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Le droit au logement, consacré par la loi du 31 mai 1990, se heurte parfois aux impératifs du recouvrement des créances locatives. La présente décision illustre cette tension entre protection du locataire défaillant et droits du bailleur social.
Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lille a rendu, le 13 juin 2025, un jugement rejetant la demande de délais pour quitter les lieux formée par un locataire menacé d’expulsion.
Un office public de l’habitat avait consenti, le 1er février 2008, un bail d’habitation à un locataire. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer le 5 janvier 2022 un commandement de payer visant la clause résolutoire. Par jugement du 6 juillet 2023, le juge des contentieux de la protection a constaté la résiliation du bail, condamné le locataire au paiement de 1 952,96 euros tout en lui accordant un échéancier de 55 euros mensuels, et suspendu les effets de la clause résolutoire sous réserve du respect de cet échéancier. Le jugement a été signifié le 31 juillet 2023. L’échéancier n’ayant pas été respecté, un commandement de quitter les lieux a été délivré le 6 mai 2024. Le locataire a saisi le juge de l’exécution par requête du 25 mars 2025 afin d’obtenir un délai d’un an pour quitter les lieux, invoquant une demande de logement social déposée le 25 juillet 2023 et un recours DALO enregistré le 26 mars 2025. Le bailleur s’est opposé à cette demande en faisant valoir le non-respect des échéanciers successifs et l’insuffisance des versements volontaires du locataire.
La question posée au juge de l’exécution était la suivante : un locataire dont l’expulsion a été ordonnée peut-il obtenir des délais pour quitter les lieux lorsque ses démarches de relogement sont tardives et qu’il ne dispose pas des ressources suffisantes pour honorer ses obligations ?
Le juge de l’exécution rejette la demande de délais. Il relève que le locataire, âgé de cinquante ans, vivant seul et sans charge d’enfant, ne justifie pas des problèmes de santé allégués. Si une demande de logement social a été déposée dès juillet 2023, le recours DALO n’a été formé que le 26 mars 2025, soit de manière tardive. Le locataire perçoit le RSA pour 559,42 euros et n’a donc pas les moyens de régler l’indemnité d’occupation. La dette locative s’élève à 3 698,18 euros et les versements ont été « irréguliers et très partiels ». Aucune recherche d’emploi ni démarche concrète de sortie de la situation n’est établie.
Cette décision invite à examiner les conditions d’octroi des délais pour quitter les lieux (I) avant d’analyser l’appréciation souveraine du juge fondée sur le comportement du locataire (II).
I. Le cadre légal des délais pour quitter les lieux : une protection conditionnée
A. Les critères légaux d’appréciation posés par le code des procédures civiles d’exécution
L’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités […] dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales ». Ce texte subordonne donc l’octroi de délais à l’impossibilité objective de se reloger normalement.
L’article L. 412-4 précise les éléments devant guider le juge. Il vise « la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations », les situations respectives des parties, notamment « l’âge, l’état de santé, la situation de famille ou de fortune », ainsi que « les diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement ». Le texte mentionne également « le droit à un logement décent et indépendant » et les « délais liés aux recours engagés » devant la commission de médiation DALO.
Le juge de l’exécution de Lille reprend méthodiquement ce cadre légal. Il examine successivement l’âge du demandeur, sa situation familiale, son état de santé allégué mais non justifié, ses démarches de relogement et sa capacité financière. Cette démarche systématique traduit la rigueur exigée par les textes : les délais ne constituent pas un droit mais une faculté soumise à vérification.
B. L’exclusion légale du locataire de mauvaise foi
L’article L. 412-3 exclut expressément le bénéfice des délais lorsque « le locataire est de mauvaise foi ». Cette notion, non définie par le texte, s’apprécie in concreto au regard du comportement global de l’occupant.
La décision commentée ne qualifie pas expressément le locataire de mauvais foi. Elle relève toutefois que les versements ont été « irréguliers et très partiels », que l’échéancier fixé par le jugement de 2023 n’a pas été respecté, pas plus que le plan de cohésion sociale signé le 8 novembre 2024. Le juge note encore que le locataire « n’a repris quelques versements en 2025 que pour les besoins de la cause et de façon beaucoup trop tardives ».
Ces éléments, sans caractériser formellement la mauvaise foi, dessinent le portrait d’un débiteur ayant failli à ses engagements successifs. Le juge évite la qualification frontale mais parvient au même résultat par l’appréciation négative des diligences accomplies. Cette méthode préserve une marge d’appel tout en justifiant pleinement le rejet de la demande.
II. L’appréciation souveraine du juge : la primauté du comportement sur la situation sociale
A. L’insuffisance des démarches de relogement et l’absence de justification des difficultés alléguées
Le locataire invoquait une demande de logement social déposée le 25 juillet 2023 et un recours DALO formé le 26 mars 2025. Le juge retient que « cette démarche est cependant tardive ». Le recours DALO intervient en effet près de deux ans après le jugement d’expulsion et à peine un mois avant l’audience.
Le locataire alléguait également des « problèmes neurologiques ». Le juge observe qu’« il n’en justifie par aucune pièce ». Cette absence de justification prive l’argument de toute portée. L’article 9 du code de procédure civile, expressément visé par la décision, rappelle qu’il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
La charge de la preuve pèse donc sur le locataire. Il ne suffit pas d’alléguer des difficultés pour obtenir des délais ; encore faut-il les démontrer. Le juge sanctionne ici une carence probatoire manifeste. Cette rigueur est conforme à la jurisprudence constante en matière d’expulsion.
B. L’incapacité financière et l’absence de perspective de redressement
Le juge relève que le locataire « perçoit le RSA pour 559,42 € » et « n’a donc pas les moyens de payer l’indemnité d’occupation mise à sa charge » de 476,92 euros mensuels. La dette locative atteint 3 698,18 euros. Les versements ont été « irréguliers et très partiels » malgré des aides FSL d’un montant total de 3 167,15 euros.
Le juge ajoute qu’il « n’est justifié d’aucune recherche d’emploi ni de recherche de solution pour sortir de la situation actuelle ». Le dépôt d’un dossier de surendettement le 4 mars 2025 n’a pas encore donné lieu à une décision de recevabilité.
Cette analyse révèle l’impasse financière du locataire. Accorder des délais supplémentaires ne ferait qu’aggraver la dette tout en retardant l’exercice des droits du bailleur. Le juge refuse d’entériner une situation sans issue prévisible. Cette position protège paradoxalement le locataire lui-même en évitant l’accumulation indéfinie des indemnités d’occupation.
La décision illustre ainsi la recherche d’un équilibre entre droit au logement et réalisme économique. Les délais de l’article L. 412-3 ne sauraient constituer un moyen dilatoire pour un occupant qui n’offre aucune perspective de régularisation ni de relogement effectif.