Tribunal judiciaire de Marseille, le 13 juin 2025, n°25/00690

Par une ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Marseille le 13 juin 2025, un contentieux né à la suite d’une chirurgie rachidienne a conduit le juge à prescrire une expertise médicale sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. La demanderesse a subi le 30 octobre 2023 une arthrectomie et ostéotomie transpédiculaire L3 à S1, suivie d’une arthrodèse postérieure, et invoque des séquelles imputées aux soins. Elle a assigné le praticien, l’établissement public d’indemnisation et l’organisme social, afin d’obtenir une mesure d’instruction in futurum. Le praticien n’a pas contesté le principe d’une expertise, tandis que les autres défendeurs ont formulé des réserves, notamment sur la charge des frais. Le juge a rappelé le texte selon lequel « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées ». Il a ajouté que « l’absence d’instance au fond […] doit s’apprécier à la date de la saisine du juge » et que « l’existence de contestations, même sérieuses, […] ne constitue pas un obstacle » à la mesure. La question de droit portait sur les conditions d’octroi et la portée d’une expertise in futurum en matière médicale, en présence de contestations et hors procès au fond. La juridiction a retenu un motif légitime, ordonné une expertise spécialisée, précisé une mission étendue, fixé une consignation et laissé les dépens de référé à la charge de la demanderesse, rejetant la demande fondée sur l’article 700.

I. Les conditions de l’article 145 précisées par le juge des référés
A. L’absence d’instance au fond et la caractérisation d’un motif légitime
Le juge ancre sa décision dans le double critère classique d’irrecevabilité et d’utilité probatoire. D’une part, l’ordonnance rappelle que l’absence d’instance au fond « doit s’apprécier à la date de la saisine du juge », ce qui conforte une lecture objective et temporelle de la condition. La chronologie montre qu’aucune action au fond n’était pendante lors des assignations en référé, ce qui satisfait l’exigence procédurale d’autonomie de la mesure.

D’autre part, l’ordonnance vérifie l’existence d’un « motif légitime », en relevant que la demanderesse « verse aux débats des pièces médicales qui justifient d’un motif légitime ». L’examen s’opère in concreto, à partir d’éléments médicaux préexistants et ciblés, suffisamment sérieux pour éclairer un contentieux possible. Le juge souligne que « Il suffit de constater qu’un tel procès est possible, qu’il a un objet et un fondement suffisamment déterminés », ce qui met l’accent sur la potentialité du litige et la détermination de son périmètre, sans exiger la preuve anticipée de la faute ni la certitude du lien causal.

B. L’office du juge des référés, centré sur l’utilité probatoire et non sur le fond
La motivation écarte explicitement tout examen prématuré du fond. L’ordonnance précise que « l’existence de contestations, même sérieuses, y compris relatives à la prescription ou la forclusion de l’action au fond, ne constitue pas un obstacle » à l’article 145. Ce principe garantit que les débats sur la recevabilité ou l’issue probable ne paralysent pas la conservation de la preuve lorsque celle-ci conditionne la future discussion contradictoire.

Dans la même logique, il est affirmé qu’« Il appartient uniquement au juge des référés de caractériser le motif légitime […] sans qu’il soit nécessaire de procéder préalablement à l’examen de la recevabilité d’une éventuelle action, non plus que de ses chances de succès ». L’office du juge est donc limité à l’appréciation de l’utilité et de la proportion de la mesure, ce qui protège la fonction probatoire autonome de l’article 145 et évite tout préjugement sur la responsabilité médicale alléguée.

II. La portée de la mesure d’expertise et ses incidences procédurales
A. Une mission médico‑légale large, structurée et garantie par le contradictoire
La mission confiée à l’expert est ample, graduée et orientée vers une analyse médico‑légale complète des soins, des informations données et des préjudices. L’ordonnance impose la convocation contradictoire, la collecte des dossiers médicaux avec l’accord du patient, le respect de l’intimité, et la communication des pièces obtenues directement par l’expert, afin que « les parties […] en aient contradictoirement connaissance ». L’examen porte sur l’état antérieur, les circonstances de l’acte, la justification des soins, le respect des données acquises de la science, l’information préalable et la recherche d’un éventuel aléa.

La mission prévoit une évaluation selon la nomenclature des chefs de préjudice, la fixation de la consolidation, et la distinction entre évolutions prévisibles et conséquences anormales. Le pré‑rapport et le délai pour dires renforcent le contradictoire, tandis que le recours possible à un sapiteur et l’usage d’une plateforme dématérialisée modernisent l’instruction. L’ensemble met l’expert en mesure de répondre précisément aux enjeux d’imputabilité et de quantification, tout en préparant utilement le débat au fond.

B. Le régime financier de la mesure, la place des tiers payeurs et l’équilibre des intérêts
L’ordonnance retient que la demanderesse, bénéficiaire de la mesure, supporte provisoirement la consignation et les dépens de l’instance de référé, ce qui traduit l’économie habituelle de l’article 145. Le refus d’allouer une somme sur le fondement de l’article 700 s’explique par la neutralité du référé‑instruction et par l’absence d’appréciation sur le bien‑fondé. Les droits de l’organisme social sont expressément réservés, ce qui permet l’articulation future des recours subrogatoires, une fois l’imputabilité éclairée par l’expertise.

Ce dispositif ménage un équilibre entre l’accès à la preuve et la protection des défendeurs. La consignation circonscrit le coût et évite les dérives, tandis que la mission, très détaillée, limite les incertitudes sur le périmètre de l’instruction. En matière médicale, l’expertise ainsi structurée favorise une qualification rigoureuse des causes, qu’il s’agisse d’un manquement aux règles de l’art, d’un aléa avec conséquences anormales, ou d’une simple évolution de la pathologie. La décision, centrée sur l’utilité probatoire et le respect du contradictoire, s’inscrit dans une pratique jurisprudentielle constante de l’expertise in futurum et prépare efficacement le débat de responsabilité et de réparation éventuel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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