Tribunal judiciaire de Marseille, le 19 juin 2025, n°20/00154

Par jugement du 19 juin 2025, le pôle social du tribunal judiciaire de [Localité 16] se prononce sur la reconnaissance d’une maladie professionnelle hors tableau. L’assuré, employé à la préparation et à la pose de revêtements de sol, impute une BPCO avec emphysème à des expositions à résines, solvants et poussières générées par des opérations de préparation et de ponçage.

L’organisme de sécurité sociale a rejeté la demande à la suite d’un avis défavorable d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Un second comité, désigné en application de l’article R. 142-17-2, a confirmé le rejet par un avis non motivé et dépourvu de l’avis du médecin du travail. La question portait sur l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel, malgré deux avis défavorables. Le tribunal retient la prise en charge, au vu de motivations lacunaires et d’éléments probants sur les expositions, l’absence de facteurs extra-professionnels, et des opérations de ponçage réalisées sans protection adaptée.

I. Le cadre normatif et l’office du juge

A. La reconnaissance hors tableau et la charge de la preuve

Le tribunal rappelle la règle applicable en reprenant le texte normatif tel qu’énoncé dans la décision: « Aux termes des articles L. 461-1 alinéa 7 et R. 461-8 du code de la sécurité sociale, une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente au moins égale à 25 %. » La décision souligne ensuite que « Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. » La formulation rappelle la double exigence cumulative, étiologique et de gravité, qui gouverne l’ouverture du régime hors tableau.

L’office du juge implique d’apprécier la preuve du lien causal en s’appuyant sur un faisceau d’indices cohérent et circonstancié. La motivation retient des éléments concrets relatifs aux conditions de travail, à la nature des produits manipulés et aux procédés mis en œuvre. Elle met en évidence des expositions répétées à des substances irritantes et sensibilisantes, une intensité particulière lors des phases de préparation des supports, et l’insuffisance des protections individuelles. La démarche articule ainsi la règle de droit et la preuve, sans glisser vers une expertise substitutive, en s’adossant à des données techniques suffisantes.

B. La portée non contraignante des avis des comités

La juridiction précise la place des avis consultatifs dans le raisonnement juridictionnel: « Toutefois, les avis des [12] ne lient pas le juge lequel apprécie souverainement la nature et la portée de ces avis et des pièces produites par les parties. » Cette affirmation, claire et brève, réaffirme que l’office du juge ne se réduit pas à une vérification formelle de la procédure administrative préalable. Elle autorise un contrôle plein sur la pertinence des motifs et la complétude du dossier.

L’analyse critique des avis rendus est nette: « En premier lieu, le tribunal note que ces avis sont peu ([12] de la région PACA- Corse), ou pas du tout motivés ([12] de la région Normandie) quant au rejet du lien essentiel et direct entre la maladie et l’activité professionnelle par des formulations générales standards. » À partir de ce constat, la juridiction examine les pièces, notamment les descriptions de tâches, les substances en cause, et les publications techniques versées. Cette méthode, respectueuse du contradictoire, évite la déférence automatique et replace la motivation au centre de la décision de prise en charge.

II. Valeur et portée de la solution

A. Exigence de motivation et rôle du médecin du travail

La décision insiste sur une lacune déterminante du second avis: « La seule information pertinente de cet avis est que le comité n’a pas reçu l’avis du médecin du travail. » Le rappel du caractère « motivé » exigé par les textes, combiné à l’absence d’un éclairage spécialisé du médecin du travail, fragilise la valeur probante de l’avis consultatif. La juridiction en tire les conséquences, sans annuler la procédure, mais en reconstituant un cadre probatoire suffisant à partir des pièces disponibles.

Cette exigence contribue à la qualité du débat contradictoire en matière de maladies hors tableau, où la causalité dépend d’expositions spécifiques et de facteurs multiples. Elle valorise les éléments techniques objectifs, comme les descriptions précises de postes, les notices de produits, et les données publiques de santé au travail. Elle prévient, en outre, les motivations stéréotypées qui ne répondent pas à la singularité des expositions alléguées et des mécanismes physiopathologiques invoqués.

B. Preuve des expositions et faisceau d’indices probants

Le tribunal exploite des éléments matériels convergents, y compris des passages du dossier cités dans l’arrêt: « L’assurée charge et décharge des sacs de granulats marbre et de la résine en seau chez le client. Sur le chantier, il effectue le ponçage du béton ou le carrelage. Il colle les profilés en aluminium avec du polymère de résine de type silicone. Il prépare la résine de colle qu’il mélange à l’aide d’un malaxeur et l’applique sur le sol. » Ce descriptif lie directement les procédés au risque inhalatoire et à l’irradiation des voies respiratoires lors d’opérations poussiéreuses et de manipulations de produits résineux.

La motivation intègre la littérature technique évoquée par la juridiction. Elle relève notamment que « pour la préparation des surfaces, les phases de grenaillage ou de ponçage sont très génératrices de poussières pouvant contenir de la silice libre et que l’utilisation de la ponceuse à main pour les endroits moins accessibles (angles, bordures,) expose directement l’utilisateur. » Elle souligne encore que certaines résines et durcisseurs « provoquent des atteintes de l’appareil respiratoire » et que les solvants « provoquent des irritations des voies respiratoires » par inhalation ou contact. Ces éléments renforcent la plausibilité du mécanisme causal, sans excéder l’office du juge.

La décision isole enfin deux indices déterminants: l’insuffisance des protections et l’absence de facteurs extra-professionnels avérés. Elle cite que l’intéressé « effectuait des travaux de ponçage sans port d’équipement de protection individuel autre que des gants en vinyle », ce qui documente un risque d’inhalation soutenu. Elle note encore qu’« il n’est pas établi une consommation de tabac ou tout autre facteur de risques extra-professionnels pouvant expliquer sa pathologie », ce qui réduit les hypothèses alternatives. Ce double faisceau probatoire permet de satisfaire aux exigences du lien « essentiellement et directement » causé par le travail habituel.

La conclusion sur la prise en charge découle logiquement du raisonnement ainsi charpenté: « Il en résulte que cette pathologie doit être prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles. » La portée de la solution est concrète. Elle incite les acteurs à produire des descriptions de tâches précises, à verser les avis du médecin du travail, et à éviter des motivations standardisées des comités. Elle dédiérit le parcours probatoire des affections respiratoires hors tableau, lorsque les expositions et les procédés sont solidement documentés, et que le faisceau d’indices converge vers un lien direct et essentiel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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