Tribunal judiciaire de Lille, le 17 juin 2025, n°25/00729

Par ce jugement du 17 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Lille, statuant en matière de surendettement des particuliers, a eu à connaître de la contestation formée par une débitrice à l’encontre des mesures imposées par la commission de surendettement. La décision retient une capacité de remboursement inférieure à celle initialement fixée par la commission et ordonne un plan combinant report, rééchelonnement et effacement partiel des créances.

Une débitrice, conseillère bancaire en contrat à durée indéterminée, mère de deux enfants, avait déposé le 18 juin 2024 une demande d’examen de sa situation de surendettement auprès de la commission compétente. Sa demande fut déclarée recevable le 28 août 2024. Le 27 novembre suivant, la commission préconisa un report et un rééchelonnement des créances sur quatre-vingt-quatre mois au taux de zéro pour cent, suivis d’un effacement du solde, en retenant une capacité de remboursement de 462 euros mensuels.

La débitrice contesta cette décision par courrier recommandé du 17 décembre 2024. Elle invoquait une augmentation de son loyer consécutive à un changement de logement. Elle avait en effet bénéficié d’une mutation professionnelle en juillet 2023 et obtenu un nouveau logement social plus adapté à sa situation familiale, pour un loyer de 859 euros. Son passif s’élevait à 100 708,68 euros.

La question posée au juge des contentieux de la protection était la suivante : quelle capacité de remboursement retenir pour une débitrice dont les charges de logement ont augmenté postérieurement à l’évaluation de la commission, et quelles mesures ordonner pour traiter définitivement sa situation de surendettement ?

Le tribunal a déclaré la contestation recevable et bien fondée. Il a fixé la capacité de remboursement à 312 euros mensuels, soit 150 euros de moins que l’évaluation de la commission. Il a ordonné un report et un rééchelonnement des créances sur quatre-vingt-quatre mois au taux de zéro pour cent, puis l’effacement de leur solde en cas de respect du plan.

Cette décision présente un intérêt certain quant à la méthode d’évaluation de la capacité de remboursement. Elle illustre également l’articulation des mesures de traitement du surendettement lorsque le passif excède manifestement les facultés contributives du débiteur. L’appréciation judiciaire de la capacité de remboursement fait prévaloir la réalité des charges sur l’application mécanique du barème légal (I). La combinaison des mesures de report, rééchelonnement et effacement partiel permet d’assurer le traitement définitif de la situation de surendettement (II).

I. L’appréciation judiciaire de la capacité de remboursement

Le juge des contentieux de la protection écarte l’application stricte du barème légal pour retenir les charges réelles de la débitrice (A). Cette méthode garantit la préservation du minimum vital nécessaire aux dépenses courantes du ménage (B).

A. L’écart entre le barème théorique et la capacité réelle

Le tribunal rappelle que « la part des ressources mensuelles du débiteur à affecter à l’apurement des dettes est calculée par référence au barème prévu à l’article R3252-2 du Code du travail ». Selon ce barème, la somme affectable au remboursement aurait dû s’élever à 960,83 euros pour des ressources de 2 799,11 euros avec deux personnes à charge.

Le juge écarte cependant cette application mécanique. Il relève qu’« il est impossible de retenir la stricte application du barème à l’ensemble des ressources de la débitrice qui ne pourrait plus faire face à ses charges courantes ». Cette formulation traduit l’exigence posée par l’article L. 731-2 du code de la consommation : la détermination de la part des ressources nécessaire aux dépenses courantes du ménage.

La jurisprudence admet de longue date que le barème de saisie des rémunérations ne constitue qu’une référence. Le juge comme la commission « doivent toujours rechercher la capacité réelle de remboursement de la débitrice eu égard aux charges particulières qui peuvent être les siennes ». Cette formule, empruntée au jugement, synthétise l’office du juge en matière de surendettement.

B. La prise en compte des charges particulières

Le tribunal dresse un inventaire détaillé des charges mensuelles : loyer de 857,96 euros, frais de téléphone et internet de 81,96 euros, cantine et frais de scolarité de 305 euros, assurances de 93,15 euros, énergie de 75 euros, et forfait surendettement de 1 074 euros pour trois personnes. Le total atteint 2 487,07 euros.

La différence entre les ressources et les charges conduit à une capacité de remboursement de 312 euros. Ce montant est inférieur de 150 euros à celui retenu par la commission. L’écart s’explique par la prise en compte du nouveau loyer, passé de quelques centaines d’euros à près de 860 euros mensuels.

Le forfait surendettement mérite attention. Il comprend « les dépenses d’alimentation, d’hygiène, de santé, d’habillement, de transport et les dépenses diverses ». Ce forfait, fixé à 1 074 euros pour trois personnes, garantit un reste à vivre incompressible. La reconnaissance des frais de scolarité dans un établissement privé pour l’aînée des enfants témoigne d’une conception souple des charges nécessaires.

II. L’articulation des mesures pour un traitement définitif du surendettement

Face à un passif de plus de 100 000 euros et une capacité de remboursement de 312 euros, le tribunal combine les mesures de report et rééchelonnement avec l’effacement partiel (A). Le dispositif s’accompagne de garanties encadrant le comportement futur de la débitrice (B).

A. La combinaison du rééchelonnement et de l’effacement partiel

Le tribunal constate que « la capacité de remboursement évaluée à 312 euros ne permettra pas à la débitrice de rembourser l’intégralité du passif dans les délais légaux ». Sur quatre-vingt-quatre mois, la débitrice pourrait théoriquement rembourser 26 208 euros, soit moins du quart de sa dette totale.

L’article L. 733-1 du code de la consommation autorise le rééchelonnement sans que le délai puisse excéder sept années. L’article L. 733-4 permet l’effacement partiel des créances combiné avec le rééchelonnement. Le tribunal fait application de ces deux textes en ordonnant « le report et le rééchelonnement des créances durant 84 mois au taux d’intérêt réduit à 0%, puis l’effacement de leur solde à l’issue du délai ».

Cette combinaison présente une particularité : l’effacement n’intervient qu’« en cas de respect du plan ». La débitrice doit donc honorer ses engagements pendant sept années pour bénéficier de la remise de dette. Le taux d’intérêt réduit à zéro pour cent évite l’aggravation du passif pendant la durée du plan. Le tribunal justifie cette réduction par la nécessité « de ne pas aggraver l’endettement de la débitrice ».

B. L’encadrement du comportement de la débitrice

Le jugement impose à la débitrice de ne pas « augmenter son endettement ou effectuer des actes de nature à aggraver sa situation financière pendant toute la durée du présent plan ». Les actes de disposition du patrimoine sont également proscrits, « sous peine d’être déchue du bénéfice de la présente décision ».

La caducité du plan est prévue en cas de défaut de paiement d’une seule échéance. Elle intervient « de plein droit 15 jours après une mise en demeure restée infructueuse ». Cette rigueur incite la débitrice au respect scrupuleux de ses obligations.

En contrepartie, les créanciers « ne peuvent exercer de procédures d’exécution à l’encontre des biens de la débitrice pendant toute la durée d’exécution des mesures ». Cette suspension des poursuites garantit l’effectivité du plan. Le tribunal invite enfin la débitrice à saisir la commission d’une nouvelle demande « en cas de changement significatif de ses conditions de ressources et/ou de charges ». Cette clause de révision assure l’adaptation du plan aux évolutions futures de la situation de la débitrice.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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