Tribunal judiciaire de Lille, le 21 août 2025, n°24/02487

Par un jugement rendu le 21 août 2025, le Tribunal judiciaire de Lille, pôle social, tranche un recours dirigé contre l’imputabilité d’arrêts de travail et de soins consécutifs à un accident du travail. Les faits tiennent à une chute survenue le 22 juin 2022 lors d’une opération de préparation de commande, suivie d’un certificat médical initial et d’une prise en charge au titre de la législation professionnelle. L’employeur conteste ultérieurement la durée des soins et arrêts, évaluée à 492 jours, au regard d’un arrêt initial de quatorze jours pour entorse du genou.

La procédure révèle une saisine de la commission médicale de recours amiable le 30 avril 2024, un rejet implicite, puis un recours introduit par lettre recommandée et plaidé le 10 juin 2025. L’organisme de sécurité sociale, dûment convoqué, n’a pas comparu, mais le jugement est rendu contradictoirement après échanges dématérialisés. Les prétentions portent, à titre principal, sur l’inopposabilité des arrêts et soins, subsidiairement sur l’ordonnance d’une consultation médicale et, en tout état, sur l’exécution provisoire.

La question posée est double. D’une part, la portée de la présomption d’imputabilité des lésions, spécialement depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 2020, au regard d’une prise en charge prolongée. D’autre part, les conditions d’une mesure d’instruction médicale sur pièces en cas d’absence de communication du dossier médical, avant de statuer sur l’inopposabilité.

Le tribunal rappelle la nature autonome des rapports employeur/organisme et assure que « la présente décision n’aura aucun effet sur les droits reconnus à l’assuré ». Il énonce, s’agissant de l’imputabilité, que « la jurisprudence de la Cour de Cassation pose que la présomption des lésions au travail couvre l’ensemble des prestations servies jusqu’à la guérison ou la consolidation dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ». Constatant l’absence de communication intégrale du dossier, il ordonne une consultation médicale sur pièces, sursoit à statuer, et met les frais à la charge avancée de l’organisme.

I. La présomption d’imputabilité prolongée et ses conditions d’opposabilité

A. Le cadre légal et la jurisprudence consolidée

Le tribunal s’inscrit d’abord dans le texte de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale et rappelle la logique probatoire. Il cite que « La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite de l’accident du travail institué par l’article L.411-1 s’étend pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l’état de la victime et il appartient à l’employeur […] de prouver que les lésions invoquées ne sont pas imputables à l’accident ». Cette formulation ordonne clairement la charge de la preuve et circonscrit l’objet du débat.

La référence explicite à la jurisprudence postérieure au 9 juillet 2020 en précise la portée. Le jugement affirme que « la jurisprudence de la Cour de Cassation pose que la présomption des lésions au travail couvre l’ensemble des prestations servies jusqu’à la guérison ou la consolidation dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit », ce qui décharge l’organisme de démontrer la continuité des symptômes. En miroir, l’employeur ne peut renverser la présomption qu’en établissant une cause totalement étrangère au travail, idéalement étayée par une analyse médicale circonstanciée.

B. L’application aux faits et la pertinence du doute médical

Les éléments de l’espèce appellent une vigilance accrue, en raison d’un écart sensible entre l’arrêt initial de quatorze jours et une durée totale indemnisée de 492 jours. L’employeur invoque, à juste titre, l’absence de communication du rapport de prestation et du dossier médical utile à l’exercice d’une contestation éclairée. Le tribunal relève alors que « En l’absence de communication […] de l’intégralité des pièces du dossier médical […] à l’employeur, ce dernier apparaît bien fondé à demander une mesure d’expertise médicale judiciaire afin d’accéder aux pièces dans le respect du secret médical, en vue d’une contestation de l’imputabilité ».

Ce doute d’ordre médical justifie, selon les articles R. 142-16 du code de la sécurité sociale et 232, 263 du code de procédure civile, une mesure d’instruction proportionnée. L’option retenue pour une consultation sur pièces s’accorde avec l’économie du litige et la priorité donnée à un examen ciblé, préalable à toute analyse d’inopposabilité. La décision demeure prudente, en renvoyant le débat contradictoire à l’issue du rapport, sans préjuger du rattachement des arrêts à une cause étrangère.

II. La mesure d’instruction médicale sur pièces, équilibre procédural et portée pratique

A. La proportionnalité de la consultation et la préservation des droits

La juridiction mobilise l’outil adéquat, préférant la consultation sur pièces à une expertise complète, conformément à l’article 263 du code de procédure civile, lorsque « des constatations ou une consultation » suffisent. Le secret médical est garanti, l’accès aux pièces circonscrit, et le délai d’exécution fixé, ce qui sert la clarté et la célérité de l’instance. La prise en charge des frais par l’organisme, en application de l’article L. 142-11 du code de la sécurité sociale, évite de déplacer indûment la charge économique du procès.

Cette orientation se double d’une affirmation protectrice. Le tribunal souligne que « la présente décision n’aura aucun effet sur les droits reconnus à l’assuré », dissociant les rapports employeur/organisme des droits de l’assuré à prestations. Le choix d’un sursis à statuer, conjugué à l’exécution provisoire, organise enfin un cadre procédural lisible, tout en empêchant qu’une inopposabilité soit prononcée sans support médical solide.

B. Les effets attendus sur la pratique contentieuse des AT/MP

La solution incite les acteurs à une meilleure circulation des informations médicales pertinentes, dans les limites du secret, afin de prévenir des contestations fondées sur des zones d’ombre documentaires. Elle rappelle aux employeurs que la critique de l’imputabilité, en contexte de présomption renforcée depuis la jurisprudence du 9 juillet 2020, exige une démonstration positive d’une cause totalement étrangère, idéalement objectivée par le consultant.

Son impact dépasse l’espèce, en posant une méthode. Avant de statuer sur l’inopposabilité de soins et arrêts, le juge privilégie une mesure technique proportionnée pour éprouver la causalité médicale alléguée. Cette prudence réduit le risque d’une décision hâtive sur un dossier lacunaire, tout en réservant une analyse au fond plus nuancée s’il apparaît, à l’issue, une pathologie intercurrente, antérieure ou une rupture de lien causal.

En définitive, le jugement du Tribunal judiciaire de Lille du 21 août 2025 marie fermeté sur la présomption d’imputabilité et souci du contradictoire médical. Il ordonne une consultation sur pièces, sursoit à statuer, et trace une voie équilibrée entre sécurité juridique des prises en charge et contrôle effectif de leur rattachement causal.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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