Tribunal judiciaire de Lyon, le 17 juin 2025, n°21/00844

Le contentieux de l’imputabilité des arrêts de travail prescrits à la suite d’un accident du travail constitue un terrain d’affrontement récurrent entre les employeurs et les organismes de sécurité sociale. Le Tribunal judiciaire de Lyon, dans son jugement du 17 juin 2025, apporte une illustration éclairante des conditions dans lesquelles cette présomption peut être contestée.

Un salarié intérimaire, mis à disposition auprès d’une entreprise utilisatrice en qualité d’employé, a été victime d’un accident le 14 novembre 2019. Alors qu’il poussait un morceau de bois vers une scie à ruban, sa main droite a glissé et l’extrémité de son index a été sectionnée par la lame. Le certificat médical initial a constaté un délabrement de la phalange distale de l’index de la main droite. La caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle par décision du 2 décembre 2019.

L’état de santé du salarié a nécessité une intervention chirurgicale de reconstruction par greffon ainsi que des séances de kinésithérapie. Neuf certificats médicaux de prolongation ont été établis jusqu’à la consolidation fixée au 3 septembre 2020, soit près de dix mois après les faits. Le certificat médical final a relevé la persistance d’une perte de force motrice lors de la réalisation de la pince.

La société d’intérim a contesté la durée de la prise en charge en saisissant la commission médicale de recours amiable, puis le pôle social du tribunal judiciaire à la suite du rejet implicite de son recours. Elle sollicitait la mise en oeuvre d’une expertise médicale judiciaire. Son médecin conseil estimait que la consolidation aurait dû intervenir dès le 16 janvier 2020 et que les arrêts postérieurs résultaient d’un état antérieur évoluant pour son propre compte. La caisse concluait au rejet de cette demande en invoquant le bénéfice de la présomption d’imputabilité.

La question soumise au tribunal était de déterminer si l’employeur avait apporté des éléments suffisants pour justifier une mesure d’expertise aux fins de contester l’imputabilité des arrêts de travail prescrits jusqu’à la consolidation.

Le Tribunal judiciaire de Lyon a débouté la société de ses demandes. Il a jugé que « la présomption d’imputabilité au travail d’un accident survenu au temps et au lieu du travail s’étend aux soins et arrêts de travail délivrés à la suite de l’accident du travail pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime ». La juridiction a relevé que la continuité de soins et symptômes était établie par les certificats médicaux successifs mentionnant tous le même siège de lésions. Elle a considéré que l’avis du médecin conseil de l’employeur, établi sans examen du salarié, ne permettait pas d’établir l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

Ce jugement permet d’examiner les contours de la présomption d’imputabilité des arrêts de travail consécutifs à un accident professionnel (I), avant d’analyser les modalités de la charge probatoire pesant sur l’employeur contestant cette imputabilité (II).

I. L’étendue de la présomption d’imputabilité des soins et arrêts consécutifs à un accident du travail

La décision du tribunal rappelle le champ d’application temporel de la présomption (A) tout en précisant les conditions de son maintien en présence d’une continuité des symptômes (B).

A. Le bénéfice de la présomption jusqu’à la date de consolidation

Le tribunal énonce que la présomption d’imputabilité « s’étend aux soins et arrêts de travail délivrés à la suite de l’accident du travail pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de limiter le bénéfice de la présomption au seul certificat médical initial.

Le mécanisme protecteur ainsi consacré permet au salarié victime de bénéficier de la prise en charge de l’ensemble des soins et arrêts prescrits entre la date de l’accident et celle de la consolidation, sans avoir à démontrer le lien de causalité pour chaque prescription. La consolidation constitue le terme naturel de cette présomption puisqu’elle marque la stabilisation de l’état de santé de la victime.

En l’espèce, la consolidation a été fixée au 3 septembre 2020 par le médecin conseil de la caisse. Les neuf certificats de prolongation établis entre le 14 novembre 2019 et cette date entraient donc dans le champ de la présomption. Le tribunal relève que « Monsieur [F] a bénéficié de prescriptions de repos et de soins continues jusqu’au 3 septembre 2020, date de consolidation avec séquelles ».

B. L’indifférence de la discontinuité des soins dans l’application de la présomption

Le jugement apporte une précision importante sur les conditions d’application de la présomption. Le tribunal affirme que « la caisse n’a pas à justifier de la continuité des soins et des symptômes pour l’application de la présomption d’imputabilité ». Il ajoute que « l’absence de continuité de symptômes et soins jusqu’à la date de consolidation ou de guérison ne suffit pas à écarter la présomption d’imputabilité ».

Cette position s’inscrit dans le prolongement d’une évolution jurisprudentielle favorable aux victimes. La Cour de cassation a abandonné l’exigence d’une continuité stricte des symptômes pour maintenir le bénéfice de la présomption. Seule l’existence d’un arrêt de travail initial ou d’un certificat médical initial assorti d’un arrêt suffit à déclencher le mécanisme présomptif.

Le tribunal constate néanmoins en l’espèce que « la continuité de soins et symptômes au seul titre du délabrement de P3 de l’index de la main droite justifie la prise en charge des arrêts de travail ». Tous les certificats médicaux de prolongation mentionnaient le même siège de lésions, établissant ainsi un lien direct avec l’accident initial.

II. L’exigence d’un commencement de preuve d’une cause totalement étrangère au travail

Le tribunal précise les conditions dans lesquelles l’employeur peut contester la présomption (A) et en tire les conséquences sur l’opportunité d’une mesure d’expertise (B).

A. La charge de la preuve incombant à l’employeur contestant l’imputabilité

Le jugement rappelle que « cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l’employeur conteste l’imputabilité de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de l’accident du travail, à charge pour lui de rapporter la preuve que ces arrêts et soins résultent d’une cause totalement étrangère au travail ». Le tribunal précise qu’« une relation causale partielle suffit pour que l’arrêt de travail soit pris en charge ».

L’exigence d’une cause « totalement étrangère » au travail constitue un standard probatoire particulièrement élevé. L’employeur ne peut se contenter de démontrer que d’autres facteurs ont pu contribuer à la durée des arrêts. Il doit établir que ces arrêts trouvent leur origine exclusive dans une cause sans rapport avec l’accident professionnel.

En l’espèce, la société invoquait l’existence d’un état antérieur évoluant pour son propre compte. Son médecin conseil estimait que les arrêts postérieurs au 16 janvier 2020 ne pouvaient plus être rattachés à l’accident. Le tribunal écarte cet argument au motif que « l’avis du médecin conseil de l’employeur, établi sans examen de Monsieur [F], ne permet pas d’établir que les soins et arrêts prescrits à la suite de l’accident du travail du 14 novembre 2019 résultent d’une cause totalement étrangère au travail ».

B. Le rejet de l’expertise en l’absence d’éléments probants suffisants

Le tribunal énonce qu’« une mesure d’expertise n’a lieu d’être ordonnée que si l’employeur apporte des éléments de nature à accréditer l’existence d’une cause totalement étrangère au travail qui serait à l’origine exclusive des arrêts de travail contestés ». Il précise que l’expertise « n’a pas vocation à pallier la carence d’une partie dans l’administration de la preuve ».

Cette position traduit une conception restrictive du recours à l’expertise médicale judiciaire. Le tribunal refuse d’ordonner une mesure d’instruction à seule fin de permettre à l’employeur de rechercher des éléments qu’il n’a pas été en mesure de réunir. L’expertise suppose un commencement de preuve préalable.

Le jugement ajoute que « la référence à la durée excessive des arrêts de travail, à la supposée bénignité de la lésion initialement constatée ou à l’existence supposée d’un état pathologique antérieur n’est pas de nature à établir de manière suffisante l’existence d’un litige d’ordre médical, susceptible de justifier une demande d’expertise ».

Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel visant à éviter que les employeurs ne systématisent les demandes d’expertise aux fins de contester des durées d’arrêt qu’ils estiment excessives. La Cour de cassation a confirmé cette approche en exigeant que l’employeur produise des éléments objectifs de nature à remettre en cause le lien entre l’accident et les arrêts prescrits.

La portée de ce jugement réside dans la clarification des conditions de contestation de l’imputabilité des arrêts de travail. Les employeurs souhaitant remettre en cause la durée de prise en charge devront produire des éléments médicaux circonstanciés, idéalement issus d’un examen du salarié, et non de simples avis théoriques fondés sur l’analyse du dossier médical.

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Hassan KOHEN
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