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L’ordonnance de référé rendue par le Tribunal judiciaire de Marseille le 16 juin 2025 s’inscrit dans le contentieux classique de l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Un conducteur de deux-roues, blessé lors d’un accident survenu le 16 janvier 2022, sollicitait une expertise médicale ainsi qu’une provision à l’encontre de l’assureur du véhicule impliqué.
Les faits à l’origine de ce litige sont relativement simples. Le demandeur circulait sur un deux-roues lorsqu’il a été victime d’un accident impliquant un véhicule assuré auprès de la société défenderesse. Il a subi de multiples fractures nécessitant des soins médicaux. Ayant déjà perçu des provisions à hauteur de 16 000 euros, il entendait faire évaluer l’ensemble de ses préjudices par un expert judiciaire.
La procédure s’est déroulée devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Marseille. Par actes du 7 février 2025, la victime a assigné l’assureur ainsi que la Caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône. À l’audience du 12 mai 2025, le demandeur sollicitait la désignation d’un expert, une provision de 5 000 euros et une indemnité au titre des frais irrépétibles. L’assureur, sans contester le droit à réparation ni son obligation de garantie, émettait des réserves sur la mesure d’expertise et demandait la réduction de la provision. L’organisme social, régulièrement assigné, ne comparaissait pas.
La question posée au juge des référés était double : d’une part, les conditions du référé probatoire de l’article 145 du code de procédure civile étaient-elles réunies pour ordonner une expertise médicale ? D’autre part, l’obligation indemnitaire était-elle suffisamment établie pour justifier l’octroi d’une provision sur le fondement de l’article 835 du même code ?
Le juge des référés a fait droit à la demande d’expertise, considérant que le demandeur justifiait d’un « motif légitime » au sens de l’article 145. Il a par ailleurs accordé une provision complémentaire de 2 000 euros, estimant que l’obligation n’était pas sérieusement contestable dès lors que l’assureur reconnaissait le principe de sa garantie.
Cette ordonnance illustre la mise en œuvre des pouvoirs du juge des référés tant en matière probatoire qu’en matière provisionnelle. Elle invite à examiner successivement les conditions de l’expertise in futurum dans le contentieux de la réparation du dommage corporel (I), puis le mécanisme de la provision dans un contexte d’obligation non sérieusement contestable (II).
I. Le référé probatoire au service de l’évaluation du préjudice corporel
L’ordonnance commentée rappelle les conditions d’application de l’article 145 du code de procédure civile avant d’en préciser l’appréciation concrète dans le contentieux de la réparation du dommage corporel.
A. Les conditions légales du référé in futurum
L’article 145 du code de procédure civile subordonne la mesure d’instruction à l’existence d’un « motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». Le juge marseillais reprend fidèlement cette exigence textuelle en la complétant par les apports jurisprudentiels.
L’ordonnance énonce qu’il appartient « uniquement au juge des référés de caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, sans qu’il soit nécessaire de procéder préalablement à l’examen de la recevabilité d’une éventuelle action, non plus que de ses chances de succès sur le fond ». Cette formulation reprend la position constante de la Cour de cassation selon laquelle le juge de l’article 145 n’a pas à préjuger du bien-fondé de l’action future. Il lui suffit de constater que le procès envisagé est « possible », qu’il présente « un objet et un fondement suffisamment déterminés » et que la mesure sollicitée peut en conditionner la solution.
Le juge ajoute une précision importante : la mesure ne doit porter « aucune atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui ». Cette réserve, d’origine jurisprudentielle, constitue la limite externe au pouvoir d’ordonner des mesures d’instruction. Elle trouve une application particulière en matière d’expertise médicale où le respect de l’intégrité physique et de la vie privée du sujet examiné commande certaines précautions.
Enfin, l’ordonnance souligne que « l’existence de contestations, même sérieuses, ne constitue pas un obstacle » à l’application de l’article 145. Cette affirmation distingue nettement le référé probatoire du référé provision de l’article 835 alinéa 2. Dans le premier cas, le juge peut ordonner la mesure malgré une contestation sérieuse sur le fond du droit. Cette distinction procédurale traduit la finalité propre de l’article 145 : permettre la constitution de preuves indépendamment de l’issue du litige au fond.
B. L’application au contentieux du dommage corporel
En l’espèce, le juge des référés constate que le demandeur « verse aux débats divers documents médicaux tendant à établir la réalité de blessures (multiples fractures) en lien avec l’accident de la circulation ». La production de ces pièces suffit à caractériser le motif légitime requis. Le juge relève également que la victime « est fondée à faire examiner par un expert judiciaire impartial dans la perspective d’une éventuelle action au fond en réparation ».
Cette motivation appelle plusieurs observations. Le juge ne se livre à aucune appréciation de la gravité des blessures ni de l’imputabilité définitive des séquelles à l’accident. Il constate simplement l’existence d’éléments médicaux corroborant les allégations du demandeur. Cette retenue est conforme à la nature du contrôle exercé au stade du référé probatoire.
La mission confiée à l’expert apparaît particulièrement étendue. Elle reprend l’ensemble des postes de préjudice identifiés par la nomenclature dite Dintilhac : déficit fonctionnel temporaire et permanent, souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d’agrément, préjudice sexuel, assistance par tierce personne, incidence professionnelle. Cette exhaustivité témoigne de la volonté d’éclairer le juge du fond sur la totalité des chefs de préjudice susceptibles d’indemnisation.
L’ordonnance précise que l’expert devra « convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils ». Cette mention garantit le respect du principe du contradictoire pendant les opérations d’expertise. Le juge impose également la communication d’un pré-rapport aux parties avec un délai d’un mois pour formuler des dires. Ces prescriptions procédurales visent à assurer la qualité probante du rapport final.
II. La provision sur obligation non sérieusement contestable
L’allocation d’une provision complémentaire repose sur le mécanisme de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dont l’ordonnance commentée offre une illustration caractéristique.
A. L’absence de contestation sérieuse sur le principe de l’obligation
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut « accorder une provision au créancier » dans les cas où « l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Le juge des référés ne tranche pas le fond du litige. Il se borne à vérifier que l’obligation invoquée présente un degré suffisant d’évidence.
L’ordonnance constate que le « droit à réparation » du demandeur « n’est pas discuté » et que l’assureur « ne conteste pas le principe de son obligation de garantie ». Cette double reconnaissance par le défendeur lui-même supprime toute contestation sérieuse sur l’existence de l’obligation. Le juge se trouve alors en présence d’une créance dont seul le quantum demeure incertain.
La situation est fréquente en matière d’accident de la circulation. La loi du 5 juillet 1985 instaure un régime d’indemnisation favorable aux victimes. Lorsque le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident, son assureur doit garantir l’indemnisation des dommages causés. Le principe de la dette indemnitaire ne prête généralement pas à discussion. Seule l’évaluation des préjudices justifie le recours à l’expertise.
L’ordonnance relève que le demandeur « a déjà perçu des provisions à hauteur de 16 000 € ». Cette circonstance confirme que l’assureur a reconnu dès l’origine son obligation de réparer. Le versement antérieur de provisions constitue un aveu implicite de l’existence de la créance indemnitaire. Le juge des référés pouvait donc accorder une provision complémentaire sans méconnaître les limites de sa saisine.
B. La détermination du montant provisionnel
Le demandeur sollicitait une provision de 5 000 euros. Le juge n’accorde que 2 000 euros. Cette réduction appelle quelques remarques sur le pouvoir d’appréciation du juge des référés en matière de provision.
L’ordonnance ne motive pas explicitement le quantum retenu. Elle se borne à indiquer qu’il y a lieu d’allouer une « provision complémentaire de 2 000 € à valoir sur la réparation de ses préjudices ». Cette motivation laconique n’est pas critiquable en soi. Le juge des référés dispose d’un pouvoir souverain pour fixer le montant de la provision dès lors que celle-ci n’excède pas le montant non sérieusement contestable de la créance.
La modicité de la somme allouée peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le demandeur a déjà perçu 16 000 euros de provisions. L’expertise médicale n’a pas encore été réalisée, de sorte que l’étendue exacte des préjudices demeure inconnue. Le juge a pu estimer prudent de limiter la provision complémentaire dans l’attente des conclusions expertales. Cette attitude de réserve préserve les droits de l’assureur en évitant un éventuel trop-perçu qu’il conviendrait ensuite de restituer.
L’ordonnance met à la charge de l’assureur les dépens et une indemnité de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le juge justifie cette dernière condamnation par l’équité. Cette formule traditionnelle dispense d’une motivation plus circonstanciée. La charge des dépens découle logiquement de la qualité de partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, l’assureur n’ayant pas obtenu le rejet des demandes.
Cette ordonnance présente une portée essentiellement pratique. Elle illustre le fonctionnement harmonieux des deux fondements du référé provision et du référé probatoire lorsque le principe de l’obligation n’est pas contesté. Elle confirme la souplesse de l’article 145 dans le contentieux de la réparation du dommage corporel et rappelle que le juge des référés conserve un pouvoir modérateur dans la fixation du montant des provisions.