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Le contrôle juridictionnel des hospitalisations psychiatriques sans consentement constitue une garantie fondamentale des libertés individuelles. La présente ordonnance du tribunal judiciaire de Limoges, rendue le 23 juin 2025 par le juge en charge du contrôle des mesures privatives et restrictives de liberté, illustre la tension permanente entre protection de la santé du patient et respect de son autonomie.
En l’espèce, un homme majeur, né en 2003, souffrant d’une pathologie psychotique chronique, avait été admis en soins psychiatriques sans consentement le 13 juin 2025, sur décision du directeur d’établissement et à la demande d’un tiers, sa mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Les certificats médicaux initiaux décrivaient un patient ayant interrompu son traitement de fond, consommant quotidiennement alcool et stupéfiants, et présentant une symptomatologie délirante à thématique érotomaniaque et mystique. Le directeur de l’établissement avait prolongé la mesure le 16 juin 2025. Conformément à l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, le juge fut saisi aux fins de contrôle de la mesure d’hospitalisation complète.
À l’audience, le patient contesta la nécessité de son hospitalisation, expliquant avoir cessé son traitement pour des raisons pratiques et minimisant la gravité de ses troubles. Son avocat, sans soulever d’irrégularité procédurale, sollicita la mainlevée de la mesure. Le ministère public s’en rapporta à l’appréciation du juge.
La question posée au tribunal était la suivante : les conditions justifiant le maintien d’une hospitalisation psychiatrique sans consentement sous forme d’hospitalisation complète sont-elles réunies lorsque le patient, atteint d’une pathologie chronique en phase de décompensation, nie l’existence de ses troubles et refuse d’adhérer aux soins ?
Le juge autorisa la poursuite de l’hospitalisation complète, considérant que « le patient est dans le déni total de ses troubles » et qu’il « ne peut valablement adhérer à des soins faute d’en percevoir la nécessité ».
Cette décision invite à examiner successivement les conditions du maintien de l’hospitalisation sans consentement (I), puis la portée du critère de l’absence de consentement valable aux soins (II).
I. Les conditions légales du maintien de l’hospitalisation sans consentement
Le juge procède à une vérification méthodique des conditions tant formelles que substantielles justifiant la privation de liberté du patient psychiatrique.
A. La régularité procédurale de la mesure
L’ordonnance s’inscrit dans le cadre de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques. Le contrôle juridictionnel systématique prévu par l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique impose au juge de statuer sur la poursuite de toute mesure d’hospitalisation complète dans un délai de douze jours à compter de l’admission.
En l’espèce, l’admission avait eu lieu le 13 juin 2025 et le juge statuait le 23 juin 2025, soit dans le délai légal. La procédure suivie correspondait à une admission sur décision du directeur d’établissement avec demande d’un tiers, conformément aux articles L. 3212-1 à L. 3212-12 du code de la santé publique. La demande émanait de la mandataire judiciaire du patient, ce qui soulève la question de la qualité du tiers lorsque celui-ci exerce une mesure de protection juridique. Le législateur n’a pas exclu cette hypothèse, et la jurisprudence admet que le mandataire judiciaire puisse valablement formuler la demande d’admission.
Le conseil du patient n’a soulevé aucune irrégularité de procédure. Cette absence de contestation formelle ne dispensait pas le juge de vérifier d’office la régularité des actes, mais elle témoigne du respect apparent des garanties procédurales entourant la privation de liberté.
B. La caractérisation des troubles justifiant l’hospitalisation
Le maintien de l’hospitalisation sans consentement suppose que les troubles mentaux du patient rendent « impossibles son consentement » et que son « état mental impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante », selon les termes de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique.
Les certificats médicaux versés au dossier décrivaient une « décompensation psychotique » avec « idées délirantes bien présentes », « hallucinations auditives » et « discours souvent incohérent et désorganisé ». Le praticien relevait également une « mauvaise observance du traitement » et des « troubles du comportement à domicile ». Ces éléments cliniques caractérisent des troubles mentaux actuels et non une simple pathologie chronique stabilisée.
Le juge retient que « Monsieur souffre d’une pathologie chronique et qu’il est actuellement en phase de décompensation, due notamment à l’interruption de son traitement ». Cette formulation lie explicitement l’état actuel du patient à l’arrêt de sa médication, établissant ainsi le lien entre le comportement du patient et la nécessité des soins.
II. Le critère déterminant de l’absence de consentement valable aux soins
Au-delà de la simple constatation des troubles, le juge fonde sa décision sur l’impossibilité pour le patient de consentir valablement aux soins, critère qui interroge tant dans son appréciation que dans ses implications.
A. L’appréciation du déni des troubles par le patient
Le juge relève que « les déclarations du patient recueillies à l’audience confirment qu’il est dans le déni total de ses troubles ». Cette appréciation repose sur la confrontation entre le discours du patient et les constatations médicales objectives.
À l’audience, le patient avait fourni des explications alternatives à ses comportements : l’arrêt du traitement s’expliquait par des contraintes sociales, sa conversion religieuse relevait d’un choix spirituel sincère, ses propos concernant une influenceuse n’étaient qu’une plaisanterie destinée à son père. Le juge n’a pas retenu ces explications comme témoignant d’une lucidité retrouvée, mais au contraire comme manifestation du déni pathologique.
Cette appréciation soulève une difficulté méthodologique. Le patient qui conteste le diagnostic posé sur lui se trouve dans une position paradoxale : sa contestation peut être interprétée comme preuve de son anosognosie, c’est-à-dire de son incapacité pathologique à reconnaître sa maladie. Le juge doit donc distinguer la critique légitime que tout patient peut formuler à l’égard d’un diagnostic médical de l’absence de conscience morbide qui caractérise certaines pathologies psychiatriques.
En l’espèce, la cohérence entre les observations médicales multiples et le comportement du patient à l’audience a permis au juge de conclure au déni pathologique plutôt qu’au désaccord raisonné.
B. Les conséquences du défaut de consentement sur la décision de maintien
Le juge conclut que le patient « ne peut valablement adhérer à des soins faute d’en percevoir la nécessité ». Cette formulation établit un lien causal entre l’absence de conscience des troubles et l’impossibilité du consentement aux soins.
Cette motivation s’inscrit dans une conception du consentement aux soins qui dépasse la simple expression d’une volonté. Pour être valable, le consentement suppose une compréhension minimale de la situation justifiant les soins. Un patient qui nie l’existence même de sa pathologie ne peut, par définition, consentir de manière éclairée au traitement de cette pathologie.
L’ordonnance ne se prononce pas sur la durée prévisible de l’hospitalisation ni sur les perspectives d’évolution. Elle autorise la poursuite de la mesure sans fixer de terme, laissant au directeur d’établissement et aux contrôles ultérieurs le soin d’apprécier le moment où les conditions légales ne seront plus réunies.
Cette décision illustre la fonction du contrôle juridictionnel : non pas substituer son appréciation médicale à celle des praticiens, mais vérifier que les conditions légales de la privation de liberté sont réunies et que les garanties procédurales ont été respectées. Le juge des libertés en matière psychiatrique demeure ainsi le gardien de l’équilibre entre la protection de la santé du patient et le respect de sa liberté individuelle, équilibre dont la recherche anime l’ensemble du droit des soins psychiatriques sans consentement.