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Le contentieux de la responsabilité médicale en matière de chirurgie réfractive soulève des questions récurrentes quant aux conditions d’indication opératoire et à l’appréciation du manquement aux règles de l’art. Le tribunal judiciaire de Marseille, par ordonnance de référé du 13 juin 2025, se prononce sur une demande d’expertise et de provision formulée par une patiente ayant subi une altération bilatérale de son acuité visuelle à la suite d’interventions de chirurgie réfractive au laser.
Une patiente a subi plusieurs opérations de chirurgie réfractive pratiquées par un ophtalmologue, consistant en une intervention femto laser myopique aux deux yeux suivie de reprises. À la suite de ces interventions, elle s’est plainte d’une altération franche de son acuité visuelle de façon bilatérale.
Par acte de commissaire de justice du 7 janvier 2025, la patiente a assigné le médecin et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Bouches du Rhône devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille. Elle sollicitait une expertise médicale, une provision de 10 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice ainsi que des frais irrépétibles. Le médecin ne s’opposait pas à l’expertise mais contestait la demande de provision. La CPAM, régulièrement citée, n’a pas comparu.
La question posée au juge des référés était double. Il lui fallait déterminer si les conditions de l’article 145 du code de procédure civile étaient réunies pour ordonner une mesure d’instruction in futurum. Il devait également apprécier si l’obligation du médecin au titre de sa responsabilité professionnelle présentait un caractère suffisamment certain pour justifier l’allocation d’une provision sur le fondement de l’article 835 alinéa 2 du même code.
Le juge des référés ordonne l’expertise sollicitée et condamne le praticien à verser une provision de 5 000 euros. Il retient que deux rapports d’expertise amiable, établis par des experts inscrits auprès de cours d’appel différentes, indiquent concordamment que l’opération n’aurait pas dû être proposée compte tenu de la très forte myopie de la patiente, ce qui « permet de démontrer la responsabilité du docteur […] dans les préjudices allégués ».
Cette décision invite à examiner successivement les conditions d’octroi de la mesure d’instruction préventive dans le contentieux médical (I), puis l’appréciation de l’obligation non sérieusement contestable justifiant l’allocation d’une provision (II).
I. L’admission de l’expertise in futurum en matière de responsabilité médicale
Le juge des référés caractérise le motif légitime requis par l’article 145 du code de procédure civile (A) tout en confirmant l’indifférence des contestations de fond à ce stade procédural (B).
A. La caractérisation du motif légitime par la vraisemblance du litige futur
L’article 145 du code de procédure civile subordonne l’octroi d’une mesure d’instruction in futurum à l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le juge rappelle qu’il « suffit de constater qu’un tel procès est possible, qu’il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, que sa solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée ».
En l’espèce, la patiente produit un certificat médical attestant de l’intervention pratiquée ainsi que deux expertises amiables concordantes. Ces documents établissent selon le juge qu’elle a « subi d’importants dégâts issus des opérations réalisées ». La mesure sollicitée apparaît ainsi en lien direct avec un litige potentiel en responsabilité médicale dont l’objet et le fondement sont identifiables.
Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui admet largement le recours à l’expertise préventive en matière médicale. Le praticien lui-même ne contestait pas le principe de la mesure, ce qui facilitait la décision du juge sur ce point. La condition d’absence d’instance au fond, appréciée à la date de saisine, était également satisfaite.
B. L’indifférence des contestations au stade de l’instruction préventive
Le juge souligne que « l’existence de contestations, même sérieuses, ne constitue pas un obstacle à la mise en œuvre des dispositions de l’article » 145. Cette formulation reprend la position établie par la Cour de cassation qui distingue nettement les conditions de l’expertise in futurum de celles du référé provision.
Le juge précise qu’il n’a pas à « procéder préalablement à l’examen de la recevabilité d’une éventuelle action, non plus que de ses chances de succès sur le fond ». Cette autonomie de l’appréciation du motif légitime par rapport au débat de fond protège l’effectivité du droit à la preuve. Elle permet au justiciable d’obtenir les éléments nécessaires à l’évaluation de ses chances de succès avant de s’engager dans un procès au fond.
La seule limite posée tient à l’absence d’atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. En matière d’expertise médicale, cette condition ne soulève généralement pas de difficulté particulière dès lors que le secret médical est préservé dans le cadre contradictoire de l’expertise.
II. L’allocation d’une provision fondée sur des éléments non contradictoires
Le juge retient l’absence de contestation sérieuse de l’obligation malgré le caractère non contradictoire des expertises produites (A), ce qui appelle une réflexion sur la portée de cette solution (B).
A. L’appréciation de l’évidence à partir d’expertises amiables concordantes
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permet au juge des référés d’accorder une provision lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge relève que les deux rapports d’expertise, « bien que non contradictoires », indiquent concordamment que l’opération « n’aurait pas dû être effectuée compte tenu de la forte myopie » de la patiente.
Cette concordance entre deux experts inscrits auprès de cours d’appel distinctes constitue pour le juge un élément suffisant pour caractériser l’évidence de la faute médicale. Il en déduit que ces rapports « permettent de démontrer la responsabilité » du praticien. Le montant de la provision est toutefois réduit de moitié par rapport à la demande, passant de 10 000 à 5 000 euros.
Le raisonnement du juge repose sur l’idée que la convergence d’avis techniques indépendants peut suppléer l’absence de contradiction. La faute retenue porte sur l’indication opératoire elle-même : proposer une chirurgie réfractive à une patiente atteinte d’une très forte myopie constituerait un manquement aux règles de l’art.
B. La portée de la solution au regard de l’exigence d’évidence
La solution retenue mérite attention au regard de la nature provisoire du référé. Le juge affirme que les expertises amiables permettent de « démontrer » la responsabilité du médecin. Cette formulation apparaît catégorique pour une décision provisoire qui ne devrait pas préjuger du fond.
En principe, les expertises non contradictoires constituent de simples éléments de preuve soumis à discussion. Le juge du fond pourrait retenir une appréciation différente après la réalisation de l’expertise judiciaire ordonnée par la même décision. La provision accordée repose ainsi sur des éléments qui seront précisément vérifiés par la mesure d’instruction concomitamment prescrite.
Cette situation illustre une pratique courante en matière de responsabilité médicale où le juge des référés anticipe sur les conclusions probables de l’expertise judiciaire. La réduction du montant provisionnel traduit néanmoins une certaine prudence du juge face à l’incertitude subsistante. L’articulation entre expertise in futurum et provision demeure ainsi soumise à un équilibre délicat entre protection des droits de la victime potentielle et respect des droits de la défense du praticien mis en cause.