Tribunal judiciaire de Lyon, le 22 juin 2025, n°25/02366

Je dispose de la décision dans le message. Je vais rédiger le commentaire d’arrêt.

Par ordonnance du 22 juin 2025, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon statue sur la régularité d’une décision de placement en rétention administrative et sur la demande de prolongation de cette mesure. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent du contrôle juridictionnel des mesures privatives de liberté appliquées aux étrangers en situation irrégulière.

Un ressortissant étranger, né le 18 juillet 1992 en Tunisie, fait l’objet le 19 juin 2025 d’un arrêté de placement en rétention administrative pris par le préfet de Haute-Savoie. L’intéressé conteste cette décision par requête du 20 juin 2025. Le même jour, l’autorité administrative sollicite la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours.

Le requérant invoque plusieurs moyens à l’appui de sa contestation. Sur la légalité externe, il soutient que l’arrêté est insuffisamment motivé, tant sur sa situation personnelle que sur le critère de la menace pour l’ordre public. Sur la légalité interne, il estime que le placement en rétention n’est ni nécessaire ni proportionné, dès lors qu’il dispose d’une adresse en Espagne et ne se trouvait que de passage en France. Il conteste également la caractérisation d’une menace actuelle pour l’ordre public au regard de l’ancienneté de ses condamnations. La préfecture sollicite le rejet de la requête, faisant valoir que l’arrêté est régulièrement motivé et que l’absence de garanties de représentation justifie la mesure.

Le juge devait déterminer si l’arrêté de placement en rétention satisfait à l’exigence de motivation prévue par l’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et si la mesure est nécessaire et proportionnée au regard des garanties de représentation du requérant et de la menace pour l’ordre public.

Le juge des libertés et de la détention rejette les moyens soulevés par le requérant. Il considère que « la motivation de l’arrêté préfectoral apparaît suffisante et démontre qu’un examen particulier et individualisé de sa situation a été fait ». Il retient que l’absence de garanties de représentation sur le territoire national et la présence en France après plusieurs mesures d’éloignement caractérisent « la nécessité et la proportionnalité d’un placement en rétention, seule mesure permettant de s’assurer de l’exécution de la mesure d’éloignement ».

Cette décision permet d’examiner les exigences formelles de motivation de l’arrêté de placement en rétention (I), avant d’analyser l’appréciation des conditions de fond justifiant cette mesure privative de liberté (II).

I. Le contrôle de la légalité externe : l’exigence de motivation de l’arrêté de placement

A. L’obligation de motivation en droit et en fait

L’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose que la décision de placement en rétention soit écrite et motivée. Cette exigence constitue une garantie fondamentale pour l’étranger, qui doit être en mesure de comprendre les raisons de la mesure dont il fait l’objet et d’exercer utilement son recours.

Le juge rappelle que « le préfet doit indiquer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé sa décision, eu égard aux éléments de la situation personnelle de l’intéressé qui étaient portés à sa connaissance à la date de l’arrêté litigieux ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante en la matière, qui distingue les motifs positifs, devant figurer dans l’arrêté, des motifs négatifs, dont l’absence n’affecte pas la régularité de la décision.

Le requérant soutenait que l’arrêté ne prenait pas en compte sa domiciliation en Espagne ni ses précédents placements en rétention ayant donné lieu à des éloignements vers la Suisse. Le juge écarte ce moyen en constatant que l’arrêté « fait référence aux déclarations faites par [l’intéressé] quant à l’existence d’une résidence en [Espagne], porte mention de sa situation familiale, célibataire et sans enfant, et évoque les précédentes procédures administratives ayant donné lieu à des reconduites en Suisse ».

B. La suffisance de la motivation relative à la menace pour l’ordre public

Le grief tiré de l’insuffisance de motivation concernait également la caractérisation de la menace pour l’ordre public. Le requérant estimait que ses condamnations, dont la dernière remonte à 2023, ne permettaient pas de fonder valablement ce critère.

Le juge relève que « la décision de placement fait état des différentes signalisations faites par les services de police en listant les infractions concernées et mentionne les références de deux décisions de condamnations ». Il en déduit que « l’arrêté présente bien les précisions exactes sur le parcours pénal » de l’intéressé.

Cette appréciation traduit une conception souple de l’obligation de motivation. Le juge ne requiert pas que l’administration détaille l’ensemble des décisions antérieures de placement en rétention, estimant que « la mention exhaustive des décisions de placement en rétention n’apparaissant pas nécessaire pour prendre en compte l’exacte réalité de la situation de l’intéressé ». Cette position pragmatique permet d’assurer l’effectivité du contrôle sans imposer à l’administration une charge formelle excessive.

II. Le contrôle de la légalité interne : la nécessité et la proportionnalité de la mesure

A. L’appréciation des garanties de représentation

Le juge procède à un examen minutieux des garanties de représentation invoquées par le requérant. Ce dernier faisait valoir sa domiciliation en Espagne pour démontrer le caractère disproportionné de la mesure de rétention.

L’ordonnance relève plusieurs éléments défavorables. L’intéressé « a fait état d’une domiciliation en Espagne, en indiquant ne se trouver en France que depuis deux jours » mais « lors de l’audience il a énoncé une domiciliation en France chez sa compagne sans apporter de justificatif quant à la réalité de cette domiciliation ». Cette contradiction affaiblit la crédibilité de ses déclarations.

Le juge souligne également que le requérant « a reconnu ne pas avoir de titre de séjour pour être sur le territoire français » et qu’« il a par ailleurs par le passé fait l’objet à plusieurs reprises de mesures d’éloignement et qu’il s’est cependant à nouveau présenté sur le territoire français, fut-ce de manière épisodique ». L’absence de justificatif d’un voyage retour prévu renforce l’analyse du risque de soustraction à la mesure d’éloignement.

Un élément déterminant réside dans le constat que « l’intéressé n’a pas respecté de précédentes assignations à résidence ». Ce manquement antérieur justifie le recours à une mesure plus coercitive que l’assignation à résidence, conformément à la gradation des mesures prévue par le code.

B. La caractérisation de la menace pour l’ordre public

Le juge examine le parcours pénal du requérant tel qu’il ressort de l’arrêté préfectoral. L’intéressé « est défavorablement connu des services de police pour de multiples faits » incluant des vols aggravés, des violences sur conjoint, des menaces de mort réitérées et le port sans motif légitime d’arme blanche. Ces faits ont donné lieu à une condamnation le 18 juin 2021 par le tribunal correctionnel de Saint-Étienne à dix mois d’incarcération, la cour d’appel de Lyon ayant ajouté le 9 février 2023 une interdiction de porter ou détenir une arme durant cinq ans.

Le requérant contestait la pertinence de ces éléments au regard de leur ancienneté, aucune condamnation ou signalisation n’étant intervenue depuis 2023. Cette argumentation pose la question de l’actualité de la menace pour l’ordre public, critère qui doit être apprécié au moment de la décision.

La gravité des faits retenus, notamment les violences conjugales et les menaces de mort réitérées, ainsi que le caractère récent de la dernière condamnation, permettent au juge de considérer que la menace demeure caractérisée. L’interdiction de port d’arme prononcée jusqu’en 2028 témoigne d’ailleurs de la persistance d’une dangerosité aux yeux des juridictions répressives.

Cette ordonnance illustre l’équilibre recherché par le juge des libertés et de la détention entre la protection des droits fondamentaux de l’étranger et l’effectivité des mesures d’éloignement. Le contrôle exercé sur la motivation et sur la proportionnalité de la mesure garantit que la privation de liberté demeure l’exception, tout en permettant à l’administration de disposer des moyens nécessaires à l’exécution des décisions d’éloignement lorsque les circonstances l’exigent.

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Hassan KOHEN
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