Tribunal judiciaire de Marseille, le 13 juin 2025, n°25/00693

Par ordonnance de référé en date du 13 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Marseille s’est prononcé sur une demande d’expertise médicale et de provision formée par une victime d’un accident de la circulation. Cette décision illustre le mécanisme procédural des mesures d’instruction in futurum et l’articulation entre l’évaluation provisoire du préjudice et la préparation du procès au fond.

Une conductrice a été victime d’un accident de la circulation survenu le 18 juin 2024, au cours duquel son véhicule a été percuté par un autre automobiliste. Elle a subi des cervicalgies et un traumatisme crânien sans perte de connaissance, constatés par certificat médical du 19 juin 2024. Un constat amiable a été établi entre les deux conducteurs.

Par acte du 4 mars 2025, la victime a assigné en référé la compagnie d’assurance du véhicule responsable ainsi que la Caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône. Elle sollicitait une expertise médicale, une provision de 2 000 euros à valoir sur son préjudice, une provision ad litem de même montant et 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’assureur ne contestait ni le principe de l’expertise ni le droit à indemnisation de la victime. Il proposait toutefois de limiter la provision à 500 euros. La caisse d’assurance maladie, régulièrement assignée, n’a pas comparu.

La question posée au juge des référés était double. D’une part, les conditions de l’article 145 du code de procédure civile étaient-elles réunies pour ordonner une expertise médicale ? D’autre part, quel montant provisionnel pouvait être accordé à la victime en l’absence de contestation sérieuse de son droit à indemnisation ?

Le juge des référés a fait droit à la demande d’expertise et condamné l’assureur à verser une provision de 1 500 euros sur le préjudice, une provision ad litem de 1 000 euros et une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.

L’analyse de cette ordonnance conduit à examiner successivement les conditions d’octroi de la mesure d’instruction sollicitée (I) puis l’étendue du pouvoir d’appréciation du juge des référés dans l’allocation des provisions (II).

I. Les conditions de recevabilité de la mesure d’instruction in futurum

L’ordonnance rappelle le cadre juridique de l’article 145 du code de procédure civile (A) avant d’en vérifier l’application aux circonstances de l’espèce (B).

A. Le motif légitime comme fondement de la mesure probatoire

Le juge des référés énonce que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé ». Cette formulation reprend les termes de l’article 145 du code de procédure civile.

La décision précise utilement que l’absence d’instance au fond constitue une condition de recevabilité qui « doit s’apprécier à la date de la saisine du juge ». Cette règle procédurale, constamment rappelée par la jurisprudence, interdit de solliciter une expertise sur le fondement de cet article lorsqu’une action au fond est déjà pendante.

Le juge ajoute que « l’existence de contestations, même sérieuses, ne constitue pas un obstacle à la mise en œuvre des dispositions de l’article précité ». Cette affirmation distingue nettement le régime de l’article 145 de celui du référé-provision de l’article 835, où la contestation sérieuse fait échec à la demande. Le demandeur à l’expertise bénéficie ainsi d’un accès facilité à la preuve.

B. L’appréciation concrète du motif légitime

L’ordonnance énonce les critères permettant de caractériser le motif légitime. Il suffit « de constater qu’un tel procès est possible, qu’il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, que sa solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée et que celle-ci ne porte aucune atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui ».

En l’espèce, la victime produisait des pièces médicales attestant de blessures causées par l’accident. Le juge relève par ailleurs que « le principe de l’expertise n’est pas contesté ». Cette absence de contestation simplifie l’office du juge, qui n’a pas à rechercher si le procès futur présente des chances de succès. La mesure est ordonnée avec une mission complète couvrant l’ensemble des postes de préjudice selon la nomenclature habituelle.

II. Le pouvoir modérateur du juge dans l’allocation des provisions

Le juge des référés exerce un pouvoir d’appréciation tant sur la provision indemnitaire (A) que sur les demandes accessoires (B).

A. L’ajustement de la provision au préjudice prévisible

Le juge fonde sa compétence sur l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, qui permet d’accorder une provision « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». En matière d’accident de la circulation, lorsque le droit à indemnisation n’est pas discuté, cette condition est aisément remplie.

L’ordonnance pose une règle importante : « le montant de la provision devant être allouée au demandeur ne peut excéder le montant d’indemnisation au-delà duquel celui-ci devient aléatoire ou incertain compte tenu de l’appréciation du juge du fond notamment ». Cette formule traduit la fonction de la provision, qui doit couvrir la part incontestable du préjudice sans empiéter sur la compétence du juge du fond.

La victime sollicitait 2 000 euros. L’assureur proposait 500 euros. Le juge retient 1 500 euros « au regard des pièces médicales ». Cette position médiane illustre le pouvoir souverain d’appréciation du juge des référés. Les certificats médicaux attestaient de cervicalgies et d’un traumatisme crânien, lésions dont la gravité justifie une provision supérieure au minimum proposé par l’assureur mais inférieure à la demande initiale.

B. L’octroi des provisions ad litem et des frais irrépétibles

Le juge accorde également une provision ad litem de 1 000 euros, destinée à couvrir la rémunération de l’expert. Cette provision, distincte de la consignation mise à la charge de la victime, permet à celle-ci de financer les frais de l’expertise. Le juge motive brièvement cette allocation par le fait que « la responsabilité n’étant pas contestée, il y a lieu de faire droit à la demande ».

Sur les frais irrépétibles, le juge condamne l’assureur à payer 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La demande initiale portait sur 2 000 euros. Le juge apprécie souverainement le montant équitable au regard de la charge réelle des frais exposés.

La condamnation aux dépens de l’assureur « qui succombe » traduit l’application mécanique de l’article 696 du code de procédure civile. Cette condamnation vise uniquement les dépens du référé et non ceux de l’expertise, dont la charge définitive sera réglée par le juge du fond.

Cette ordonnance s’inscrit dans une jurisprudence classique en matière de préparation du contentieux de la réparation du préjudice corporel. Elle confirme la vocation de l’article 145 à permettre aux victimes d’établir la preuve de leur dommage avant tout procès, sans que l’assureur puisse s’y opposer utilement. Le quantum des provisions allouées demeure toutefois tributaire des éléments médicaux produits, ce qui incite les victimes à constituer un dossier étayé dès le stade du référé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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