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L’ordonnance rendue le 16 juin 2025 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon statue sur une quatrième demande de prolongation d’une mesure de rétention administrative. Cette décision s’inscrit dans le contentieux du droit des étrangers et soulève la question des conditions exceptionnelles permettant le maintien en rétention au-delà des délais ordinaires.
Un ressortissant tunisien, né en 2004, a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français notifiée le 21 octobre 2023. Le 3 avril 2025, l’autorité administrative a ordonné son placement en rétention. Cette mesure a été successivement prolongée par trois ordonnances du tribunal judiciaire de Lyon : le 6 avril 2025 pour vingt-six jours, le 2 mai 2025 pour trente jours, puis le 1er juin 2025 pour une première prolongation exceptionnelle de quinze jours. Par requête du 15 juin 2025, la préfecture du Puy-de-Dôme a sollicité une quatrième prolongation de quinze jours supplémentaires.
La préfecture fondait sa demande sur l’existence d’une menace pour l’ordre public, produisant uniquement le relevé dactyloscopique de l’intéressé. Le conseil du retenu contestait cette demande. Le ministère public n’était ni présent ni représenté à l’audience.
La question posée au juge était de déterminer si les conditions légales d’une quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative étaient réunies, et plus précisément si la menace pour l’ordre public était suffisamment caractérisée.
Le juge des libertés et de la détention a fait droit à la requête préfectorale. Il a retenu que la condamnation du 7 avril 2025 par le tribunal correctionnel à un an d’emprisonnement ferme, assortie d’une interdiction du territoire français de trois ans, suffisait à caractériser une menace réelle et actuelle pour l’ordre public. Il a également relevé l’existence d’une perspective raisonnable d’éloignement, les autorités consulaires marocaines et algériennes ayant été régulièrement relancées.
Cette décision invite à examiner les conditions strictes de la quatrième prolongation exceptionnelle (I) avant d’analyser l’appréciation judiciaire de la menace pour l’ordre public (II).
I. Le cadre juridique restrictif de la quatrième prolongation exceptionnelle
A. L’épuisement des délais ordinaires de rétention
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organise un système de prolongations successives de la rétention administrative. L’article L. 742-1 prévoit une durée initiale de quarante-huit heures, que le juge des libertés et de la détention peut prolonger selon les dispositions des articles L. 742-4 et suivants. Le législateur a ainsi prévu trois prolongations ordinaires avant d’ouvrir la possibilité d’une quatrième prolongation, qualifiée d’exceptionnelle par l’article L. 742-5.
L’ordonnance commentée illustre ce mécanisme de prolongations en cascade. Le retenu a successivement fait l’objet d’une première prolongation de vingt-six jours, d’une deuxième de trente jours, puis d’une troisième de quinze jours. Au 16 juin 2025, il se trouvait en rétention depuis soixante-quatorze jours. La demande préfectorale visait à porter cette durée à quatre-vingt-neuf jours, soit près de trois mois de privation de liberté dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire.
Le juge rappelle le principe cardinal posé par l’article L. 741-3 du code précité : « un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». Cette formulation impose une double exigence de nécessité et de proportionnalité. L’administration « doit exercer toute diligence » pour organiser l’éloignement effectif. La rétention ne saurait constituer une mesure de sûreté détournée de sa finalité première.
B. Les hypothèses limitatives de l’article L. 742-5
L’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énumère restrictivement les situations permettant une quatrième prolongation. Le juge en rappelle la teneur : « le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel, être à nouveau saisi ». Le caractère exceptionnel de cette faculté commande une interprétation stricte des conditions légales.
Trois hypothèses sont d’abord visées. L’étranger peut avoir « fait obstruction à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement ». Il peut avoir présenté « dans les quinze derniers jours, dans le seul but de faire échec à la mesure d’éloignement, une demande de protection ou une demande d’asile ». La mesure peut enfin n’avoir pu être exécutée « en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat » lorsque cette délivrance « doit intervenir à bref délai ».
L’ordonnance mentionne également que « le juge peut aussi être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public ». C’est sur ce dernier fondement que la préfecture du Puy-de-Dôme a choisi d’asseoir sa demande. Ce choix n’était pas anodin. Les trois premières hypothèses supposent des éléments factuels précis survenus dans les quinze derniers jours de rétention. La menace pour l’ordre public autorise une appréciation plus globale du comportement de l’intéressé.
II. La caractérisation judiciaire de la menace pour l’ordre public
A. L’office du juge dans l’appréciation des éléments produits
Le juge des libertés et de la détention exerce un contrôle effectif sur les éléments justifiant la demande de prolongation. L’ordonnance révèle une situation singulière : la préfecture n’avait produit à l’appui de sa requête que « le relevé dactyloscopique de l’intéressé ». Ce document, qui établit l’identité du retenu par ses empreintes digitales, ne contient aucune information sur d’éventuels antécédents judiciaires.
Le juge ne s’est pas arrêté à cette carence documentaire. Il a puisé dans une décision antérieure les éléments nécessaires à son appréciation. L’ordonnance indique qu’« il résulte cependant de l’ordonnance du 3 juin 2025 rendue par le conseiller délégué par la première présidente de la cour d’appel de Lyon » que l’intéressé avait fait l’objet d’une condamnation pénale. Le magistrat a ainsi mobilisé sa connaissance du dossier, enrichie par les décisions rendues lors des prolongations précédentes.
Cette démarche traduit la conception du juge des libertés et de la détention comme gardien de la liberté individuelle. L’article 66 de la Constitution lui confie cette mission. Dans le contentieux de la rétention, il ne se borne pas à un contrôle formel des pièces produites. Il apprécie l’ensemble des circonstances de l’espèce pour statuer sur la privation de liberté demandée.
B. La condamnation pénale comme révélateur de la menace actuelle
Le juge retient que l’intéressé « a été condamné le 7 avril 2025 par jugement contradictoire à signifier du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand à la peine d’un an d’emprisonnement ». Cette condamnation était assortie « d’une peine complémentaire d’interdiction du territoire français pendant trois ans ». Les faits reprochés étaient graves : « détention, transport, acquisition, importation illicite de médicament ou psychotrope, usage de stupéfiants, détention de tabac sans document justificatif régulier ».
L’ordonnance qualifie cette condamnation de « récente ». Le jugement date du 7 avril 2025, soit quatre jours après le placement initial en rétention le 3 avril 2025. Cette proximité temporelle renforce le caractère actuel de la menace invoquée. Le juge en déduit que « cette condamnation récente à une peine d’emprisonnement ferme suffit à caractériser l’existence d’une menace réelle et actuelle pour l’ordre public ».
La formule employée mérite attention. Le double qualificatif de menace « réelle et actuelle » emprunte au vocabulaire du droit de l’Union européenne. La directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dite directive « retour », encadre les mesures d’éloignement et de rétention. La Cour de justice a précisé que la notion de risque pour l’ordre public suppose une menace effective, présentant un degré suffisant de gravité. Le juge lyonnais inscrit sa motivation dans cette grille d’analyse, conférant à sa décision une assise juridique solide.
La décision relève enfin qu’« il demeure une perspective raisonnable d’éloignement ». Les autorités consulaires marocaines et algériennes ont été saisies de demandes de laissez-passer et « régulièrement relancées, dont en dernier lieu par courriers électroniques du 11 juin 2025 ». Cette mention satisfait à l’exigence de diligence de l’administration posée par l’article L. 741-3. La prolongation ne vise pas à sanctionner l’étranger mais à permettre l’exécution effective de la mesure d’éloignement.