné à la présence du grand-père maternel, refusant ainsi tant le droit de visite libre que la médiatisation institutionnelle.
Cette décision mérite examen tant au regard du prononcé du divorce pour faute avec ses conséquences patrimoniales (I) qu’au regard de l’organisation du droit de visite paternel dans l’intérêt de l’enfant (II).
I. Le prononcé du divorce pour faute et ses conséquences patrimoniales
Le jugement retient la faute exclusive de l’époux comme fondement du divorce (A), ce qui emporte des conséquences significatives sur le plan patrimonial et procédural (B).
A. La caractérisation de la faute exclusive de l’époux
Le tribunal a prononcé le divorce « sur le fondement de l’article 242 du Code civil » aux « torts exclusifs » de l’époux. Cette disposition exige la démonstration de faits imputables au conjoint qui constituent « une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage » rendant « intolérable le maintien de la vie commune ».
L’occultation des motifs de la décision ne permet pas de connaître les faits précisément retenus par le juge. Le dispositif révèle néanmoins que seul l’époux a été reconnu fautif, sans partage des torts. Cette solution suppose que l’épouse a rapporté la preuve de manquements suffisamment graves pour caractériser une violation des obligations matrimoniales énoncées aux articles 212 et suivants du code civil.
Le choix du divorce pour faute plutôt qu’une autre forme de divorce mérite attention. Depuis la réforme du 26 mai 2004, le divorce pour faute coexiste avec des procédures moins conflictuelles. Le maintien de cette voie contentieuse témoigne de la persistance de situations conjugales où l’établissement des responsabilités demeure un enjeu pour les parties. La jurisprudence continue d’exiger une appréciation in concreto des manquements allégués, le juge devant caractériser en quoi les faits invoqués rendent effectivement intolérable le maintien de la vie commune.
B. Les conséquences patrimoniales et procédurales du divorce aux torts exclusifs
Le prononcé du divorce aux torts exclusifs emporte plusieurs conséquences que le jugement prend soin de détailler. Le tribunal « constate la révocation de plein droit et à défaut révoque les avantages matrimoniaux » ainsi que les « dispositions à cause de mort » consenties par un époux à l’autre. Cette disposition reprend les termes de l’article 265 du code civil qui prévoit la révocation automatique de ces libéralités et avantages, sauf volonté contraire exprimée par le disposant.
Le jugement fixe par ailleurs la date des effets du divorce entre les époux « quant aux biens à compter du 10 mars 2024 ». Cette date, antérieure de plus d’un an au prononcé du divorce, correspond vraisemblablement à la cessation de la cohabitation ou à la date de l’assignation. L’article 262-1 du code civil autorise en effet le juge à fixer les effets du divorce à une date antérieure, notamment au jour où les époux ont cessé de cohabiter et de collaborer.
La condamnation de l’époux aux dépens constitue une conséquence procédurale classique du divorce pour faute exclusive. Plus remarquable est la dispense accordée à l’épouse de « rembourser au Trésor les sommes avancées par l’État au titre de l’aide juridictionnelle » dont bénéficiait son époux. Cette mesure, fondée sur l’article 43 de la loi du 10 juillet 1991, présuppose que la situation financière de l’épouse ne lui permet pas d’assumer cette charge.
II. L’organisation du droit de visite paternel dans l’intérêt de l’enfant
Le tribunal maintient l’exercice conjoint de l’autorité parentale tout en fixant la résidence de l’enfant chez la mère (A), mais soumet le droit de visite paternel à des conditions restrictives révélatrices d’une défiance à l’égard du père (B).
A. Le maintien de l’autorité parentale conjointe malgré les circonstances
Le jugement « constate que les époux exercent en commun l’autorité parentale » sur l’enfant mineure. Cette formulation traduit l’application du principe posé par l’article 372 du code civil selon lequel les père et mère exercent conjointement l’autorité parentale. Le divorce ne modifie pas en lui-même cette règle, l’article 373-2 précisant que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ».
Le maintien de l’exercice conjoint malgré le prononcé du divorce aux torts exclusifs du père mérite d’être souligné. La faute conjugale ne se confond pas avec l’inaptitude parentale. Le juge opère ainsi une distinction entre la qualité d’époux et la qualité de père. Cette dissociation s’inscrit dans la philosophie de la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale qui a consacré le principe de coparentalité.
La fixation de la résidence habituelle de l’enfant au domicile de la mère constitue toutefois une mesure asymétrique qui organise de facto une répartition inégale du temps parental. Le père ne bénéficie d’aucun droit d’hébergement, son droit se limitant à des visites diurnes. Cette configuration restreinte du droit paternel trouve sa justification dans les modalités d’exercice de ce droit.
B. Un droit de visite conditionné révélateur d’une situation préoccupante
Le tribunal accorde au père un droit de visite « les samedis des semaines paires, de 10 heures à 18 heures, au domicile » du grand-père maternel « et en sa présence ». Cette formulation appelle plusieurs observations.
Le droit de visite s’exerce sans hébergement. L’enfant n’est jamais confiée à son père pour une nuit. Cette restriction importante suggère que des circonstances particulières, non explicitées dans le dispositif, ont conduit le juge à écarter toute période d’hébergement. Le droit de visite se trouve ainsi limité à huit heures tous les quinze jours.
La présence obligatoire du grand-père maternel constitue une forme de surveillance parentale atypique. Le juge n’a pas ordonné un droit de visite médiatisé qui se serait exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge conformément à l’article 373-2-1 du code civil. Il a préféré confier cette fonction de tiers à un membre de la famille maternelle. Cette solution présente l’avantage de maintenir un cadre familial plutôt qu’institutionnel, mais elle place le père dans une position de dépendance vis-à-vis de la famille de son ex-épouse.
Le jugement impose en outre au père de « faire connaître » sa « volonté d’exercer son droit, dans un délai de 7 jours avant chaque fin de semaine ». À défaut, il « perdra le bénéfice de l’exercice de son droit pour ce jour là ». Cette obligation de confirmation préalable, assortie d’une sanction automatique, traduit une certaine méfiance du juge quant à la régularité de l’investissement paternel.
La dispense de contribution à l’entretien de l’enfant vient compléter ce tableau. Le tribunal « constate l’impossibilité pour » l’époux « de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et l’en dispense jusqu’à retour à meilleure fortune ». Cette formule, empruntée à la pratique judiciaire, suspend l’obligation alimentaire sans l’éteindre. Elle révèle une situation économique précaire du père, bénéficiaire par ailleurs de l’aide juridictionnelle totale.
Ce jugement illustre ainsi la complexité des situations familiales que le juge aux affaires familiales doit appréhender. Le prononcé du divorce pour faute exclusive n’empêche pas le maintien d’un lien entre le père et l’enfant, mais ce lien se trouve organisé selon des modalités très encadrées. La portée de cette décision demeure toutefois limitée à l’espèce, les circonstances particulières ayant conduit à ces restrictions n’étant pas connues. L’absence de tout droit d’hébergement et la présence imposée d’un tiers lors des visites constituent des mesures qui devront nécessairement évoluer avec le temps, l’intérêt de l’enfant commandant que les relations avec chacun de ses parents puissent se développer dans un cadre progressivement élargi.