Tribunal judiciaire de Lyon, le 22 juin 2025, n°25/02373

L’ordonnance rendue le 22 juin 2025 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon s’inscrit dans le contentieux récurrent de la rétention administrative des étrangers en situation irrégulière. Elle illustre les difficultés liées à la prolongation exceptionnelle de cette mesure privative de liberté, lorsque l’éloignement effectif se heurte à des obstacles diplomatiques persistants.

Un ressortissant algérien, né le 3 juillet 1978, a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français notifiée le 4 septembre 2023. Placé en rétention administrative le 9 avril 2025 par décision de la préfète du Rhône, il a vu cette mesure successivement prolongée par trois ordonnances des 12 avril, 8 mai et 7 juin 2025. L’autorité administrative a sollicité une quatrième prolongation par requête du 20 juin 2025.

En première instance, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon avait déjà accordé trois prolongations de la rétention. La préfète du Rhône sollicitait une quatrième prolongation exceptionnelle de quinze jours, fondée sur la menace à l’ordre public et sur la délivrance à bref délai d’un laissez-passer consulaire. Le retenu contestait cette demande en soutenant l’absence de condamnation pénale, l’absence de fait nouveau dans les quinze derniers jours et le défaut de perspective raisonnable d’éloignement.

La question posée au juge était de déterminer si les conditions légales permettant une quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative étaient réunies, notamment au regard de la caractérisation de la menace à l’ordre public et de la délivrance à bref délai des documents de voyage.

Le juge a ordonné la prolongation exceptionnelle de la rétention pour une durée de quinze jours supplémentaires. Il a considéré que la menace à l’ordre public était établie par un faisceau d’indices constitué par la répétition des signalisations dans un temps court, la gravité des infractions concernées et le placement récent en garde à vue. Il a retenu que les diligences accomplies auprès des autorités consulaires algériennes permettaient de considérer que le critère de la délivrance à bref délai était rempli.

Cette décision appelle un examen de l’appréciation par le juge des conditions de la prolongation exceptionnelle (I), puis une analyse de la portée de la notion de menace à l’ordre public en matière de rétention administrative (II).

I. Les conditions de la prolongation exceptionnelle de la rétention administrative

Le juge procède à une vérification méthodique des conditions légales (A) avant de retenir une conception souple de la délivrance à bref délai des documents de voyage (B).

A. Le cadre légal de la quatrième prolongation

L’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, issu de la loi du 26 janvier 2024, permet au juge des libertés et de la détention d’ordonner une quatrième prolongation de la rétention dans des hypothèses limitativement énumérées. Le texte exige que l’une des circonstances prévues survienne « dans les quinze derniers jours » de la période de rétention en cours.

Le juge rappelle que ces conditions ne sont pas cumulatives et qu’il appartient à l’administration de caractériser soit l’obstruction à l’éloignement, soit la délivrance à bref délai des documents de voyage, soit la menace à l’ordre public. Cette alternative offre à la préfecture plusieurs fondements possibles pour justifier le maintien en rétention au-delà de la durée maximale de droit commun.

L’ordonnance précise que « le texte imposant que la menace « survienne » dans ce délai n’implique pas que cette menace n’existait pas dans la période précédente ». Cette interprétation élargit sensiblement le champ d’application de la disposition légale. Le juge refuse d’exiger un acte nouveau troublant l’ordre public et privilégie une appréciation globale de la menace.

B. Une conception souple de la délivrance à bref délai

Sur le critère de la délivrance à bref délai des documents de voyage, le juge adopte une approche pragmatique. Il relève que la préfecture a engagé des démarches auprès des autorités algériennes dès le 10 avril 2025 et qu’elle a effectué des relances régulières les 22 mai, 4 juin et 20 juin 2025. Ces diligences suffisent à ses yeux pour considérer le critère rempli.

Cette appréciation peut surprendre. Aucune réponse positive des autorités consulaires n’est intervenue malgré plus de deux mois de démarches. Le juge statue pourtant en considérant que les relances répétées permettent de présumer une délivrance prochaine du laissez-passer. La jurisprudence exige habituellement des éléments plus tangibles, tels qu’un accord de principe ou un calendrier précis.

Le retenu soutenait qu’aucun retour des autorités algériennes n’était intervenu durant les quinze derniers jours. Cet argument n’a pas prospéré. Le juge semble admettre que l’accumulation des diligences administratives constitue en elle-même un « faisceau d’indices concordants » de nature à satisfaire l’exigence légale, indépendamment de toute réponse consulaire effective.

II. La caractérisation de la menace à l’ordre public

Le juge retient une conception extensive de la menace à l’ordre public (A), ce qui soulève des interrogations quant à l’articulation entre présomption d’innocence et rétention administrative (B).

A. Une appréciation in concreto fondée sur les signalisations

L’ordonnance énonce que « la menace pour l’ordre public fait l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité et la gravité des faits, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace ». Cette méthode permet au juge de s’affranchir de l’exigence d’une condamnation pénale définitive.

Le retenu avait été signalé onze fois entre janvier 2023 et avril 2025 pour des faits d’atteinte aux biens et de fourniture d’identité imaginaire. Aucune condamnation pénale n’était toutefois mentionnée au dossier. Le juge relève néanmoins que l’intéressé avait reconnu lors d’une audience avoir commis des faits de vol « jusqu’à l’année dernière », ce qui confirmerait selon lui « le bien-fondé des signalisations ».

La répétition des signalisations, leur gravité et le placement récent en garde à vue constituent selon le juge un faisceau d’indices suffisant. Cette appréciation accorde une force probante significative à des éléments qui n’ont pas donné lieu à condamnation. Elle témoigne d’une volonté de prévenir les risques plutôt que de sanctionner des faits établis.

B. L’articulation délicate avec la présomption d’innocence

Le conseil du retenu soutenait que « les seules signalisations ne pouvant fonder une menace à l’ordre public en l’absence de condamnation ». Cet argument soulève une question de principe. La notion de menace à l’ordre public peut-elle reposer sur des faits non judiciairement établis ?

Le juge répond par l’affirmative. Il considère que la notion de menace « a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national ». Cette finalité préventive justifierait de ne pas exiger une condamnation préalable. La menace s’apprécie au regard du comportement global de l’intéressé et non des seules infractions définitivement jugées.

Cette position s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui distingue la notion pénale de culpabilité et la notion administrative de menace à l’ordre public. La Cour de cassation admet régulièrement que des faits non encore jugés puissent caractériser une telle menace. L’ordonnance commentée applique cette jurisprudence avec une particulière rigueur, en retenant comme indices probants des reconnaissances faites en audience sans qu’une décision de culpabilité n’ait été prononcée. Cette approche, si elle répond à des impératifs d’efficacité de la politique d’éloignement, fragilise les garanties procédurales offertes aux personnes retenues.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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