Tribunal judiciaire de Lisieux, le 13 juin 2025, n°25/00001

Le contentieux des élections professionnelles au sein des institutions représentatives du personnel obéit à des règles procédurales strictes, dont le non-respect entraîne des conséquences radicales. Le tribunal judiciaire de Lisieux, par un jugement du 13 juin 2025, illustre avec netteté l’exigence de rigueur qui gouverne la saisine du juge en cette matière.

En l’espèce, un syndicat avait saisi le tribunal judiciaire aux fins d’obtenir l’annulation de l’élection des cadres au comité social et économique d’une association, élection qui s’était tenue le 20 mai 2025. La requête, reçue au greffe le 4 juin 2025, fut introduite par un représentant du syndicat. Le syndicat requérant soutenait que l’organisation du scrutin était irrégulière, dans la mesure où tous les cadres avaient voté dans une urne unique alors que les cadres de droit public et ceux de droit privé auraient dû, selon lui, voter séparément. L’association défenderesse et un syndicat intervenant contestaient la recevabilité de la requête, faisant valoir que le syndicat demandeur n’avait pas d’intérêt à agir pour avoir signé le protocole d’accord préélectoral et n’avoir présenté aucune liste.

Le tribunal releva d’office une irrégularité tenant à l’absence de justification du pouvoir de représentation du syndicat par la personne physique ayant introduit la requête. Invité à régulariser sa situation, le syndicat produisit un pouvoir daté du 10 juin 2025, soit postérieurement à l’expiration du délai de forclusion de quinze jours suivant l’élection.

La question posée au tribunal était de déterminer si une requête en contestation d’élection professionnelle peut être déclarée recevable lorsque le pouvoir de représentation de la personne morale requérante n’est justifié qu’après l’expiration du délai de forclusion prévu par l’article R. 2314-24 du code du travail.

Le tribunal judiciaire de Lisieux a déclaré la requête irrecevable. Il a retenu que « en l’absence de justification par le requérant d’un pouvoir de représentation donné par la personne morale avant l’expiration de ce délai de forclusion, la requête doit être déclarée irrecevable », se fondant sur l’article R. 2314-24, alinéa 4 du code du travail combiné avec l’article 121 du code de procédure civile et la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation du 31 mars 2009.

Cette décision invite à examiner, d’une part, la nature particulière du délai de contestation des élections professionnelles (I), et d’autre part, les conséquences procédurales attachées au défaut de pouvoir de représentation (II).

I. La nature impérative du délai de contestation des élections professionnelles

La spécificité du contentieux électoral professionnel tient notamment à l’encadrement temporel strict de la contestation (A), dont la méconnaissance emporte des effets absolus (B).

A. Un délai de forclusion d’ordre public

L’article R. 2314-24, alinéa 4 du code du travail dispose que « lorsque la contestation porte sur la régularité de l’élection ou sur la désignation de représentants syndicaux, la requête n’est recevable que si elle est remise ou adressée dans les quinze jours suivant cette élection ou cette désignation ». Ce texte institue un délai de forclusion qui se distingue nettement des délais de prescription ordinaires.

Le tribunal de Lisieux rappelle cette règle avec précision en relevant que « l’élection contestée s’est déroulée le 20 mai 2025, de sorte que le requérant devait justifier d’un pouvoir de représentation qui lui aurait été conféré au plus tard le 04 juin 2025 ». Le calcul du délai ne souffre aucune ambiguïté. La brièveté du délai de quinze jours répond à un impératif de sécurité juridique propre aux élections professionnelles. Les institutions représentatives du personnel doivent pouvoir fonctionner sans que leur légitimité soit indéfiniment contestable. Cette exigence de stabilité justifie un encadrement temporel rigoureux que le juge applique sans tempérament.

B. L’impossibilité de régularisation tardive

La décision commentée met en lumière l’impossibilité de régulariser une situation procédurale après l’expiration du délai de forclusion. Le tribunal constate que « le seul pouvoir produit est daté du 10 juin 2025 », soit six jours après l’échéance fatidique. Cette circonstance suffit à sceller le sort de la requête.

La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. L’arrêt du 31 mars 2009, expressément visé par le tribunal, avait déjà posé le principe selon lequel le défaut de pouvoir de représentation à la date d’expiration du délai de forclusion constitue une fin de non-recevoir insusceptible de régularisation. Le caractère préfix du délai interdit toute prorogation comme toute régularisation a posteriori. La rigueur de cette règle peut sembler sévère. Elle garantit cependant l’égalité des justiciables et prévient les manœuvres dilatoires.

II. Les exigences procédurales de la représentation en justice des personnes morales

Le jugement du tribunal de Lisieux met en évidence l’articulation entre les règles du droit du travail et celles du droit processuel (A), dont la combinaison détermine le régime de la recevabilité (B).

A. L’exigence d’un pouvoir de représentation régulier

Le tribunal a relevé d’office « l’irrégularité tenant à l’absence de pouvoir de représentation du syndicat » par la personne physique ayant introduit la requête. Cette initiative procédurale traduit l’office du juge en matière de vérification des conditions de recevabilité de l’action. L’article 121 du code de procédure civile, expressément visé dans les motifs, dispose que le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice constitue une irrégularité de fond.

La représentation en justice d’une personne morale suppose un pouvoir régulier, c’est-à-dire un acte émanant de l’organe compétent et antérieur à l’introduction de l’instance. En matière syndicale, la question revêt une acuité particulière. Les organisations syndicales agissent fréquemment par l’intermédiaire de représentants dont les pouvoirs doivent être dûment établis. Le tribunal a accordé au syndicat requérant un délai pour produire ce pouvoir, manifestant ainsi une certaine bienveillance procédurale. Cette souplesse s’est toutefois heurtée à l’obstacle insurmontable du délai de forclusion.

B. L’articulation entre vice de fond et forclusion

La décision commentée illustre la combinaison de deux obstacles procéduraux distincts. Le défaut de pouvoir constitue en principe une irrégularité susceptible de régularisation en vertu de l’article 121 du code de procédure civile. Cette faculté de régularisation cède cependant devant le délai de forclusion propre au contentieux électoral.

Le tribunal énonce clairement cette articulation en retenant qu’« en l’absence de justification par le requérant d’un pouvoir de représentation donné par la personne morale avant l’expiration de ce délai de forclusion, la requête doit être déclarée irrecevable ». La règle de régularisation des irrégularités de fond ne peut avoir pour effet de permettre le contournement d’un délai préfix. La Cour de cassation a consacré cette solution dans l’arrêt du 31 mars 2009. Le tribunal de Lisieux s’inscrit dans cette lignée jurisprudentielle avec une fidélité remarquable. Cette position présente le mérite de la clarté. Elle impose aux organisations syndicales une vigilance procédurale accrue lorsqu’elles entendent contester des élections professionnelles. La constitution d’un dossier complet, incluant un pouvoir de représentation en bonne et due forme, doit intervenir dans le bref délai de quinze jours suivant le scrutin.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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