Tribunal judiciaire de Marseille, le 13 juin 2025, n°25/00343

L’extension d’une mesure d’expertise judiciaire à des tiers constitue une question récurrente du contentieux de la construction. Le tribunal judiciaire de Marseille, statuant en référé le 13 juin 2025, apporte une illustration significative des conditions dans lesquelles une telle extension peut être ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

En l’espèce, des particuliers avaient confié la réalisation de leur maison à une société de construction en vertu d’un devis du 15 octobre 2014. Les travaux ont débuté le 3 avril 2015. Après la prise de possession des lieux, les maîtres de l’ouvrage ont constaté l’apparition de fissures sur les clôtures ainsi qu’un effondrement de la dalle périphérique. En septembre et octobre 2021, ils ont dénoncé ces désordres à l’assureur de la société de construction, laquelle avait été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 14 novembre 2018. Une expertise amiable a été diligentée par cet assureur, qui a ensuite notifié un refus de garantie. Une seconde expertise amiable a été réalisée à l’initiative des maîtres de l’ouvrage, dont le rapport a été clôturé le 7 mars 2023.

Par ordonnance de référé du 20 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Marseille a ordonné une expertise judiciaire aux fins de description et de recherche des causes des désordres, à la demande des maîtres de l’ouvrage et au contradictoire de leur assureur dommages-ouvrage. Par actes des 28 et 29 janvier 2025, cet assureur a assigné en référé le bureau d’études géotechniques ayant réalisé l’étude de sol ainsi que ses assureurs, aux fins de leur rendre communes et opposables les opérations expertales en cours.

Le bureau d’études géotechniques et l’un de ses assureurs, représentés à l’audience du 2 mai 2025, ont émis des réserves et protestations d’usage. Le second assureur, bien que régulièrement cité, n’a pas comparu.

La question posée au juge des référés était de déterminer si l’assureur dommages-ouvrage, partie à l’instance initiale en qualité de défenderesse, justifiait d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile pour obtenir l’extension de la mesure d’expertise à des tiers susceptibles d’engager sa responsabilité dans le cadre d’un éventuel recours.

Le juge des référés a fait droit à la demande. Il a déclaré l’ordonnance initiale et les opérations d’expertise communes et opposables au bureau d’études géotechniques et à ses assureurs, ordonnant une consignation complémentaire à la charge du demandeur à l’extension et laissant les dépens à sa charge.

I. L’admission de l’extension expertale fondée sur le motif légitime

Le juge des référés rappelle le cadre juridique applicable à l’intervention forcée et à l’extension des mesures d’instruction avant d’en faire application aux circonstances de l’espèce.

A. Le fondement textuel de l’extension

Le juge vise expressément les articles 331 et 333 du code de procédure civile relatifs à l’intervention forcée, avant de centrer son analyse sur l’article 145 du même code. Cette démarche mérite attention. L’article 331 permet à toute partie qui y a intérêt de mettre un tiers en cause « afin de lui rendre commun le jugement ». L’article 333 impose au tiers ainsi appelé de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire.

Ces dispositions trouvent à s’appliquer en matière d’expertise judiciaire dès lors que la mesure d’instruction constitue un préalable à une instance au fond susceptible de concerner le tiers appelé. Le juge énonce que « la juridiction des référés peut sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, déclarer commune à une autre partie une mesure d’instruction qu’elle a précédemment ordonnée en référé ». Cette formulation consacre la compétence du juge des référés pour statuer sur l’extension d’une mesure qu’il a lui-même ordonnée.

B. La caractérisation du motif légitime

L’article 145 du code de procédure civile subordonne l’octroi d’une mesure d’instruction in futurum à l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le juge transpose cette exigence à l’hypothèse de l’extension en énonçant qu’« il est alors nécessaire, et suffisant, conformément aux conditions posées par ce texte, qu’il existe un motif légitime de rendre l’expertise commune à d’autres parties que celles initialement visées ».

En l’espèce, les éléments du dossier révélaient que les maîtres de l’ouvrage avaient confié « la réalisation d’une étude de sol » au bureau d’études géotechniques assigné ainsi qu’une « mission EXE d’étude des fondations et plancher haut du rez-de-chaussée » à un autre bureau d’études. Les désordres consistant en des fissures et un effondrement de dalle, l’implication potentielle de ces intervenants dans la survenance des dommages apparaissait vraisemblable. Le juge en déduit que l’assureur demandeur « justifie donc d’un motif légitime pour obtenir la mesure d’extension réclamée dès lors qu’est établi un intérêt manifeste à pouvoir opposer » aux défendeurs « les résultats de l’expertise déjà ordonnée ».

II. Les modalités procédurales de l’extension expertale

L’ordonnance organise avec précision les conditions de poursuite des opérations d’expertise et la répartition des charges financières résultant de l’extension.

A. L’organisation de la contradiction élargie

Le dispositif de l’ordonnance prévoit que les parties appelées « seront appelés aux opérations d’expertise qui leur seront opposables, qu’ils devront répondre aux convocations de l’expert, assister aux opérations d’expertise, communiquer à l’expert tous documents que celui-ci estimera nécessaires à l’accomplissement de sa mission et faire toutes observations qu’ils estimeront utiles ». Cette formulation garantit l’effectivité du principe du contradictoire à l’égard des tiers nouvellement appelés.

Le juge précise que « la poursuite des opérations d’expertise se fera dans le cadre de l’article 169 du code de procédure civile ». Ce texte permet au juge chargé du contrôle des expertises de modifier la mission de l’expert, de l’étendre ou de la restreindre. Le renvoi à cette disposition assure la coordination entre la mesure initiale et son extension.

B. La charge financière de l’extension

Le juge ordonne « d’office la consignation » d’une « avance complémentaire » de 3 000 euros hors taxes à la charge du demandeur à l’extension. Cette solution procède de la règle selon laquelle celui qui sollicite une mesure en supporte le coût provisoire. Le dispositif prévoit par ailleurs que l’expert devra « distinguer dans sa note de frais, tout comme dans sa demande de taxe finale, le coût de l’expertise résultant des opérations et diligences accomplies au titre de la mission résultant de l’ordonnance initiale et le coût des mises en cause ».

La sanction du défaut de consignation est expressément prévue : « à défaut de consignation selon les modalités ainsi fixées, la présente ordonnance sera caduque, et les opérations d’expertise devront se poursuivre sans tenir compte de la présente extension ». Cette caducité partielle préserve les droits des parties à l’instance initiale tout en sanctionnant le demandeur à l’extension défaillant. Deux tempéraments sont néanmoins aménagés : la possibilité pour le magistrat chargé du contrôle de décider « une prorogation du délai ou un relevé de forclusion » sur le fondement d’un motif légitime, et la faculté pour « une partie » de consigner volontairement en lieu et place du demandeur défaillant.

Cette ordonnance s’inscrit dans une jurisprudence établie admettant l’extension des mesures d’expertise aux tiers dont la responsabilité pourrait être recherchée. Elle présente l’intérêt de détailler les modalités pratiques d’une telle extension, tant sur le plan procédural que financier. La solution retenue assure un équilibre entre l’efficacité de la mesure probatoire et la protection des droits des parties nouvellement appelées, conformément aux exigences du procès équitable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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