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Le contrôle juridictionnel du placement en rétention administrative constitue une garantie essentielle de la liberté individuelle des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. Le juge des libertés et de la détention, gardien de cette liberté, exerce un contrôle rigoureux sur les conditions dans lesquelles l’autorité préfectorale prive une personne de sa liberté d’aller et venir. La motivation de l’arrêté de placement, exigence légale fondamentale, doit refléter un examen réel de la situation de l’intéressé.
Le tribunal judiciaire de Lyon, par ordonnance du 18 juin 2025, s’est prononcé sur la régularité d’une décision de placement en rétention administrative et sur une demande de prolongation de cette mesure.
Un ressortissant algérien, né le 17 mai 1990, a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français notifiée le 19 novembre 2024. Le 15 juin 2025, la préfète de l’Ain a ordonné son placement en rétention administrative. L’arrêté préfectoral indiquait que l’intéressé, marié à une ressortissante française et père d’un enfant français, ne résidait ni avec son épouse ni avec son enfant, ne disposait pas de domicile stable, ne possédait aucun document d’identité, n’exerçait aucun emploi et ne bénéficiait d’aucune ressource.
Le 17 juin 2025, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours. Le même jour, l’intéressé a formé un recours en contestation de la régularité de son placement. Les deux procédures ont été jointes.
À l’audience, le retenu a invoqué un défaut d’examen sérieux et individuel de sa situation personnelle et familiale. Il faisait valoir que les mentions de l’arrêté préfectoral ne correspondaient pas aux déclarations qu’il avait effectuées lors de la vérification de son droit de séjour. Lors de cette audition, il avait en effet déclaré être domicilié chez un cousin, être père d’un enfant à sa charge vivant chez sa grand-mère pour son éducation, exercer la profession de blanchisseur, percevoir des subsides familiaux et un héritage, avoir entrepris des démarches pour renouveler son titre de séjour et disposer d’un passeport remis à son avocat.
Le tribunal devait déterminer si l’arrêté de placement en rétention satisfaisait à l’exigence de motivation imposée par l’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et plus précisément si le préfet avait procédé à un examen sérieux de la situation personnelle et familiale de l’intéressé avant de décider son placement.
Le juge a déclaré la décision de placement en rétention irrégulière et ordonné la mise en liberté de l’intéressé. Il a retenu que les indications figurant dans l’arrêté préfectoral ne reflétaient pas les déclarations de l’étranger consignées au procès-verbal, caractérisant ainsi un défaut d’examen sérieux de sa situation personnelle et familiale.
L’exigence d’un examen individualisé apparaît comme une condition substantielle de la légalité du placement en rétention (I), dont la méconnaissance entraîne des conséquences rigoureuses pour l’autorité administrative (II).
I. L’exigence d’un examen individualisé comme condition de légalité du placement
Le juge rappelle d’abord le cadre normatif de la motivation (A), avant de caractériser la discordance entre les éléments du dossier et le contenu de l’arrêté (B).
A. Le cadre normatif de l’obligation de motivation
L’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose que la décision de placement en rétention soit « écrite et motivée ». Le juge précise la portée de cette exigence en indiquant que « cette motivation se doit de retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l’administration pour prendre sa décision ». Cette formulation souligne que la motivation ne saurait se réduire à une clause de style ou à une énumération abstraite des critères légaux.
Le tribunal apporte une nuance importante en relevant que l’autorité administrative « n’a pas à énoncer, puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté ». La motivation n’impose donc pas une discussion exhaustive de toutes les alternatives envisageables. Elle requiert en revanche que l’arrêté « explicite la raison ou les raisons pour lesquelles la personne a été placée en rétention au regard d’éléments factuels pertinents liés à la situation individuelle et personnelle de l’intéressé ».
Cette conception de la motivation s’inscrit dans la jurisprudence constante du Conseil d’État relative aux décisions administratives individuelles défavorables. Elle traduit l’idée que la privation de liberté, mesure exceptionnelle, ne peut intervenir qu’après un examen concret de la situation de la personne concernée. L’administration doit démontrer qu’elle a effectivement pris en considération les circonstances propres à l’espèce, non qu’elle a appliqué mécaniquement des critères généraux.
B. La caractérisation d’une discordance révélatrice
Le juge procède à une comparaison minutieuse entre les mentions de l’arrêté préfectoral et les déclarations de l’intéressé consignées au procès-verbal de vérification du droit de séjour. Cette confrontation révèle des divergences significatives sur plusieurs points essentiels.
L’arrêté indiquait que l’étranger « n’a pas de domicile stable », alors qu’il avait déclaré être domicilié chez un cousin à une adresse précise. L’arrêté mentionnait qu’il « ne possède ni document d’identité », quand il avait affirmé disposer d’un passeport algérien remis à son avocat. L’arrêté énonçait qu’il n’avait « aucune ressource » et n’exerçait aucun emploi, tandis qu’il avait indiqué exercer la profession de blanchisseur et percevoir des subsides familiaux ainsi qu’un héritage. Concernant la situation familiale, l’arrêté affirmait qu’il n’avait pas la charge de son enfant, alors qu’il avait déclaré être père d’un enfant « à sa charge ».
Le tribunal conclut que « ces indications ne reflètent pas les déclarations de l’intéressé ». Cette formulation sobre mais décisive suffit à caractériser le vice. Le juge ne se prononce pas sur la véracité des déclarations de l’étranger. Il constate simplement que l’administration n’en a pas tenu compte dans la rédaction de son arrêté, révélant ainsi l’absence d’examen effectif des éléments portés à sa connaissance.
II. Les conséquences rigoureuses de la méconnaissance de l’exigence d’examen
Le défaut d’examen sérieux entraîne l’irrégularité du placement (A) et prive de tout fondement la demande de prolongation (B).
A. L’irrégularité du placement comme sanction de l’absence d’examen sérieux
Le juge qualifie le vice constaté de « défaut d’examen sérieux de la situation personnelle et familiale », ce qui conduit à « considérer la décision de placement comme irrégulière ». Cette qualification emporte des conséquences importantes sur le plan du contrôle juridictionnel.
Le défaut d’examen sérieux se distingue du simple défaut de motivation formelle. Il ne s’agit pas seulement de vérifier que l’arrêté comporte des motifs, mais d’apprécier si ces motifs traduisent une prise en compte effective de la situation individuelle. En l’espèce, l’arrêté était formellement motivé. Il comportait des développements sur la situation personnelle et familiale de l’intéressé. Mais ces développements, contredisant les éléments du dossier, révélaient que l’administration n’avait pas procédé à l’examen qu’elle prétendait avoir effectué.
Cette approche renforce la protection de la liberté individuelle. Elle interdit à l’administration de se contenter de motivations stéréotypées ou de reprendre des formules types sans vérifier leur adéquation avec la réalité de chaque situation. Le juge des libertés et de la détention s’assure ainsi que la privation de liberté résulte d’une appréciation concrète et non d’un automatisme administratif.
Le tribunal précise qu’il n’est pas nécessaire « d’examiner les autres moyens soulevés ». Cette économie de moyens, classique en contentieux administratif, traduit le caractère suffisant du vice retenu pour entraîner l’annulation. Elle évite également au juge de se prononcer sur des questions qui pourraient devenir sans objet.
B. L’extinction de la demande de prolongation
L’irrégularité du placement prive la demande de prolongation de tout fondement juridique. Le juge énonce ainsi qu’il n’y a pas lieu « de statuer sur la prolongation de la mesure de rétention, monsieur [l’intéressé] devant de fait être remis en liberté ».
Cette solution s’impose logiquement. La prolongation de la rétention suppose l’existence d’un placement régulier. Le juge ne saurait prolonger une mesure privative de liberté dont le fondement initial est vicié. L’irrégularité du placement contamine l’ensemble de la procédure et impose la remise en liberté immédiate.
Le tribunal rappelle néanmoins que « l’intéressé a l’obligation de quitter le territoire français en application de l’article L. 742-10 du CESEDA ». Cette mention, systématique dans ce type de décision, souligne que l’irrégularité procédurale n’affecte pas la validité de la mesure d’éloignement elle-même. L’étranger reste soumis à l’obligation de quitter le territoire, mais l’administration ne peut le maintenir en rétention sur le fondement d’un arrêté irrégulier.
Cette décision illustre l’office du juge des libertés et de la détention en matière de rétention administrative. Gardien de la liberté individuelle, il exerce un contrôle effectif sur les conditions dans lesquelles l’administration prive une personne de sa liberté. L’exigence d’un examen individualisé, loin de constituer une formalité, garantit que chaque placement résulte d’une appréciation concrète. La rigueur de ce contrôle protège les étrangers contre l’arbitraire administratif, sans remettre en cause le principe même de la rétention lorsqu’elle est régulièrement décidée.