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Le pouvoir du juge des référés de faire cesser un trouble manifestement illicite en matière d’urbanisme constitue un instrument essentiel de protection de la légalité. L’ordonnance rendue le 13 juin 2025 par le juge des référés du Tribunal judiciaire de Marseille en offre une illustration significative, à l’occasion d’un litige opposant deux propriétaires voisins au sujet de travaux réalisés sur un toit terrasse.
Une personne physique a acquis, par acte authentique du 19 février 2021, un bien situé au deuxième sous-sol d’un immeuble marseillais. L’immeuble voisin, propriété d’une société civile immobilière depuis le 17 février 2020, a fait l’objet de travaux sur son toit terrasse. La propriétaire voisine a mandaté un huissier les 31 mai et 27 novembre 2024 pour constater ces travaux, puis a adressé une mise en demeure à la société. Par courrier du 3 décembre 2024, la ville de Marseille a informé la demanderesse que le service de l’urbanisme avait conclu à l’existence d’une infraction et saisi le parquet.
Par acte du 29 octobre 2024, la propriétaire a assigné la société en référé sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. Elle sollicitait principalement la cessation immédiate des travaux, la dépose d’un escalier et la remise en état de la trappe d’accès, ainsi que la production du dossier de travaux. La défenderesse contestait toute transformation illicite, affirmant avoir déposé une déclaration préalable le 20 octobre 2024, tacitement acceptée le 8 janvier 2025.
La question posée au juge des référés était de déterminer si l’exécution de travaux sur un toit terrasse sans déclaration préalable régulière constitue un trouble manifestement illicite justifiant une mesure de cessation.
Le juge des référés de Marseille a fait droit partiellement aux demandes. Il a condamné la société à cesser immédiatement les travaux sous astreinte de 100 euros par infraction constatée, tout en rejetant les demandes de remise en état et de dommages-intérêts pour résistance abusive.
La décision présente un double intérêt. Elle précise les conditions de caractérisation du trouble manifestement illicite en droit de l’urbanisme (I). Elle délimite corrélativement l’étendue des pouvoirs du juge des référés face à ce trouble (II).
I. La caractérisation du trouble manifestement illicite en matière d’urbanisme
Le juge des référés retient l’existence d’un trouble manifestement illicite en procédant à une analyse rigoureuse des obligations déclaratives (A), dont la méconnaissance établit la violation évidente de la règle de droit (B).
A. L’exigence d’une déclaration préalable régulière
Le juge rappelle le cadre normatif applicable en visant l’article R. 421-17 du Code de l’urbanisme, qui soumet à déclaration préalable les travaux sur constructions existantes autres que l’entretien ordinaire. Il précise également les prescriptions du PLUi Marseille Provence pour les zones UB, imposant la conservation de la forme des toitures et de leurs éléments caractéristiques.
L’ordonnance procède à un examen minutieux des pièces produites par la défenderesse. Le juge relève que la première déclaration préalable du 27 septembre 2024 a reçu un avis défavorable le 2 octobre 2024. La prétendue seconde déclaration n’est étayée que par un document intitulé « dépôt de pièces complémentaires ou supplémentaires » dont le juge estime qu’il « ne peut pas être considéré comme un complément de la première déclaration, aucun élément ou numéro de permis de construire ne pouvant la relier ».
Cette appréciation stricte des exigences formelles traduit l’importance accordée à la traçabilité des autorisations d’urbanisme. Le juge refuse de suppléer les carences probatoires de la défenderesse en relevant que la photographie produite « est illisible » et que le procès-verbal de constat « ne mentionne pas la déclaration préalable ».
B. La violation évidente de la règle de droit
Le juge des référés définit le trouble manifestement illicite comme « toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ». Cette formulation classique trouve ici une application topique.
L’absence de déclaration préalable valable est corroborée par un élément déterminant. Le courrier de la ville de Marseille du 3 décembre 2024 atteste que « le service juridiction de l’urbanisme a procédé à une enquête, conclu à l’existence d’une infraction et saisi le parquet ». Le juge y voit une confirmation de l’irrégularité des travaux, ce qui participe de son office consistant à apprécier le caractère manifeste de l’illicéité.
Le raisonnement retenu s’inscrit dans une jurisprudence constante sanctionnant l’exécution de travaux sans autorisation préalable. Le caractère évident de la violation découle ici de l’accumulation d’indices concordants plutôt que d’une preuve directe. Le juge des référés peut statuer « même en présence d’une contestation sérieuse » dès lors que le trouble apparaît avec une évidence suffisante.
II. La délimitation des pouvoirs du juge des référés
Face au trouble caractérisé, le juge des référés ordonne la cessation des travaux tout en encadrant strictement sa décision (A). Il refuse parallèlement d’aller au-delà de ce que commande l’évidence du trouble (B).
A. L’ordonnance de cessation sous astreinte
Le juge fait application de l’article 835 du Code de procédure civile en condamnant la société « à cesser immédiatement les travaux sur le toit terrasse ». Cette injonction est assortie d’une astreinte de 100 euros par infraction constatée pendant une durée de six mois. Le point de départ est fixé à la signification de la décision.
Le montant de l’astreinte apparaît mesuré au regard des 500 euros quotidiens sollicités par la demanderesse. Le juge adapte ainsi la mesure coercitive à la nature du trouble constaté. La formulation retenue, sanctionnant chaque « infraction constatée » plutôt qu’un retard quotidien, traduit une volonté de proportionner la sanction aux agissements effectifs de la défenderesse.
La limitation temporelle à six mois s’explique par le caractère provisoire inhérent aux mesures de référé. Elle laisse aux parties le temps de régulariser leur situation ou de saisir le juge du fond. Cette modération dans l’exercice du pouvoir de contrainte caractérise l’office du juge des référés, qui statue à titre provisoire dans l’attente d’une décision définitive.
B. Le refus d’ordonner la remise en état
Le juge refuse d’ordonner la dépose de l’escalier et la remise en état sollicitées, estimant qu’il « n’est pas démontré à ce stade que les travaux en cours sur le toit terrasse de l’immeuble litigieux sont contraires au PLUi ». Cette distinction entre l’absence de déclaration préalable et la non-conformité substantielle aux règles d’urbanisme révèle une conception mesurée du trouble manifestement illicite.
Le juge opère ainsi une dissociation entre le vice de forme et le vice de fond. L’absence de déclaration préalable constitue un trouble manifeste justifiant la cessation des travaux. La contrariété au PLUi, qui commanderait une remise en état, exige une démonstration que le référé ne permet pas d’établir avec l’évidence requise.
Le rejet de la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive confirme cette prudence. Le juge relève qu’il « n’est pas démontré le caractère abusif de la résistance », rappelant que celle-ci « ne se traduit pas par une simple résistance ». La société défenderesse a pu légitimement contester les prétentions adverses, même si ses arguments n’ont pas prospéré sur le principal.
L’ordonnance du Tribunal judiciaire de Marseille du 13 juin 2025 illustre l’équilibre délicat que doit trouver le juge des référés en matière d’urbanisme. Sa compétence pour faire cesser un trouble manifestement illicite lui permet d’intervenir efficacement contre des travaux irréguliers. Cette intervention demeure toutefois circonscrite à ce que commande l’évidence de l’illicéité, sans préjuger des questions de fond relevant du juge compétent au principal.