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Le contentieux de la carte mobilité inclusion constitue un terrain fertile pour l’analyse des conditions d’accès aux droits des personnes handicapées. Le tribunal judiciaire de Lyon, par un jugement rendu le 19 juin 2025, apporte une illustration éclairante du contrôle juridictionnel exercé sur les décisions des autorités administratives en la matière.
Un particulier avait sollicité, le 14 mars 2023, l’attribution d’une carte mobilité inclusion portant la mention « invalidité » auprès des services de la métropole. Il faisait valoir souffrir de nombreuses pathologies invalidantes et avoir subi une double intervention chirurgicale cardiaque en 2022. Le président de la métropole rejeta cette demande par décision du 28 juin 2023, estimant que le taux d’incapacité du demandeur demeurait inférieur à 80 %. Une carte mobilité inclusion mention « priorité » lui fut toutefois accordée pour la période du 28 juin 2023 au 30 septembre 2027.
Le demandeur forma un recours préalable devant la commission départementale d’autonomie le 28 juillet 2023. Ce recours fut rejeté par décision du 14 février 2024. Par lettre recommandée du 5 avril 2024, l’intéressé saisit le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de contester ces décisions. Il soutenait que sa situation n’avait pas été exactement évaluée et sollicitait la reconnaissance d’un taux d’incapacité supérieur à 80 %. La métropole, bien que non comparante à l’audience du 15 avril 2025, concluait au rejet de la demande, faisant valoir que les éléments médicaux versés ne permettaient pas de proposer un taux d’incapacité supérieur à 80 % et que le requérant ne bénéficiait pas d’une pension d’invalidité de troisième catégorie.
La question posée au tribunal était de déterminer si l’état de santé du demandeur justifiait l’attribution d’une carte mobilité inclusion mention « invalidité », laquelle suppose, aux termes de l’article L. 241-3 du code de l’action sociale et des familles, soit un taux d’incapacité permanente d’au moins 80 %, soit un classement dans la troisième catégorie d’invalidité prévue à l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale.
Le tribunal déclare le recours recevable, confirme la décision administrative contestée et rejette la demande de carte mobilité inclusion mention « invalidité ». Il retient, après consultation médicale ordonnée à l’audience, que le taux d’incapacité du requérant n’atteint pas 80 % et que celui-ci ne justifie pas d’une pension d’invalidité de troisième catégorie.
Cette décision illustre le régime juridique rigoureux de la carte mobilité inclusion (I) tout en révélant les modalités du contrôle juridictionnel en matière de handicap (II).
I. Le régime juridique exigeant de la carte mobilité inclusion mention « invalidité »
L’attribution de la carte mobilité inclusion mention « invalidité » obéit à des conditions alternatives strictement définies (A), dont la mise en œuvre repose sur une évaluation médico-administrative encadrée (B).
A. Les conditions alternatives d’attribution
Le tribunal rappelle avec précision les dispositions de l’article L. 241-3 du code de l’action sociale et des familles. La mention « invalidité » est attribuée « à toute personne dont le taux d’incapacité permanente est au moins de 80 % ou qui a été classée dans la catégorie mentionnée au 3° de l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale ».
Cette formulation alternative mérite attention. Le législateur a entendu ouvrir deux voies d’accès distinctes à la carte mobilité inclusion mention « invalidité ». La première repose sur une évaluation du taux d’incapacité permanente selon le guide-barème annexé au code de l’action sociale et des familles. La seconde procède d’un classement en invalidité de troisième catégorie, c’est-à-dire la situation des personnes « absolument incapables d’exercer une profession quelconque et qui, en outre, [sont] dans l’obligation d’avoir recours à l’assistance d’une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie ».
En l’espèce, le tribunal constate que le requérant ne satisfait ni à l’une ni à l’autre de ces conditions. Le médecin consultant relève que « le taux d’incapacité est inférieur à 80 % ». Par ailleurs, le jugement souligne que le demandeur « ne justifie pas d’une pension invalidité troisième catégorie ». Cette double absence suffit à fonder le rejet de la demande.
Le caractère alternatif de ces conditions présente un intérêt pratique considérable. Une personne classée en invalidité de troisième catégorie peut obtenir la carte sans avoir à démontrer un taux d’incapacité précis. Inversement, une personne dont le taux d’incapacité atteint 80 % peut prétendre à la carte indépendamment de tout classement en invalidité. Le législateur a ainsi voulu appréhender des situations distinctes de handicap, relevant tantôt du champ de l’assurance maladie, tantôt de l’évaluation médico-sociale.
B. L’évaluation médico-administrative du taux d’incapacité
Le tribunal expose avec rigueur la méthodologie d’évaluation du taux d’incapacité. Celui-ci « est apprécié en application du guide-barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées figurant à l’annexe 2-4 » du code de l’action sociale et des familles.
Ce guide-barème distingue huit types de déficiences et propose des fourchettes de taux selon leur degré. Le tribunal rappelle qu’« un taux d’au moins 80 % correspond à des troubles graves entraînant une entrave majeure dans la vie quotidienne de la personne avec une atteinte de son autonomie individuelle ». La personne doit alors « être aidée totalement ou partiellement, ou surveillée dans l’accomplissement des actes de la vie quotidienne ». Ce seuil peut également être atteint « lorsqu’il y a déficience sévère avec abolition d’une fonction ».
Le jugement précise utilement la définition des actes de la vie quotidienne. Ceux-ci « portent notamment sur les activités suivantes : se comporter de façon logique et sensée, se repérer dans le temps et les lieux, assurer son hygiène corporelle, s’habiller et se déshabiller de façon adaptée, manger des aliments préparés, assumer l’hygiène de l’élimination urinaire et fécale, effectuer les mouvements (se lever, s’asseoir, se coucher) et les déplacements (au moins à l’intérieur d’un logement) ».
En l’espèce, le médecin consultant relève que le requérant « a été opéré en décembre 2022 avec pose de prothèses mitrale et aortique ». Toutefois, « le rythme est sinusal, avec une tension artérielle normale » et « le certificat médical destiné à la MDPH montre une bonne capacité motrice des membres ». Ces éléments établissent que l’intervention chirurgicale, bien que lourde, n’a pas entraîné d’entrave majeure à l’autonomie du requérant dans les actes de la vie quotidienne.
II. Les modalités du contrôle juridictionnel en matière de handicap
Le contrôle exercé par le tribunal repose sur une procédure spécifique impliquant une consultation médicale (A), laquelle conduit à un examen approfondi de la situation individuelle du demandeur (B).
A. La consultation médicale ordonnée à l’audience
Le tribunal a fait usage de la faculté qui lui est reconnue par les articles R. 142-16 et suivants du code de la sécurité sociale. En raison de la nature du litige, il « a ordonné une consultation médicale confiée au Professeur [G] [W], mesure qui a été exécutée sur-le-champ ».
Cette consultation médicale présente plusieurs caractéristiques remarquables. Elle est réalisée séance tenante, ce qui garantit la célérité de la procédure. Le médecin consultant prend connaissance du dossier médical du demandeur et « expose oralement la synthèse de ses constatations médicales en présence de la partie demanderesse qui a pu présenter de nouvelles observations ». Le principe du contradictoire se trouve ainsi pleinement respecté.
Les conclusions écrites du médecin consultant sont jointes à la minute du jugement. Cette formalité assure la traçabilité de l’avis médical et permet, en cas d’appel, une révision complète du dossier. Le tribunal dispose ainsi d’un éclairage technique indépendant de celui fourni par l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées.
Cette procédure de consultation médicale illustre la spécificité du contentieux social. Le juge ne se contente pas d’un contrôle de légalité externe. Il procède à un véritable réexamen de la situation médicale du demandeur, assisté d’un praticien compétent. Ce contrôle de pleine juridiction permet de corriger d’éventuelles erreurs d’appréciation commises lors de l’instruction administrative.
B. L’appréciation concrète de la situation individuelle
Le tribunal procède à une analyse individualisée de l’état de santé du requérant. Il ne se borne pas à reprendre les conclusions de l’administration. Il confronte les prétentions du demandeur aux éléments médicaux objectifs recueillis lors de la consultation.
Le jugement retient que le médecin consultant estime le « taux d’incapacité inférieur à 80 % » et que « l’état de santé [du requérant] ne lui apparaît pas justifier une CMI mention invalidité ». Cette appréciation repose sur des constatations précises. L’intervention chirurgicale cardiaque de 2022 a certes été lourde, mais ses suites apparaissent favorables. Le rythme cardiaque sinusal et la tension artérielle normale témoignent d’une récupération satisfaisante. La bonne capacité motrice des membres exclut une atteinte majeure à l’autonomie.
Le tribunal précise qu’il « dispose d’éléments d’information suffisants pour constater que le taux d’incapacité [du requérant] n’atteint pas 80 % ». Cette formulation traduit l’office du juge en la matière. Celui-ci doit réunir les éléments nécessaires à sa conviction. En présence d’un dossier complet et d’une consultation médicale concordante avec les éléments de l’administration, le rejet de la demande s’impose.
La décision illustre également l’articulation entre les différentes mentions de la carte mobilité inclusion. Le requérant bénéficie déjà d’une carte mention « priorité », attribuée aux personnes dont l’incapacité, inférieure à 80 %, rend la station debout pénible. Cette mention, accordée jusqu’au 30 septembre 2027, reconnaît l’existence d’un handicap. Elle n’ouvre cependant pas les mêmes droits que la mention « invalidité », laquelle permet notamment à la personne accompagnante de bénéficier de la priorité d’accès. Le refus de la mention supérieure ne prive donc pas le requérant de toute protection, mais le maintient dans une catégorie correspondant à l’évaluation objective de son état.