Tribunal judiciaire de Lyon, le 17 juin 2025, n°24/02264

L’ordonnance rendue le 17 juin 2025 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon illustre les conditions d’application de l’article 145 du code de procédure civile en matière d’extension d’expertise judiciaire aux intervenants à l’acte de construire.

Une société civile de construction-vente avait fait édifier un immeuble d’habitation et confié différents lots à plusieurs entreprises. Après la livraison des appartements aux acquéreurs, des désordres furent signalés. Une expertise judiciaire fut ordonnée le 7 août 2023 à la demande du syndicat des copropriétaires et de divers copropriétaires, au contradictoire du promoteur. Ce dernier sollicita ensuite, par assignation en référé, l’extension des opérations d’expertise à l’ensemble des intervenants, notamment au maître d’œuvre, aux entreprises titulaires des lots et à leurs assureurs respectifs. Parmi les défendeurs figurait une personne ayant réalisé une étude thermique réglementaire et à laquelle avait été proposée une mission de bureau d’études fluides.

Le tribunal judiciaire de première instance, par ordonnance du 7 août 2023, avait ordonné l’expertise. Le promoteur assigna les intervenants aux fins d’extension de cette mesure. L’entrepreneur individuel et son assureur contestèrent cette demande au motif que la mission de bureau d’études n’avait pas été validée.

La question posée au juge des référés était la suivante : le demandeur à une extension d’expertise doit-il établir l’implication effective du défendeur dans les travaux litigieux pour justifier d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile ?

Le juge des référés rejeta la demande d’extension à l’encontre de l’entrepreneur individuel et de son assureur, faute pour le demandeur de justifier de leur participation à la conception ou à l’exécution des travaux. Il fit droit en revanche à la demande concernant les autres intervenants dont l’implication dans les désordres était établie.

Cette décision mérite examen sous deux angles. Elle précise d’abord les contours de la charge probatoire pesant sur le demandeur à une extension d’expertise (I). Elle illustre ensuite le contrôle rigoureux exercé par le juge sur l’existence du motif légitime (II).

I. La charge probatoire incombant au demandeur à l’extension d’expertise

Le juge des référés rappelle que l’article 145 du code de procédure civile subordonne l’octroi d’une mesure d’instruction à l’existence d’un « motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige » (A). Cette exigence légale impose au demandeur de démontrer le lien entre le défendeur et les désordres allégués (B).

A. Le rappel du fondement textuel de la mesure in futurum

L’article 145 du code de procédure civile constitue le siège de la mesure d’instruction in futurum. Le texte permet à tout intéressé de solliciter une mesure probatoire avant l’engagement d’un procès au fond. Cette disposition dérogatoire au principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même trouve sa justification dans la préservation des droits du futur plaideur.

Le juge lyonnais rappelle cette exigence textuelle en citant expressément l’article 145. Il souligne que la mesure n’est admissible que si les faits à prouver sont susceptibles d’influer sur « la solution d’un litige ». Cette formulation implique nécessairement l’existence d’un lien entre le défendeur à la mesure et le contentieux potentiel. L’extension d’une expertise existante obéit aux mêmes conditions que son ordonnancement initial.

B. L’obligation de démontrer l’implication du défendeur

Le demandeur doit établir que le défendeur pourrait être partie au litige futur. Le juge relève que « la SCCV URBAN DOME produit à l’instance » plusieurs pièces contractuelles, dont un devis accepté concernant l’entrepreneur individuel. Cette production devait suffire à première vue à justifier l’extension sollicitée.

Le juge constate cependant que le demandeur « ne produit aucune facture de la Défenderesse, ni les études qu’elle aurait réalisées, ni aucun échange relatif à ces études, ni d’élément démontrant sa participation à la conception des travaux ». L’existence d’un devis accepté ne suffit pas à établir l’exécution effective de la mission. Le promoteur échoue à démontrer que la prestataire a participé aux travaux litigieux au-delà de la seule étude thermique réglementaire.

II. Le contrôle juridictionnel de l’existence du motif légitime

Le juge des référés exerce un contrôle effectif sur le caractère légitime du motif invoqué (A). Cette appréciation conduit en l’espèce à une décision différenciée selon les défendeurs (B).

A. L’appréciation concrète des éléments de preuve

Le juge procède à un examen minutieux des pièces versées aux débats. Il oppose les documents produits par le demandeur à ceux présentés par la défense. L’entrepreneur individuel et son assureur « démontrent que les versions successives de l’étude thermique RT2012 ont été transmises, sans susciter de commentaire ni de référence à sa prétendue mission de bureau d’études ».

Le juge relève encore l’existence d’un second devis « portant sur la seule mission de bureau d’études fluides », postérieur au premier et ramenant le prix de cette prestation. Ce document suggère que la mission initialement prévue n’avait pas été exécutée. Le demandeur « ne démontre pas l’avoir accepté » ni avoir sollicité l’exécution de la prestation.

B. La solution différenciée retenue par le juge

Le juge conclut qu’ « il n’est pas justifié par la SCCV URBAN DOME de l’intervention de Madame [Y] [KP] dans la conception ou l’exécution des travaux litigieux ». Il ajoute qu’ « aucun grief n’est dirigé à l’encontre de l’étude thermique diffusée et actualisée par ses soins ». Dès lors, les conclusions de l’expertise ne pourront avoir « d’incidence sur la solution d’un éventuel litige » concernant cette défenderesse.

L’extension est accordée aux autres intervenants dont « l’implication éventuelle dans les désordres » est établie par les marchés de travaux produits. Le juge distingue ainsi selon que le demandeur rapporte ou non la preuve du lien entre l’intervenant et les désordres. Cette appréciation au cas par cas s’inscrit dans la jurisprudence constante exigeant un motif légitime propre à chaque défendeur.

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Hassan KOHEN
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