Tribunal judiciaire de Lyon, le 22 juin 2025, n°25/02369

Le maintien des étrangers en situation irrégulière dans des centres de rétention administrative constitue une mesure privative de liberté encadrée par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le juge des libertés et de la détention exerce un contrôle sur la régularité et le bien-fondé de ces mesures. L’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Lyon le 22 juin 2025 illustre les conditions dans lesquelles une première prolongation de rétention peut être ordonnée.

En l’espèce, un ressortissant marocain né le 19 février 2005 a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français sans délai, prise par la préfecture de la Drôme et notifiée le 19 juin 2025. Le même jour, l’autorité administrative a ordonné son placement en rétention administrative. Par requête du 19 juin 2025, le préfet a sollicité la prolongation de cette mesure pour une durée de vingt-six jours, invoquant l’absence de document d’identité et de garanties de représentation, ainsi que la possibilité d’un éloignement à bref délai vers l’Espagne.

Le tribunal judiciaire de Lyon a déclaré la requête recevable et la procédure régulière. Il a ordonné la prolongation de la rétention pour vingt-six jours, considérant que l’intéressé ne présentait pas de garanties suffisantes pour l’exécution de la mesure d’éloignement et que ses déclarations apparaissaient fluctuantes. Le juge a également écarté les allégations de menaces en Espagne faute d’éléments probants.

La question posée au tribunal était de déterminer si les conditions légales d’une première prolongation de rétention administrative étaient réunies, et notamment si l’absence de garanties de représentation justifiait le maintien de la mesure.

Le juge a répondu par l’affirmative en retenant que la fluctuation des déclarations de l’intéressé et l’absence de domicile fixe rendaient nécessaire la mesure de surveillance, tout en relevant que l’administration avait accompli les diligences requises par l’obtention d’un accord de réadmission des autorités espagnoles.

Cette décision appelle un examen des conditions de fond de la prolongation de rétention (I), avant d’analyser le traitement des allégations de risques invoquées par l’étranger (II).

I. Les conditions de fond de la prolongation de rétention

Le tribunal a procédé à une appréciation rigoureuse de l’absence de garanties de représentation (A), tout en vérifiant que l’administration avait accompli les diligences nécessaires à l’éloignement (B).

A. L’appréciation de l’absence de garanties de représentation

L’article L. 741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose qu’un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention « que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». Cette exigence de proportionnalité implique que le juge vérifie si des mesures moins coercitives, telles que l’assignation à résidence, pourraient suffire.

Le tribunal a relevé que l’intéressé « ne déclare aucun domicile en France et ne présente aucune garantie de représentations ». Il a souligné la contradiction entre les déclarations faites lors de l’audition du 18 juin 2025, où l’intéressé affirmait vivre et travailler à Marseille, et celles de l’audience où il indiquait résider en Angleterre. Le juge a qualifié ces déclarations de « particulièrement fluctuantes ».

Cette fluctuation des déclarations constitue un élément déterminant dans l’appréciation du risque de soustraction à la mesure d’éloignement. La jurisprudence du juge des libertés et de la détention retient traditionnellement que l’incohérence du parcours déclaré et l’absence de domicile stable caractérisent un défaut de garanties de représentation. Le tribunal a également constaté que l’intéressé n’avait pas remis de passeport en cours de validité à un service de police, ce qui excluait toute assignation à résidence au sens de l’article L. 552-4 du code précité.

Le contrôle exercé porte ainsi sur des éléments objectifs susceptibles de fonder une appréciation du risque de fuite. La cohérence des déclarations de l’étranger constitue un indice pertinent de sa capacité à respecter une mesure alternative à la rétention.

B. L’exigence de diligences administratives accomplies

Le maintien en rétention ne saurait se prolonger indéfiniment. L’administration doit exercer « toute diligence » pour permettre le départ de l’étranger dans les meilleurs délais.

Le tribunal a constaté que la préfecture avait sollicité la réadmission de l’intéressé auprès des autorités espagnoles et que celles-ci avaient donné leur accord dès le 19 juin 2025. Le juge en a déduit qu’un « éloignement apparaît pouvoir s’organiser promptement ». Cette constatation revêt une importance particulière car elle conditionne la légalité de la prolongation.

La Cour de cassation exerce un contrôle strict sur cette condition. Elle censure les ordonnances de prolongation lorsque l’administration n’a pas accompli de diligences suffisantes ou lorsque l’éloignement apparaît manifestement impossible. En l’espèce, l’obtention rapide d’un accord de réadmission témoigne d’une perspective d’éloignement effective à court terme.

La brièveté du délai entre le placement et l’accord consulaire démontre l’efficacité des démarches entreprises. Le juge a pu en déduire que la prolongation demandée ne constituait pas une mesure disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

II. Le traitement des allégations de risques invoquées par l’étranger

Le tribunal a écarté les allégations de menaces en raison de leur caractère non étayé (A), tout en rappelant les voies de recours appropriées (B).

A. L’exigence probatoire pesant sur l’étranger

L’intéressé soutenait courir un danger en cas de retour en Espagne, affirmant qu’une personne qu’il avait précédemment frappée aurait « payé la mafia » pour que des actes soient commis contre son intégrité physique.

Le tribunal a relevé qu’il « n’apporte aucun élément permettant d’établir ses déclarations ». Cette exigence probatoire s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose à l’étranger invoquant des risques de les étayer par des éléments concrets et vérifiables. Les simples allégations ne sauraient suffire à faire obstacle à une mesure d’éloignement.

Le juge a également relevé un élément significatif : l’intéressé faisait l’objet en Espagne de deux fiches de recherche, « une pour violence émise le 12 avril 2025 et une pour tentative d’homicide émise le 4 juin 2025 ». Ces éléments suggèrent que les risques allégués pourraient en réalité découler de poursuites pénales engagées contre lui, ce qui modifie substantiellement la nature du débat.

Le contrôle du juge des libertés et de la détention porte sur la régularité de la rétention et non sur le bien-fondé de la mesure d’éloignement elle-même. Les risques encourus dans le pays de destination relèvent principalement de l’appréciation du juge administratif saisi d’un recours contre l’obligation de quitter le territoire français.

B. L’orientation vers les autorités compétentes

Le tribunal a précisé qu’il appartenait à l’intéressé « de faire état des menaces duquel il s’estime victime aux autorités compétentes ». Cette formulation renvoie implicitement aux procédures de protection internationale et aux recours devant les juridictions administratives.

L’étranger qui craint des persécutions ou des traitements inhumains peut solliciter l’asile ou invoquer le bénéfice de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces demandes sont examinées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par le juge administratif dans le cadre du contentieux de l’éloignement.

Le juge des libertés et de la détention n’a pas compétence pour apprécier les risques encourus dans le pays de renvoi. Son office se limite au contrôle de la régularité de la procédure de rétention et des conditions de sa prolongation. Cette répartition des compétences entre ordres juridictionnels garantit l’effectivité du contrôle tout en respectant les domaines d’attribution de chaque juge.

L’ordonnance commentée s’inscrit dans une application rigoureuse du droit de la rétention administrative. Elle illustre l’équilibre recherché entre les nécessités de l’éloignement et le respect des droits fondamentaux de l’étranger, tout en rappelant les limites de l’office du juge judiciaire.

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Hassan KOHEN
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