Tribunal judiciaire de Marseille, le 17 juin 2025, n°24/04509

La réparation du préjudice corporel consécutif à un accident de la circulation constitue un contentieux récurrent devant les juridictions civiles. La loi du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, a institué un régime d’indemnisation favorable aux victimes en posant le principe d’un droit à réparation intégrale.

Le tribunal judiciaire de Marseille, par un jugement du 17 juin 2025, s’est prononcé sur l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation survenu le 28 décembre 2021. La demanderesse, passagère d’un véhicule impliqué dans l’accident, a subi des lésions cervicales et un syndrome anxieux. Un médecin expert désigné amiablement a établi un rapport concluant à un déficit fonctionnel temporaire partiel, des souffrances endurées évaluées à 2,5 sur 7 et un taux de déficit fonctionnel permanent de 3 %. La consolidation a été fixée au 1er septembre 2022.

Par acte du 15 avril 2024, la victime a assigné les sociétés d’assurance devant le tribunal judiciaire de Marseille aux fins d’obtenir réparation de son préjudice. Elle sollicitait une indemnisation totale de 14 308,67 euros, déduction faite d’une provision de 1 000 euros déjà versée. Les défenderesses, qui sont intervenues volontairement à la procédure, ne contestaient pas le droit à indemnisation mais proposaient des montants inférieurs pour certains postes de préjudice. L’organisme social, régulièrement mis en cause, n’a pas comparu.

La question posée au tribunal était celle de l’évaluation des différents postes de préjudice corporel dans le cadre d’un accident de la circulation où le droit à indemnisation n’était pas contesté.

Le tribunal a évalué le préjudice corporel à 12 738,07 euros et condamné solidairement les assureurs à verser à la victime la somme de 11 738,07 euros après déduction de la provision, outre 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Cette décision illustre l’application classique de la nomenclature Dintilhac en matière d’indemnisation du préjudice corporel (I) tout en révélant les limites de l’office du juge dans l’appréciation des demandes indemnitaires (II).

I. L’application méthodique de la nomenclature Dintilhac

Le tribunal procède à une évaluation rigoureuse des préjudices patrimoniaux (A) avant d’examiner les préjudices extrapatrimoniaux (B).

A. L’indemnisation intégrale des préjudices patrimoniaux

Le jugement accueille sans réduction les demandes relatives aux préjudices patrimoniaux temporaires. Les frais divers, constitués par les « honoraires d’assistance à expertise du médecin conseil, soit 540 €, tel qu’admis par les deux parties », sont alloués intégralement. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante reconnaissant le caractère nécessaire de l’assistance d’un médecin-conseil lors des opérations d’expertise.

Les frais de santé restés à charge, d’un montant de 242,07 euros, sont également accordés sans discussion. Le tribunal relève qu’« il sera fait droit à la demande » sans autre motivation. Cette concision s’explique par l’absence de contestation des défenderesses sur ce poste, qui avaient sollicité « l’acceptation des frais d’assistance à expertise et des frais de santé restés à charge ».

L’absence de débat sur ces postes traduit une pratique assurantielle qui tend à ne pas contester les frais justifiés par des pièces. Le principe de réparation intégrale commande en effet de replacer la victime dans la situation antérieure au dommage, ce qui implique la prise en charge de l’ensemble des dépenses engagées.

B. L’évaluation souveraine des préjudices extrapatrimoniaux

Le tribunal définit le déficit fonctionnel temporaire comme un poste qui « cherche à indemniser l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que subit la victime jusqu’à sa consolidation et correspond à une perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante ». Cette définition reprend fidèlement les termes de la nomenclature Dintilhac.

L’indemnisation retenue s’élève à 1 076 euros, soit 637 euros pour le déficit à 25 % et 439 euros pour celui à 10 %. Ces montants correspondent à une base journalière d’environ 28 euros, conforme aux pratiques des juridictions marseillaises. Le rapport d’expertise avait distingué deux périodes : une phase post-traumatique de trois mois incluant « le retentissement anxieux et la contention cervicale » suivie d’une phase jusqu’à consolidation.

Concernant les souffrances endurées, le tribunal alloue 5 000 euros pour un quantum de 2,5 sur 7, alors que la victime sollicitait 6 000 euros. Cette réduction de 1 000 euros n’est pas motivée de manière spécifique. Le juge se borne à indiquer que les souffrances « seront indemnisées par le versement de la somme de 5 000 € ». Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui disposent d’une marge d’évaluation importante pour ce poste par nature subjectif.

II. Les enseignements de la décision sur l’office du juge indemnitaire

Le jugement révèle une motivation parfois elliptique (A) et confirme le caractère exécutoire de droit des décisions de première instance (B).

A. Une motivation inégalement développée selon les postes de préjudice

Le déficit fonctionnel permanent fait l’objet d’une définition détaillée. Le tribunal précise qu’il « cherche à indemniser le préjudice extra-patrimonial découlant de l’incapacité médicalement constatée » et qu’il répare « non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de celle-ci mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d’existence après consolidation ».

Pour un taux de 3 %, le tribunal alloue 5 880 euros, soit une valeur du point proche de 1 960 euros. La victime sollicitait 6 450 euros, ce qui correspondait à une valeur du point supérieure. La réduction opérée n’est pas davantage expliquée que pour les souffrances endurées. Le tribunal indique seulement qu’« il y a donc lieu de l’indemniser par l’allocation » de cette somme.

Cette absence de motivation sur les écarts entre les demandes et les montants alloués pourrait être critiquée au regard des exigences de l’article 455 du code de procédure civile. La Cour de cassation exige en effet que les juges du fond expliquent les raisons de leur évaluation lorsqu’ils s’écartent des prétentions des parties. La pratique des référentiels indicatifs, bien que non contraignante, tend à uniformiser les évaluations et à justifier implicitement les montants retenus.

B. Le maintien de l’exécution provisoire de droit

Le tribunal rappelle que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision n’en dispose autrement » en application de l’article 514 du code de procédure civile. Il rejette la demande des assureurs tendant à la limitation de l’exécution provisoire aux sommes offertes.

Cette solution protège les intérêts de la victime qui pourra percevoir rapidement les sommes allouées sans attendre l’expiration du délai d’appel. Le tribunal écarte ainsi « n’y avoir lieu en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire de droit » sans développer davantage sa motivation.

Les frais irrépétibles sont fixés à 1 500 euros, soit la moitié de la somme sollicitée par la victime. Le tribunal relève que celle-ci a « exposé des frais pour obtenir la reconnaissance de ses droits » et qu’il est « équitable » de lui allouer cette indemnité. La condamnation solidaire des deux sociétés d’assurance aux dépens et aux frais irrépétibles découle de leur qualité de parties succombantes au sens de l’article 696 du code de procédure civile.

Cette décision, sans présenter de difficulté juridique particulière, illustre le contentieux de masse que représente l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Elle confirme l’application constante de la nomenclature Dintilhac par les juridictions du fond et le pouvoir souverain des juges dans l’évaluation des préjudices extrapatrimoniaux. La portée de ce jugement demeure limitée à l’espèce, les montants retenus variant nécessairement selon les circonstances propres à chaque affaire et les pratiques locales d’indemnisation.

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Hassan KOHEN
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