Tribunal judiciaire de Lyon, le 23 juin 2025, n°25/02385

La quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative constitue le stade ultime de la privation de liberté des étrangers en situation irrégulière. Elle soulève des questions essentielles relatives à l’équilibre entre les impératifs de l’ordre public et la protection de la liberté individuelle. L’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon le 23 juin 2025 illustre ces enjeux.

En l’espèce, un ressortissant algérien né en 1994 s’est vu notifier le 5 mars 2023 une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, assortie d’une interdiction de retour de dix-huit mois. Le 10 avril 2025, le préfet de l’Ardèche a ordonné son placement en rétention administrative. Cette mesure a été successivement prolongée par le juge des libertés et de la détention les 13 avril, 9 mai et 8 juin 2025 pour des durées respectives de vingt-six jours, trente jours et quinze jours.

Le préfet de l’Ardèche a saisi le juge des libertés et de la détention par requête du 20 juin 2025 aux fins d’obtenir une quatrième prolongation exceptionnelle de quinze jours. L’avocat du retenu a contesté cette demande en invoquant l’absence de perspective de délivrance de document de voyage à bref délai par les autorités consulaires algériennes. Le préfet soutenait que le maintien en rétention se justifiait par le comportement de l’intéressé, constitutif d’une menace pour l’ordre public.

La question posée au juge était de déterminer si une quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative pouvait être ordonnée sur le fondement de la menace pour l’ordre public, nonobstant l’absence de perspective avérée d’éloignement à bref délai.

Le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation exceptionnelle de la rétention pour une durée de quinze jours supplémentaires. Il a retenu que « le comportement de ce dernier est constitutif d’une menace pour l’ordre public » au regard des condamnations pénales et des signalisations au fichier automatisé des empreintes digitales.

I. Les conditions exceptionnelles de la quatrième prolongation de rétention

A. Le cadre légal restrictif de l’ultime prolongation

L’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile encadre strictement la possibilité d’une quatrième prolongation de la rétention administrative. Cette disposition, issue de la loi du 10 septembre 2018, permet au juge des libertés et de la détention d’être « à titre exceptionnel, à nouveau saisi » lorsque certaines situations limitativement énumérées apparaissent dans les quinze derniers jours de rétention. Le législateur a ainsi voulu concilier l’objectif d’éloignement effectif des étrangers en situation irrégulière avec le respect de leur liberté individuelle.

L’ordonnance commentée rappelle fidèlement les trois cas d’ouverture prévus par le texte. Il s’agit de l’obstruction à l’exécution de la mesure d’éloignement, de la présentation d’une demande de protection dilatoire et du défaut de délivrance des documents de voyage « lorsqu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai ». Le juge mentionne également les hypothèses alternatives de l’urgence absolue et de la menace pour l’ordre public.

Le caractère exceptionnel de cette prolongation impose au juge une appréciation rigoureuse des conditions légales. La durée maximale de rétention atteint alors quatre-vingt-dix jours, soit le plafond prévu par la directive 2008/115/CE dite retour. Cette limite temporelle traduit la volonté du législateur européen de préserver la nature administrative de la rétention, distincte de l’emprisonnement pénal.

B. L’autonomie du critère de menace pour l’ordre public

La décision commentée retient le fondement de la menace pour l’ordre public de manière autonome. Le juge écarte implicitement l’argument du retenu relatif à l’absence de perspective d’éloignement en relevant que « le comportement de ce dernier est constitutif d’une menace pour l’ordre public ». Cette motivation révèle une lecture extensive des pouvoirs du juge dans le cadre de la quatrième prolongation.

L’ordonnance se fonde sur des éléments précis. Elle vise une condamnation prononcée le 8 avril 2022 par le tribunal correctionnel de Lyon « à la peine de 3 mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de vente à la sauvette et détention de tabac sans document justificatif régulier ». Elle mentionne également « plusieurs signalisations au FAED et notamment le 31 août 2022 pour des faits de violence avec arme et le 20 mars 2025 pour des faits de vol aggravé ».

La référence aux simples signalisations au fichier automatisé des empreintes digitales, distinctes de condamnations définitives, soulève une interrogation. Le FAED enregistre les données relatives aux personnes mises en cause dans des procédures pénales, indépendamment de l’issue de ces dernières. L’ordonnance ne précise pas si les procédures de 2022 et 2025 ont abouti à des condamnations, ce qui affaiblit potentiellement la démonstration de la menace pour l’ordre public.

II. L’articulation entre ordre public et finalité de la rétention

A. La tension entre privation de liberté et perspective d’éloignement

L’article L. 741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pose un principe cardinal. L’ordonnance le rappelle en ces termes : « un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit exercer toute diligence à cet effet ». Ce principe de proportionnalité temporelle innerve l’ensemble du contentieux de la rétention administrative.

La Cour de cassation a précisé les contours de cette exigence dans un arrêt de la première chambre civile du 10 décembre 2009. La juridiction suprême impose au juge de vérifier l’existence de perspectives raisonnables d’éloignement. Le maintien en rétention d’un étranger dont le départ apparaît manifestement impossible méconnaît la finalité même de cette mesure privative de liberté.

En l’espèce, le juge répond à l’argument tiré de l’absence de perspective d’éloignement en relevant que « l’intéressé a déjà été reconnu par les autorités algériennes le 19 janvier 2024 et que celles-ci lui ont déjà délivré un laissez passer consulaire en 2024 ». Cette mention suggère que les autorités consulaires ont déjà coopéré par le passé, ce qui laisse supposer une issue favorable aux démarches en cours. La motivation demeure toutefois succincte sur ce point décisif.

B. La portée de l’ordonnance au regard du contrôle de proportionnalité

L’ordonnance du tribunal judiciaire de Lyon s’inscrit dans une jurisprudence qui admet l’autonomie du critère de menace pour l’ordre public. Cette approche présente l’avantage de permettre le maintien en rétention de personnes présentant un profil pénal préoccupant, même en l’absence de certitude quant à leur éloignement imminent. Elle répond à une préoccupation légitime de protection de la société.

Cette lecture soulève néanmoins des interrogations au regard du contrôle de proportionnalité exigé par la jurisprudence européenne. La Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Louled Massoud contre Malte du 27 juillet 2010, a rappelé que la rétention aux fins d’éloignement ne se justifie que tant qu’une procédure d’expulsion est en cours et conduite avec la diligence requise. La menace pour l’ordre public ne saurait à elle seule légitimer une privation de liberté à durée indéterminée.

L’ordonnance commentée illustre la difficulté de l’exercice auquel se livre quotidiennement le juge des libertés et de la détention. Elle témoigne d’une volonté de concilier les impératifs de sécurité publique avec le respect des garanties procédurales. La durée totale de rétention atteindra, au terme de cette quatrième prolongation, quatre-vingt-neuf jours, proche du maximum légal. La question de l’effectivité de l’éloignement demeurera centrale lors de l’examen d’un éventuel appel devant le premier président de la cour d’appel de Lyon.

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Hassan KOHEN
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