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Par ordonnance en date du 22 juin 2025, le magistrat délégué par la présidente du Tribunal judiciaire de Lille a statué sur une demande de prorogation d’une mesure de rétention administrative d’un ressortissant étranger. Cette décision illustre les tensions inhérentes au contentieux de la rétention administrative, à la croisée des exigences d’efficacité de la politique d’éloignement et de la protection des libertés individuelles.
Un homme né le 31 mars 1994 en Algérie, se disant de nationalité algérienne, a fait l’objet d’un placement en rétention administrative ordonné le 24 mai 2025 par le préfet du Nord, décision notifiée le même jour. Le 27 mai 2025, le magistrat du siège du Tribunal judiciaire de Lille a ordonné une première prolongation de la rétention pour une durée maximale de vingt-six jours.
Le 21 juin 2025, l’autorité administrative a saisi le magistrat aux fins de voir ordonner une seconde prorogation de la rétention pour une durée de trente jours, sur le fondement des articles L.614-1, L.614-13, L.741-10, L.743-5 et L.743-20 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’administration soutenait que les diligences nécessaires avaient été accomplies, notamment une relance des autorités algériennes le 12 juin 2025, dans l’attente d’un rendez-vous consulaire.
L’avocat de l’intéressé a sollicité le rejet de la demande de prorogation en invoquant l’absence de perspective raisonnable d’éloignement à bref délai. Il faisait valoir que les tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie étaient telles que les autorités algériennes ne répondaient plus aux sollicitations françaises. L’intéressé lui-même a déclaré souhaiter obtenir sa libération afin de quitter le territoire par ses propres moyens.
La question posée au magistrat était celle de savoir si la prorogation de la rétention administrative pouvait être ordonnée nonobstant l’allégation d’une absence de perspective raisonnable d’éloignement fondée sur l’état des relations diplomatiques franco-algériennes.
Le magistrat délégué a ordonné la prorogation de la rétention pour une durée de trente jours. Il a relevé que les diligences nécessaires à un départ rapide avaient été effectuées par l’administration. Il a estimé que « des considérations générales sur l’état des relations entre la France et l’Algérie, non étayées par des pièces produites aux débats, ne permettent pas d’estimer si un départ de Monsieur [K] vers son pays est illusoire à bref délai ».
Cette ordonnance invite à examiner les conditions de fond de la prorogation de la rétention administrative (I) avant d’analyser la charge de la preuve de l’absence de perspective raisonnable d’éloignement (II).
I. Les conditions de fond de la prorogation de la rétention administrative
Le maintien en rétention au-delà de la première période suppose la réunion de conditions légales strictement définies (A), auxquelles s’ajoute l’exigence jurisprudentielle de diligences effectives de l’administration (B).
A. Le cadre légal de la seconde prorogation de la rétention
L’article L.742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énumère limitativement les hypothèses autorisant une seconde prorogation de la rétention au-delà de trente jours. Le texte vise notamment le cas où la décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison « du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ».
Cette condition objective traduit la volonté du législateur de ne pas imputer à l’étranger retenu les carences des autorités consulaires étrangères. Elle permet de prolonger la rétention lorsque l’obstacle à l’éloignement ne procède pas d’un comportement fautif de l’intéressé mais d’une défaillance extérieure.
Le magistrat délégué constate en l’espèce que l’administration a effectué les démarches requises auprès des autorités algériennes. La relance du 12 juin 2025 atteste d’une action préfectorale continue en vue d’obtenir les documents de voyage. L’ordonnance s’inscrit ainsi dans le cadre du troisième alinéa de l’article L.742-4, qui autorise la prorogation en cas de défaut de délivrance des documents consulaires.
B. L’exigence de diligences effectives de l’administration
La jurisprudence subordonne la prorogation de la rétention à la démonstration de diligences réelles et sérieuses de l’administration en vue de l’exécution de la mesure d’éloignement. Cette exigence découle du caractère exceptionnel de la privation de liberté et de la finalité exclusivement instrumentale de la rétention.
L’ordonnance retient qu’« il est constant que les diligences nécessaires à un départ rapide de Monsieur [K] ont été effectuées par l’administration ». Le magistrat valide ainsi le comportement préfectoral sans entrer dans le détail des démarches accomplies. La relance consulaire du 12 juin suffit à caractériser l’action administrative.
Cette appréciation paraît conforme à la pratique juridictionnelle habituelle. Le juge des libertés vérifie l’existence de démarches sans exiger un résultat certain. La rétention demeure légitimement prolongée tant que l’administration poursuit activement l’objectif d’éloignement, quand bien même celui-ci tarderait à se concrétiser.
II. La charge de la preuve de l’absence de perspective raisonnable d’éloignement
L’ordonnance tranche implicitement la question de l’incidence des difficultés diplomatiques sur l’appréciation des perspectives d’éloignement (A), en faisant peser sur l’étranger retenu la charge d’établir le caractère illusoire de son départ (B).
A. L’incidence alléguée des tensions diplomatiques franco-algériennes
L’avocat de l’intéressé a invoqué l’état des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie pour soutenir l’absence de toute perspective raisonnable d’éloignement. Cet argument repose sur une réalité notoire : les tensions politiques entre les deux États ont conduit l’Algérie à suspendre ou ralentir considérablement la délivrance des laissez-passer consulaires.
Cette circonstance, si elle était établie, aurait pu conduire le magistrat à refuser la prorogation. L’article L.741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit en effet que l’étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. Une rétention sans perspective d’éloignement perd sa finalité légale et devient une privation de liberté injustifiée.
Le magistrat refuse toutefois de tirer les conséquences de cette allégation. Il considère que les « considérations générales sur l’état des relations entre la France et l’Algérie » demeurent insuffisantes à établir le caractère illusoire du départ à bref délai.
B. L’exigence probatoire pesant sur l’étranger retenu
L’ordonnance opère un renversement notable de la charge de la preuve. En exigeant que les difficultés diplomatiques soient « étayées par des pièces produites aux débats », le magistrat fait peser sur l’étranger retenu l’obligation de démontrer l’impossibilité de son éloignement.
Cette position soulève une difficulté pratique considérable. L’étranger placé en rétention dispose de moyens limités pour se procurer des éléments de preuve relatifs à la politique consulaire algérienne. Les informations sur les taux de délivrance des laissez-passer ou sur les délais moyens d’obtention relèvent de données détenues par l’administration elle-même.
La solution retenue peut néanmoins se justifier par le souci d’éviter que des allégations non vérifiées ne paralysent systématiquement les procédures d’éloignement. Le magistrat préserve l’efficacité du dispositif en refusant de présumer l’échec des démarches administratives sur la seule foi d’affirmations relatives au contexte diplomatique général.
Cette ordonnance illustre la tension permanente entre l’effectivité des mesures d’éloignement et la protection de la liberté individuelle. Elle rappelle que le contrôle juridictionnel de la rétention demeure tributaire des éléments de preuve versés aux débats, laissant à l’étranger retenu une charge probatoire difficile à satisfaire dans les circonstances de la rétention.