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Le contentieux de la reconnaissance des maladies professionnelles oppose régulièrement les employeurs aux caisses primaires d’assurance maladie sur le terrain du respect de la procédure d’instruction. La décision rendue par le Tribunal judiciaire de Lille le 17 juin 2025 illustre cette tension en précisant les contours de l’obligation de respecter le contradictoire lors de la mise à disposition du dossier.
Un salarié d’une société d’intérim a transmis le 26 septembre 2023 à la caisse primaire d’assurance maladie une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d’un certificat médical initial du 11 septembre 2023 mentionnant un eczéma de contact des deux mains et de la poitrine. Après instruction, la caisse a notifié le 29 avril 2024 à l’employeur une décision de prise en charge de cette pathologie au titre du tableau 65 des maladies professionnelles. L’employeur a saisi la commission de recours amiable le 31 mai 2024 pour contester cette décision. La commission a rejeté ce recours lors de sa séance du 2 août 2024. L’employeur a alors formé un recours devant le Tribunal judiciaire de Lille par lettre recommandée expédiée le 17 septembre 2024.
Devant le tribunal, l’employeur soutenait que la caisse n’avait pas respecté les dispositions de l’article R. 461-9 du code de la sécurité sociale en l’absence de phase passive de consultation effective. Il faisait valoir que la décision de prise en charge avait été rendue le 29 avril 2024 alors que la phase de consultation passive venait de débuter le 27 avril 2024, juste après un week-end, rendant cette phase inexistante. La caisse répliquait qu’aucun délai n’est imposé pour la seconde phase de consultation sans observation et que seul le non-respect de la phase contradictoire active serait de nature à entraîner l’inopposabilité.
Le tribunal devait déterminer si la prise de décision par la caisse deux jours seulement après l’ouverture de la phase de consultation passive constituait une violation du principe du contradictoire justifiant l’inopposabilité de la décision à l’employeur.
Le Tribunal judiciaire de Lille a débouté l’employeur de sa demande d’inopposabilité. Il a jugé que « le texte ne prévoit un délai de consultation de 10 jours francs que s’agissant de la période durant laquelle l’employeur a la faculté de faire des observations et que le texte ne prévoit par contre pas de délai pour la phase de consultation communément qualifiée de passive ». Le tribunal a retenu que l’employeur ne justifiait d’aucun grief de nature à conduire à l’inopposabilité.
Cette décision invite à examiner la distinction opérée entre les deux phases de consultation du dossier (I) avant d’analyser l’exigence de démonstration d’un grief pour obtenir l’inopposabilité (II).
I. La distinction entre phase active et phase passive de consultation
Le tribunal a fondé son raisonnement sur une interprétation littérale de l’article R. 461-9 du code de la sécurité sociale qui distingue deux temps dans la mise à disposition du dossier. Cette lecture conduit à reconnaître une inégalité de protection entre les deux phases.
A. L’encadrement strict de la phase de consultation avec observations
L’article R. 461-9 III du code de la sécurité sociale prévoit que « la victime ou ses représentants et l’employeur disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations ». Le tribunal rappelle que la caisse doit informer les parties « des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations ».
Cette phase dite active constitue le cœur du contradictoire. L’employeur peut y consulter l’ensemble des pièces du dossier et faire valoir ses arguments avant que la caisse ne statue. Le délai de dix jours francs est impératif. Son non-respect est sanctionné par l’inopposabilité de la décision à l’employeur. En l’espèce, le tribunal constate que cette phase a été respectée puisque l’employeur a été informé qu’il pouvait consulter les pièces et formuler des observations du 15 avril au 26 avril 2024.
B. L’absence d’encadrement de la phase de consultation sans observations
Le tribunal relève que « le texte ne stipulant aucun terme à cette 2nde phase », la caisse n’a pas l’obligation de fixer une date précise de fin de consultation. Cette interprétation s’appuie sur la lettre de l’article R. 461-9 qui dispose seulement qu’« au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations ».
La phase passive apparaît comme une simple faculté offerte aux parties de vérifier l’état final du dossier. Elle ne constitue pas un temps du contradictoire à proprement parler puisque les parties ne peuvent plus y apporter d’éléments nouveaux ni formuler d’observations susceptibles d’influencer la décision. Le tribunal en déduit que « seule la phase de consultation active est la période pendant laquelle le contradictoire tient à s’appliquer ».
Cette analyse conduit à s’interroger sur les conséquences pratiques pour l’employeur qui souhaite obtenir l’inopposabilité d’une décision de prise en charge.
II. L’exigence de démonstration d’un grief effectif
Le tribunal ne se contente pas de constater l’absence de délai réglementaire pour la phase passive. Il examine également si l’employeur peut se prévaloir d’un préjudice concret justifiant l’inopposabilité.
A. L’absence de grief résultant de la brièveté de la phase passive
Le tribunal retient que « la société ne justifie d’aucun grief de nature à conduire à l’inopposabilité de la décision ». Cette formulation suggère que même en l’absence de délai réglementaire, l’employeur pourrait obtenir l’inopposabilité s’il démontrait un préjudice effectif.
L’employeur arguait qu’il n’avait pas été en mesure de consulter le dossier complet et de prendre connaissance des éléments nouveaux ayant pu enrichir le dossier durant la première phase. Le tribunal écarte cet argument en relevant que « le dossier est figé » à l’issue de la phase active. De fait, aucune pièce nouvelle ne peut être versée après la clôture de la période d’observations. L’employeur ne pouvait donc découvrir d’éléments nouveaux lors de la phase passive.
Le tribunal ajoute que « l’application QRP permet aux parties de consulter le dossier jusqu’à 3 mois après la prise de décision ». Cette précision tend à démontrer que l’employeur conserve un accès au dossier postérieurement à la décision. Il peut ainsi vérifier a posteriori que le dossier ne comportait pas d’éléments dont il n’aurait pas eu connaissance.
B. La portée limitée de la phase passive dans l’économie du contradictoire
Le tribunal précise que « si lors de cette 2nd phase, l’employeur reste en droit de vérifier si de nouvelles observations ont été apportées par son salarié au cours de la 1ère phase, il ne dispose plus à compter de l’ouverture de la 2nde phase de la faculté de faire infléchir la décision ». Cette analyse révèle la conception du contradictoire retenue par le tribunal.
Le contradictoire suppose la possibilité de discuter utilement des éléments du dossier avant la prise de décision. Or, la phase passive n’offre plus cette faculté. Elle constitue une simple vérification qui n’affecte pas la décision de la caisse. Le tribunal s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui pose que « la mise à disposition du dossier à la victime et à l’employeur n’est soumise à aucune forme particulière ». La seule obligation est d’informer l’employeur de la possibilité de consulter le dossier avec un délai de dix jours francs pour la consultation avec observations.
Cette solution présente l’avantage de la clarté. Elle distingue nettement ce qui relève du contradictoire sanctionnable par l’inopposabilité de ce qui relève d’une simple faculté de vérification. Elle pourrait toutefois susciter des difficultés pratiques lorsque l’assuré verse des éléments nouveaux le dernier jour de la phase active, privant l’employeur de tout délai pour en prendre connaissance et y répondre utilement.