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Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Lyon le 18 juin 2025 illustre les difficultés auxquelles se heurtent les ressortissants étrangers souhaitant acquérir la nationalité française par déclaration. Un individu se disant né le 2 mai 2003 au Mali avait été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance depuis juillet 2017. Il souscrivit une déclaration de nationalité française le 20 avril 2021 sur le fondement de l’article 21-12 1° du code civil. La directrice des services de greffe judiciaires du tribunal de Saverne refusa d’enregistrer cette déclaration au motif que le jugement supplétif de naissance malien du 28 juillet 2017 était inopposable en France.
Le déclarant assigna le Procureur de la République devant le Tribunal judiciaire de Lyon le 15 juillet 2022. Il sollicitait l’enregistrement de sa déclaration et la reconnaissance de sa nationalité française. Il arguait que le jugement supplétif mentionnait expressément avoir été rendu contradictoirement et que le ministère public malien avait nécessairement eu communication de la procédure. Le Procureur de la République soutenait que l’absence de mention de la présence effective du parquet malien rendait la décision contraire à l’ordre public international français.
La question posée au tribunal était de déterminer si un jugement supplétif de naissance étranger ne mentionnant pas la présence du ministère public à l’audience pouvait fonder valablement une déclaration de nationalité française.
Le Tribunal judiciaire de Lyon rejeta la demande d’enregistrement. Il constata que « la décision malienne ne fait aucune mention de la présence du Procureur de la République malien à l’audience ni de ses observations ». Il en déduisit l’inopposabilité du jugement en France et l’absence de force probante de l’acte de naissance qui en découlait.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’exigence du contradictoire dans la reconnaissance des jugements étrangers (I) que de ses conséquences sur la preuve de l’état civil des étrangers (II).
I. L’exigence du contradictoire comme condition de régularité internationale du jugement supplétif
A. Le fondement textuel de l’intervention du ministère public malien
Le tribunal se fonde sur l’article 432 du code de procédure civile malien pour établir l’irrégularité du jugement supplétif. Ce texte impose la communication au ministère public des « procédures qui concernent l’état des personnes ». Le jugement supplétif de naissance relève incontestablement de cette catégorie puisqu’il vise à établir un acte de l’état civil.
Le tribunal relève que la décision malienne « ne fait aucune mention de la présence du Procureur de la République malien à l’audience ni de ses observations ». Cette absence de mention est interprétée comme une violation du principe du contradictoire. Le raisonnement repose sur une présomption : le silence du jugement sur la participation du parquet équivaut à son absence effective de la procédure.
Le demandeur objectait que la mention préimprimée « contradictoirement » dans l’expédition certifiée conforme établissait le respect de cette formalité. Le tribunal écarte cet argument sans développer explicitement sa motivation sur ce point. La seule indication que la décision a été rendue contradictoirement ne suffirait pas à démontrer que le ministère public a effectivement eu communication du dossier et formulé des observations.
B. L’articulation entre droit étranger et ordre public international français
Le tribunal qualifie le défaut de participation du ministère public de contrariété à « l’ordre public international français ». Cette qualification mérite attention. L’ordre public international de procédure impose traditionnellement le respect des droits de la défense et du contradictoire. Le contrôle exercé vise à garantir qu’aucune partie n’a été privée de la possibilité de faire valoir ses arguments.
La transposition de cette exigence aux procédures gracieuses de l’état civil soulève une difficulté particulière. Le jugement supplétif de naissance ne tranche pas un litige entre parties adverses. Il vise à reconstituer un acte de l’état civil manquant. L’intervention du ministère public dans ce type de procédure répond à une finalité de contrôle de la sincérité des déclarations plutôt qu’à la protection d’intérêts contradictoires.
Le tribunal opère néanmoins un contrôle strict de la régularité procédurale étrangère. Il vérifie que la législation malienne a été respectée avant d’apprécier la conformité à l’ordre public français. Cette double vérification conduit à une sanction radicale : l’inopposabilité du jugement en France.
II. Les conséquences sur la preuve de l’état civil et l’acquisition de la nationalité
A. La privation de force probante de l’acte de naissance
Le tribunal tire de l’inopposabilité du jugement supplétif une conséquence logique : « l’acte de naissance dressé en exécution du jugement supplétif inopposable en France est nécessairement dépourvu de force probante au sens de l’article 47 du code civil ». Cette formule établit un lien d’indissociabilité entre le jugement fondateur et l’acte qui en découle.
L’article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d’état civil étrangers rédigés dans les formes usitées dans le pays d’origine. Le tribunal rappelle qu’il incombe au ministère public de renverser cette présomption. En l’espèce, l’irrégularité procédurale du jugement supplétif constitue le fait permettant ce renversement.
Le tribunal relève à titre surabondant une discordance entre le jugement et l’acte de naissance. L’acte mentionne la nationalité et le domicile des parents alors que le dispositif du jugement n’en fait pas état. Cette observation renforce la conclusion d’irrégularité. Elle suggère que l’officier d’état civil malien a ajouté des mentions non couvertes par l’autorité de la chose jugée.
B. L’impossible acquisition de la nationalité française par déclaration
Le rejet de la demande d’enregistrement procède directement de l’absence d’état civil certain. L’article 21-12 1° du code civil subordonne l’acquisition de la nationalité française à la condition d’être confié à l’aide sociale à l’enfance depuis au moins trois années. Le décret du 30 décembre 1993 modifié exige la production de l’acte de naissance du mineur à l’appui de la déclaration.
Le demandeur remplissait la condition de durée de prise en charge. Les attestations, décisions de justice et certificats de scolarité établissaient cette réalité. Son échec résulte exclusivement de l’impossibilité de prouver son identité et sa date de naissance par un acte d’état civil probant.
Cette situation révèle une difficulté structurelle. Les personnes provenant de pays où l’état civil est défaillant se trouvent contraintes de recourir à des jugements supplétifs. Or ces jugements font l’objet d’un contrôle rigoureux des juridictions françaises. L’exigence de participation effective du ministère public étranger constitue un obstacle souvent insurmontable lorsque les pratiques locales ne correspondent pas aux standards procéduraux attendus. Le demandeur se trouve ainsi privé de la nationalité française malgré plusieurs années d’intégration au sein des services de protection de l’enfance.