Tribunal judiciaire de Lille, le 16 juin 2025, n°24/10077

Par un jugement rendu le 16 juin 2025, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille s’est prononcé sur la responsabilité d’occupants précaires au titre des dégradations locatives et des loyers impayés dans le cadre d’un dispositif d’intermédiation locative.

Une société civile immobilière avait, le 23 septembre 2020, donné à bail à une association œuvrant pour l’accès au logement un bien immobilier situé dans le Nord. Le même jour, une convention tripartite et une convention d’occupation précaire avaient été signées avec deux occupants, moyennant un loyer mensuel de 750 euros et une provision sur charges de 16 euros. L’état des lieux de sortie, établi contradictoirement le 7 juillet 2022, révélait d’importantes dégradations. L’association avait mis en demeure les occupants par lettre recommandée du 16 août 2022 de régler les sommes dues au titre des dégradations et des loyers impayés.

L’association a assigné les deux occupants devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement des sommes correspondant aux dégradations locatives et aux arriérés de loyer. Les défendeurs, assignés par actes remis à étude, n’ont pas comparu et n’étaient pas représentés à l’audience du 31 mars 2025.

La question posée au juge était celle de savoir si les occupants d’un logement dans le cadre d’une convention d’occupation précaire liée à un dispositif d’intermédiation locative pouvaient être tenus solidairement responsables des dégradations constatées à la sortie des lieux et des loyers demeurés impayés.

Le tribunal a fait droit aux demandes de l’association en condamnant solidairement les occupants au paiement de la somme de 8 542,48 euros, déduction faite du dépôt de garantie, au motif que la comparaison des états des lieux révélait des dégradations non justifiées par la vétusté ou la force majeure.

Cette décision présente un intérêt certain quant au régime de responsabilité applicable aux occupants précaires dans le cadre de l’intermédiation locative. Elle invite à examiner les conditions de mise en œuvre de la responsabilité locative en matière de dégradations (I), avant d’analyser les conséquences procédurales et indemnitaires retenues par le juge (II).

I. Les conditions de la responsabilité locative des occupants précaires

Le tribunal rappelle le fondement contractuel de la responsabilité des occupants tout en précisant le régime probatoire applicable aux dégradations locatives.

A. Le fondement contractuel de l’obligation de restitution

Le juge des contentieux de la protection fonde son analyse sur l’article 1103 du code civil, selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Ce rappel liminaire établit le caractère obligatoire des engagements souscrits par les occupants dans la convention d’occupation précaire.

Le tribunal relève que les conditions générales du contrat prévoyaient expressément que les occupants « s’obligent, en particulier, à payer le loyer et les charges aux termes convenus et à répondre des dégradations et pertes survenant pendant la durée de la convention dans les locaux dont ils ont la jouissance exclusive ». Cette stipulation contractuelle, conforme au droit commun du bail, soumet les occupants précaires au même régime de responsabilité que les locataires de droit commun.

Le recours à l’article 1730 du code civil vient compléter ce fondement. Ce texte impose au preneur de « rendre la chose telle qu’il l’a reçue, excepté ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure ». Le juge transpose ainsi au dispositif d’intermédiation locative les règles classiques de la restitution en matière de bail. Cette assimilation n’allait pas de soi, la convention d’occupation précaire obéissant à un régime juridique distinct du bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.

B. La charge de la preuve des causes exonératoires

Le tribunal retient que « la comparaison de l’état des lieux d’entrée et de sortie fait apparaître que [les occupants] ont rendu le logement dans un état dégradé, que ce soit au niveau des murs, des sols, des plafonds, des portes, des fenêtres ou du mobilier de la cuisine et de la salle de bain ». Cette constatation objective suffit à établir la matérialité des dégradations.

Le juge précise que lors de l’installation des occupants, « l’ensemble de ces éléments étaient à l’état neuf ou en bon état (à l’exception de certains sols décrits avec simplement une usure normale et quelques petits accrocs) ». Cette mention revêt une importance particulière car elle neutralise par avance toute contestation fondée sur l’état initial du logement.

Le défaut de comparution des défendeurs produit des effets probatoires défavorables. Le tribunal relève qu’« en ne comparaissant pas à l’audience, [les occupants] n’apportent aucun élément permettant de retenir que les dégradations sont le fait de la vétusté ou de la force majeure ». La charge de la preuve des causes exonératoires pèse donc sur le preneur, conformément à la jurisprudence constante en la matière. Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 1730 du code civil qui présume la responsabilité du preneur sauf démonstration de la vétusté ou de la force majeure.

II. Les conséquences indemnitaires et procédurales de la condamnation

Le tribunal procède à une évaluation méthodique du préjudice réparable avant de prononcer une condamnation assortie de la solidarité.

A. L’évaluation du préjudice locatif

Le juge admet l’intégralité des demandes formées au titre des dégradations locatives. Il retient que l’association « produit à son dossier les factures correspondant aux fournitures nécessaires à la remise en état, pour un montant global de 2 909,35 euros ». Cette exigence probatoire satisfaite permet au demandeur d’obtenir le remboursement intégral des frais engagés.

La demande au titre de la main d’œuvre, évaluée à 5 800 euros pour vingt heures de travail, fait l’objet d’un contrôle de proportionnalité. Le tribunal estime que ce montant « n’apparaît pas excessif au regard des prestations à réaliser ». Cette appréciation souveraine du juge du fond illustre son pouvoir d’évaluation du préjudice, exercé même en l’absence de contestation du défendeur défaillant.

Le décompte final intègre également les loyers et charges impayés à hauteur de 208,23 euros, correspondant à la période du 1er au 7 juillet 2022. Le tribunal procède à la déduction du dépôt de garantie de 375 euros, conformément à sa fonction de garantie des obligations locatives. Le solde de 8 542,48 euros constitue ainsi la créance définitive de l’association.

B. Le prononcé de la solidarité et ses implications

Le tribunal condamne « solidairement » les deux occupants au paiement de la somme principale. Cette solidarité trouve son fondement dans la convention d’occupation précaire qui liait conjointement les deux défendeurs. Elle permet au créancier de poursuivre l’un ou l’autre des débiteurs pour la totalité de la dette, facilitant ainsi le recouvrement de sa créance.

La condamnation « in solidum » aux dépens et aux frais irrépétibles obéit à une logique différente. Cette modalité de condamnation, distincte de la solidarité parfaite, trouve à s’appliquer lorsque plusieurs personnes ont concouru à un même dommage sans que la solidarité soit prévue par la loi ou le contrat. Le juge fixe à 500 euros l’indemnité due sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, soit la moitié de la somme initialement sollicitée.

Le rappel selon lequel « l’exécution provisoire est de droit » clôt le dispositif. Cette mention, conforme à l’article 514 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 11 décembre 2019, permet à l’association de procéder immédiatement au recouvrement de sa créance sans attendre l’expiration du délai d’appel.

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Hassan KOHEN
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