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L’expertise judiciaire constitue l’un des instruments probatoires essentiels du contentieux de la construction. Par une ordonnance du 16 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Lyon, statuant par son juge de la mise en état, s’est prononcé sur une demande de mesure d’instruction dans un litige opposant un maître d’ouvrage à l’entreprise titulaire du marché et à son sous-traitant.
Une société civile immobilière, propriétaire d’un entrepôt, avait confié à une entreprise spécialisée des travaux de réfection de l’étanchéité en toiture. Cette entreprise avait elle-même sous-traité l’exécution des travaux à une autre société. Des désordres étant apparus, le maître d’ouvrage a fait établir un rapport technique le 17 octobre 2022, révélant diverses anomalies. Il a ensuite assigné l’entreprise titulaire du marché et son assureur devant le tribunal judiciaire le 28 février 2023. L’entreprise principale a appelé en intervention forcée son sous-traitant et l’assureur de celui-ci le 22 janvier 2024. Les procédures ont été jointes.
La société demanderesse sollicitait la communication de certaines pièces échangées dans la procédure d’intervention forcée ainsi que l’organisation d’une expertise judiciaire. Le sous-traitant et son assureur ne s’opposaient pas à cette mesure mais demandaient un sursis à statuer. L’entreprise principale contestait la demande de communication de pièces et sollicitait un complément de mission expertale. L’assureur de celle-ci ne s’opposait pas davantage à l’expertise tout en formulant des réserves.
La question posée au juge de la mise en état était de déterminer si les éléments versés aux débats justifiaient l’organisation d’une expertise judiciaire et, dans l’affirmative, quelle devait être l’étendue de la mission confiée à l’expert.
Le tribunal a ordonné la mesure d’expertise sollicitée, retenant que « les travaux de réfection de l’étanchéité en toiture de l’entrepôt […] présentent des désordres » et qu’il était « justifié d’ordonner, avant dire droit, une mesure d’expertise aux fins, entre autres, de recueillir des éléments permettant de qualifier les désordres et de déterminer leur imputabilité ». Le juge a également prononcé le sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport.
Cette ordonnance illustre les conditions d’octroi de l’expertise judiciaire en matière de construction (I) et ses modalités de mise en œuvre (II).
I. Les conditions de l’expertise judiciaire en matière de construction
Le juge de la mise en état rappelle sa compétence exclusive pour ordonner les mesures d’instruction (A) avant d’apprécier l’opportunité de la mesure sollicitée (B).
A. La compétence exclusive du juge de la mise en état
Le tribunal fonde expressément sa décision sur l’article 789 du code de procédure civile, aux termes duquel « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ». Cette disposition concentre entre les mains d’un juge unique l’ensemble du pouvoir d’investigation probatoire durant la phase de mise en état.
L’ordonnance se réfère également à l’article 232 du code de procédure civile, selon lequel « le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien ». La mesure d’expertise apparaît comme une faculté pour le juge, non comme une obligation. Le magistrat conserve son pouvoir souverain d’appréciation quant à l’opportunité de recourir à un technicien.
La combinaison de ces deux textes confère au juge de la mise en état une double prérogative. Il est seul compétent pour statuer sur la demande d’expertise et dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour en apprécier la nécessité. Cette architecture procédurale garantit l’unité de la direction du procès durant la phase préparatoire.
B. L’appréciation de la nécessité de la mesure
Le tribunal relève qu’« il résulte des débats et des pièces qui y sont versées, en particulier le rapport de la société SECC du 17 octobre 2022, que les travaux de réfection de l’étanchéité en toiture de l’entrepôt […] présentent des désordres ». L’existence de désordres constitue le présupposé factuel justifiant le recours à l’expertise. Le juge s’appuie sur un élément de preuve extrajudiciaire pour caractériser cette condition.
La décision retient ensuite qu’il est « justifié d’ordonner, avant dire droit, une mesure d’expertise aux fins, entre autres, de recueillir des éléments permettant de qualifier les désordres et de déterminer leur imputabilité ». Cette formulation révèle la double finalité assignée à l’expertise. Il s’agit d’une part de qualifier juridiquement les désordres, d’autre part d’en déterminer l’imputabilité aux différents intervenants.
Le juge accueille la demande sans qu’aucune partie n’y ait véritablement fait obstacle. L’assureur de l’entreprise principale indiquait expressément ne pas s’y opposer, tout comme le sous-traitant et son propre assureur. Cette absence de contestation sérieuse facilite la décision mais ne dispense pas le magistrat de vérifier que les conditions légales sont réunies.
II. Les modalités de mise en œuvre de l’expertise judiciaire
L’ordonnance définit avec précision le contenu de la mission expertale (A) et organise la suspension de l’instance (B).
A. La définition de la mission de l’expert
Le tribunal ordonne une expertise « selon mission telle que définie au dispositif » de l’ordonnance. Cette mission reprend pour l’essentiel les demandes formulées par les différentes parties. Elle comprend notamment l’examen des « réserves, inachèvements, désordres et non conformités alléguées », la recherche de leur origine et l’appréciation des « responsabilités encourues ».
Le juge accueille certains compléments de mission sollicités par les défendeurs. L’expert devra « dire si les désordres, non-conformités allégués étaient visibles à la réception et s’ils ont été réservés » et « dire si les désordres compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ». Ces éléments sont déterminants pour l’application du régime de responsabilité des constructeurs prévu aux articles 1792 et suivants du code civil.
Le tribunal refuse en revanche le chef de mission consistant à « faire un compte entre les parties », estimant qu’il « n’apparaît pas justifié ». Cette exclusion préserve la compétence du juge du fond pour statuer sur les créances réciproques. L’expert doit éclairer le tribunal sur les questions techniques sans empiéter sur l’office juridictionnel.
B. L’organisation du sursis à statuer
Le tribunal prononce un « sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport définitif » de l’expert. Il retient que « les demandes au fond telles qu’elles résultent de l’assignation ont un lien direct avec l’expertise ordonnée, justifiant ainsi qu’il soit fait droit à la demande de sursis à statuer ». Ce lien direct fonde la suspension de l’instance au fond.
L’ordonnance vise les articles 378 et 379 du code de procédure civile. Le premier dispose que « la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine ». Le second précise que « le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge ». La juridiction conserve donc sa saisine malgré la suspension de l’instance.
Cette articulation entre expertise et sursis à statuer est classique en matière de construction. Elle permet de concentrer les opérations expertales avant toute discussion au fond. Les parties pourront utilement débattre une fois éclairées par les conclusions techniques de l’expert. L’instance reprendra à l’initiative de la partie la plus diligente après le dépôt du rapport, le juge ayant fixé cette échéance au 15 mars 2026.