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L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation repose sur un équilibre entre la protection des intérêts du demandeur et le respect des droits de l’assureur. Le juge des référés joue un rôle central dans cette architecture en permettant l’organisation de mesures d’instruction avant tout procès au fond.
Le Tribunal judiciaire de Marseille, statuant en référé par ordonnance du 13 juin 2025, a eu à connaître d’une demande d’expertise médicale et de provisions formée par une victime d’accident de la circulation.
Une conductrice a été percutée le 29 mai 2024 par un véhicule assuré auprès d’une compagnie d’assurance. Le certificat médical établi le jour même constatait des contractures musculaires des trapèzes ainsi que des douleurs aux vertèbres cervicales et lombaires, avec une incapacité totale de travail de quatre jours. La victime a déposé plainte pour violences, blessures involontaires et délit de fuite.
Par acte du 12 février 2025, la victime a assigné l’assureur et la caisse primaire d’assurance maladie en référé. Elle sollicitait une expertise médicale, une provision de 3000 euros sur l’indemnisation de son préjudice, une provision ad litem de 1500 euros, ainsi que 1200 euros au titre des frais irrépétibles. L’assureur, sans contester le principe de l’expertise ni le droit à indemnisation, demandait la réduction des provisions au strict nécessaire et le rejet des demandes de provision ad litem et de frais irrépétibles. La caisse, régulièrement assignée, n’a pas comparu.
La question posée au juge des référés était de déterminer si les conditions de l’article 145 du code de procédure civile étaient réunies pour ordonner une expertise médicale et, dans l’affirmative, de fixer le montant des provisions allouables à la victime sur le fondement de l’article 835 du même code.
Le tribunal a ordonné l’expertise médicale sollicitée et condamné l’assureur à verser une provision de 1500 euros sur l’indemnisation du préjudice, une provision ad litem de 1000 euros, ainsi que 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision illustre le pouvoir du juge des référés d’organiser la preuve en matière de préjudice corporel (I) tout en encadrant l’allocation des provisions destinées à préserver les droits de la victime (II).
I. L’organisation de la preuve du préjudice corporel par le juge des référés
Le juge des référés dispose d’un pouvoir étendu pour ordonner des mesures d’instruction in futurum (A), pouvoir qui s’exerce indépendamment de toute appréciation du fond du litige (B).
A. Les conditions libérales de la mesure d’instruction in futurum
L’article 145 du code de procédure civile permet au juge d’ordonner des mesures d’instruction « avant tout procès » lorsqu’existe un « motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». Le tribunal rappelle que cette condition d’absence d’instance au fond « doit s’apprécier à la date de la saisine du juge ».
La décision précise que « l’existence de contestations, même sérieuses, ne constitue pas un obstacle à la mise en œuvre des dispositions de l’article précité ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de subordonner l’expertise préventive à un examen préalable des chances de succès de l’action future.
Le tribunal énonce les quatre critères cumulatifs : « qu’un tel procès est possible, qu’il a un objet et un fondement suffisamment déterminés, que sa solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée et que celle-ci ne porte aucune atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui ». Cette grille d’analyse correspond à la méthodologie dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
En l’espèce, la production de pièces médicales attestant de blessures et l’absence de contestation du principe de l’expertise ont conduit le juge à caractériser sans difficulté le motif légitime. La mission expertale confiée au praticien désigné reprend la nomenclature exhaustive des postes de préjudice, du déficit fonctionnel temporaire aux préjudices permanents exceptionnels.
B. L’indifférence du juge des référés aux questions de fond
Le tribunal affirme qu’il lui appartient « uniquement de caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, sans qu’il soit nécessaire de procéder préalablement à l’examen de la recevabilité d’une éventuelle action, non plus que de ses chances de succès sur le fond ». Cette formule traduit la spécificité du référé probatoire qui se distingue du référé provision.
La décision apporte une précision utile concernant l’état antérieur de la victime. Le tribunal indique que « la formulation communément prévue dans les missions ordonnées ne fait aucunement obstacle à la prise en compte d’un état antérieur révélé ou aggravé par l’accident ». Cette observation répond manifestement à une objection implicite de l’assureur et confirme que l’expert pourra pleinement apprécier l’incidence causale du fait dommageable.
Le cantonnement du juge des référés à l’examen du motif légitime, sans anticipation sur le fond, garantit l’effectivité du droit à la preuve reconnu aux justiciables. La victime peut ainsi préparer utilement son action indemnitaire sans être exposée à un débat prématuré sur l’étendue de son droit à réparation.
II. L’encadrement des provisions allouées à la victime
Le juge des référés concilie la protection immédiate de la victime par l’allocation de provisions (A) avec le respect du caractère non sérieusement contestable de l’obligation (B).
A. La modération des provisions sur l’indemnisation du préjudice
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile subordonne l’octroi d’une provision à l’absence de contestation sérieuse de l’obligation. Le tribunal constate que « le droit à indemnisation du demandeur n’est pas contesté », ce qui ouvre la voie à l’allocation provisionnelle.
La décision pose cependant une limite : « Le montant de la provision devant être allouée au demandeur ne peut excéder le montant d’indemnisation au-delà duquel celui-ci devient aléatoire ou incertain compte tenu de l’appréciation du juge du fond notamment ». Cette formulation reprend le principe selon lequel la provision ne constitue qu’une avance sur une créance dont l’étendue exacte demeure à déterminer.
La victime sollicitait 3000 euros ; le tribunal n’alloue que 1500 euros « au regard des pièces médicales ». Cette réduction de moitié traduit la prudence du juge des référés face à un préjudice dont la consolidation n’est pas encore acquise et dont l’évaluation définitive incombera au juge du fond après dépôt du rapport d’expertise. L’incapacité totale de travail de quatre jours et la nature des lésions constatées justifiaient une provision mesurée.
B. L’admission de la provision ad litem
Le tribunal fait droit à la demande de provision ad litem, destinée à couvrir les frais d’expertise, en la fixant à 1000 euros au lieu des 1500 euros sollicités. La décision justifie cette allocation par le fait que « la responsabilité n’étant pas contestée, il y a lieu de faire droit à la demande de provision ad litem ».
La provision ad litem permet à la victime de faire face aux frais de la procédure sans attendre l’issue du litige. En l’espèce, la consignation expertale était fixée à 825 euros hors taxes, de sorte que la provision de 1000 euros couvre cette dépense avec une marge raisonnable pour les éventuels frais annexes.
Cette solution s’inscrit dans la logique protectrice de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation qui impose à l’assureur de prendre en charge les conséquences du dommage causé par son assuré. La condamnation aux dépens et à 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile complète ce dispositif en faisant peser sur l’assureur l’ensemble des frais de la procédure de référé.
L’ordonnance du 13 juin 2025 constitue une application classique des pouvoirs du juge des référés en matière d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Elle confirme la souplesse de l’article 145 pour l’organisation de la preuve et la rigueur de l’article 835 pour le calcul des provisions. La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante favorable à l’accès effectif des victimes à la réparation de leur préjudice corporel.