Tribunal judiciaire de Lille, le 17 juin 2025, n°25/00461

Le tribunal judiciaire de Lille, par ordonnance de référé du 17 juin 2025, a statué sur une demande de séquestre portant sur des loyers d’une location financière adossée à un mandat publicitaire résilié après liquidation judiciaire. La demanderesse, exploitant une officine, soutenait l’inutilité du contrat de location à la suite de la disparition de la contrepartie publicitaire, tandis que la défenderesse réclamait loyers échus, indemnités et pénalités, ou, à titre principal, une consignation élargie. L’instance au fond étant engagée, la juridiction des référés devait seulement préserver les droits en cause sans trancher les questions de caducité ou d’interdépendance contractuelle.

La procédure a été introduite par assignation en mars 2025 et débattue en mai, chacune des parties sollicitant une mesure de gel, mais selon un périmètre financier divergent. La demanderesse demandait la mise sous séquestre des loyers d’une période déterminée, avec modalités de déblocage. La défenderesse invoquait, notamment, l’autonomie de la location financière, la résiliation de plein droit et l’absence de risque sur la restitution d’éventuels fonds, en requérant une consignation d’un montant intégrant indemnités et frais. La question posée au juge des référés portait sur l’office et l’étendue du séquestre en présence d’une contestation sérieuse, au regard des articles 835 du code de procédure civile et 1961 du code civil.

La juridiction a rappelé que « Conformément à l’article 835 du code de procédure civile, les mesures conservatoires ou de remise en état qu’imposent la prévention d’un dommage imminent ou la cessation d’un trouble manifestement illicite peuvent être ordonnées, même en présence d’une contestation sérieuse, à la demande de tout intéressé. » Elle a, en outre, énoncé que « Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. » Elle a surtout mobilisé le séquestre de l’article 1961 du code civil, en précisant que « Aux termes de l’article 1961 du code civil, le juge peut ordonner le séquestre d’un immeuble ou d’une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes, ou encore des choses qu’un débiteur offre pour sa libération. » La solution retient la mise sous séquestre limitée aux loyers échus impayés sur trois mois, rejette le surplus relatif aux pénalités et indemnités, et fixe des conditions de levée par accord ou autorisation judiciaire.

I – Le référé-séquestre en présence d’une contestation sérieuse

A – Fondements juridiques et office de la juridiction des référés

Le juge articule l’outil conservatoire du séquestre avec l’office restreint du référé. Il encadre l’intervention par les textes, sans anticiper le fond. La référence à l’article 835 du code de procédure civile ouvre l’accès aux mesures utiles, malgré la contestation, sous réserve d’une « évidence » propre au trouble. L’ordonnance précise d’ailleurs que « Il s’ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue et avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, la méconnaissance d’un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines. »

Le texte de l’article 1961 du code civil sert de pivot. Il permet de neutraliser temporairement l’exécution d’une obligation litigieuse lorsque la conservation des droits l’exige. L’ordonnance en déduit une double condition, qu’elle formule ainsi : « Une telle mesure peut être ordonnée s’il existe d’une part un litige sérieux opposant les parties, la contestation sérieuse n’étant pas un obstacle à la décision de référé à ce sujet, mais en est la condition et d’autre part si la mesure est nécessaire à la conservation des droits des parties. » Le raisonnement distingue utilement l’exigence d’évidence propre au trouble et la logique conservatoire autonome du séquestre.

B – Délimitation du périmètre : loyers échus, exclusion des pénalités

Le juge constate un litige sérieux sur la fin des relations et la validité des prétentions réciproques, relevant du fond. Dans ce cadre, la mesure conservatoire ne peut viser que les sommes immédiatement discutées et exigibles, sans préjuger des accessoires. L’ordonnance retient que « S’agissant des pénalités dont la mise sous équestre est réclamée par la société défenderesse, il convient de relever qu’elles sont sujettes à contestations sérieuses compte tenu de leur montant au regard du pouvoir modérateur relevant du juge du fond et des circonstances de l’espèce. » Cette motivation marque la frontière entre la sauvegarde des droits et l’anticipation d’un quantum qui suppose un contrôle judiciaire approfondi.

La solution circonscrit donc le séquestre aux loyers échus impayés, pour la période précisément déterminée, en écartant indemnités et frais. Elle ménage un mécanisme de dénouement proportionné : « Précisons pour le montant mis sous séquestre qu’il pourra être levé, soit sur accord des deux parties, soit sur autorisation judiciaire. » L’économie de la décision protège les intérêts en présence, tout en évitant une exécution qui pourrait s’avérer irréversible si la thèse adverse prospérait au fond.

II – Valeur et portée de la solution retenue

A – Une mesure équilibrée face aux clauses et à l’interdépendance alléguée

La juridiction ne tranche pas la caducité éventuelle au regard d’une interdépendance contractuelle, ni la portée d’une clause de résiliation. Elle écarte le risque d’un pré-jugement en cantonnant l’intervention au strict conservatoire. La référence au niveau d’« évidence » exigé pour qualifier un trouble manifeste rappelle que le référé ne doit pas suppléer l’office du jugement. En ce sens, la formulation : « Il s’ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté […] la méconnaissance d’un droit […] dont la survenance et la réalité sont certaines », légitime le refus d’ordonner un gel global incluant indemnité de résiliation et pénalités.

Ce calibrage rejoint une jurisprudence constante en matière de location financière adossée à une prestation distincte. Le juge des référés admet le séquestre lorsqu’un litige sérieux existe sur le principe ou l’étendue de la dette, mais s’abstient de figer des accessoires discutés et susceptibles de modération. La solution favorise un équilibre minimal : préserver sans contraindre au-delà de l’échéance certaine, en attendant que le juge du fond statue sur l’autonomie ou l’interdépendance des conventions.

B – Conséquences pratiques et enseignements pour la pratique contractuelle

La décision éclaire la stratégie contentieuse dans les ensembles contractuels tripartites. Le séquestre apparaît comme un outil de neutralisation ciblée, limitant l’exposition du débiteur aux seules échéances acquises, sans valider des stipulations potentiellement excessives. Le rappel du pouvoir modérateur au fond incite à la prudence dans la mise en œuvre des indemnités forfaitaires, notamment lorsque la contrepartie principale est contestée.

L’exécution immédiate renforce l’utilité du dispositif de protection : « La présente décision est exécutoire par provision en application des articles 484 et 514 et 514-1 alinéa 3 du code de procédure civile. » La portée demeure toutefois mesurée : l’ordonnance n’emporte aucun effet sur le débat de fond relatif à la caducité ou à l’autonomie de la location. Elle consacre une ligne de crête opérationnelle : sécuriser des loyers échus, réserver les pénalités et indemnités au juge du fond, et prévoir une levée du séquestre par accord ou autorisation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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