Tribunal judiciaire de Marseille, le 19 juin 2025, n°20/01606

Le contentieux des affections de longue durée et de l’exonération du ticket modérateur soulève des questions récurrentes relatives à la preuve de l’état de santé de l’assuré. Le tribunal judiciaire de Marseille, pôle social, a rendu le 19 juin 2025 un jugement avant dire droit illustrant les difficultés procédurales inhérentes à ce type de litiges.

Un assuré avait sollicité auprès de la caisse primaire d’assurance maladie l’exonération du ticket modérateur pour une affection de longue durée, sur la base d’un certificat médical établi le 22 février 2017. Par courrier du 6 septembre 2017, la caisse lui a notifié son refus, après avis défavorable du service médical rendu le 31 août 2017. L’assuré a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, laquelle a confirmé le refus par décision du 28 novembre 2017.

Par lettre recommandée expédiée le 9 janvier 2018, l’assuré a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône. L’affaire a connu plusieurs péripéties procédurales. Un jugement de caducité a été prononcé le 6 mars 2020, suivi d’une ordonnance de relevé de caducité le 24 juillet 2020. Par jugement du 17 septembre 2021, le tribunal a déclaré le recours recevable, rejeté plusieurs demandes de communication de pièces et ordonné une expertise médicale sur le fondement de l’article L.141-1 du code de la sécurité sociale. Toutefois, l’assuré ne s’est pas présenté à l’expertise prévue le 12 juin 2023.

À l’audience du 3 avril 2025, le conseil de l’assuré a indiqué que son client n’avait pas reçu la convocation à l’expertise et a sollicité la mise en œuvre d’une nouvelle mesure d’instruction. La caisse a formulé une demande identique.

La question posée au tribunal était de déterminer s’il convenait d’ordonner une nouvelle expertise médicale afin d’établir si l’affection dont souffre l’assuré ouvre droit à l’exonération du ticket modérateur.

Le tribunal a fait droit à la demande conjointe des parties et ordonné une expertise médicale aux fins de déterminer si l’affection de l’assuré figure parmi les trente maladies ouvrant droit à exonération ou, à défaut, si elle constitue une forme grave, évolutive ou invalidante nécessitant un traitement prolongé et coûteux.

Cette décision met en lumière le rôle central de l’expertise médicale dans le contentieux des affections de longue durée (I) et révèle les limites procédurales auxquelles se heurte l’effectivité du droit à l’exonération du ticket modérateur (II).

I. Le caractère incontournable de l’expertise médicale dans le contentieux des affections de longue durée

L’expertise médicale constitue le mode probatoire imposé par le législateur pour trancher les contestations d’ordre médical (A). La présente décision illustre la persistance de cette exigence malgré l’échec d’une première mesure d’instruction (B).

A. Le fondement légal de l’expertise médicale obligatoire

L’article L.141-1 du code de la sécurité sociale dispose que « les contestations d’ordre médical relatives à l’état du malade ou à l’état de la victime […] donnent lieu à une procédure d’expertise médicale dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Le tribunal rappelle expressément ce fondement textuel pour justifier sa décision.

Cette disposition traduit la volonté du législateur de soustraire les questions médicales au pouvoir d’appréciation souverain du juge. Le contentieux technique de la sécurité sociale exige en effet une évaluation scientifique que seul un médecin expert peut fournir. Le juge ne dispose pas des compétences nécessaires pour déterminer si une affection entre dans la liste des trente maladies ouvrant droit à exonération ou si elle présente le caractère de gravité requis par les textes.

Le tribunal se conforme ainsi à une jurisprudence constante qui impose le recours à l’expertise dès lors que le litige porte sur l’état de santé de l’assuré. Cette obligation s’impose tant à la demande d’une partie qu’à l’initiative du juge lorsque la question médicale conditionne l’issue du litige.

B. Le renouvellement de la mesure d’instruction malgré la carence initiale de l’assuré

La particularité de l’espèce réside dans le fait qu’une expertise avait déjà été ordonnée par jugement du 17 septembre 2021. L’assuré ne s’était pas présenté à la convocation du 12 juin 2023. Le tribunal aurait pu tirer les conséquences de cette carence et rejeter la demande d’exonération faute pour l’assuré d’avoir satisfait à son obligation de comparution.

Le juge adopte une solution différente. Il accueille l’allégation de l’assuré selon laquelle il n’aurait pas reçu la convocation. Cette position soulève une interrogation sur la charge de la preuve de la notification. Le tribunal ne tranche pas cette question et préfère ordonner une nouvelle expertise.

Cette décision témoigne d’une conception souple du droit au procès équitable. Le juge privilégie l’instruction complète du litige sur la sanction de la carence procédurale. La demande conjointe des parties a sans doute facilité cette solution consensuelle. Le tribunal évite ainsi de statuer sur le fond sans disposer des éléments médicaux nécessaires.

II. Les obstacles procéduraux à l’effectivité du droit à l’exonération du ticket modérateur

La longueur exceptionnelle de la procédure révèle les dysfonctionnements du contentieux de la sécurité sociale (A). La mission confiée à l’expert traduit la complexité des critères d’ouverture du droit à exonération (B).

A. Une procédure marquée par des délais déraisonnables

La chronologie de l’affaire frappe par sa durée. Le certificat médical initial date du 22 février 2017. La décision de refus a été notifiée le 6 septembre 2017. Le jugement commenté intervient le 19 juin 2025, soit plus de huit ans après la demande initiale et plus de sept ans après la saisine du tribunal.

Cette durée excessive porte atteinte au droit de l’assuré à obtenir une décision dans un délai raisonnable. L’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit ce droit fondamental. Les multiples incidents de procédure ont contribué à cet allongement. Le jugement de caducité du 6 mars 2020 et l’ordonnance de relevé de caducité du 24 juillet 2020 ont généré des retards évitables.

L’absence de l’assuré à l’expertise de juin 2023 a provoqué un nouveau report de deux ans. Le tribunal ne dispose toujours pas des éléments médicaux nécessaires pour statuer sur le fond. L’assuré demeure dans l’incertitude quant à ses droits, tandis que la caisse ignore si sa décision de refus était fondée.

Cette situation met en lumière les limites du dispositif d’expertise médicale. La dépendance à l’égard de la comparution des parties et les délais de convocation allongent considérablement la durée des procédures.

B. La double condition alternative de l’exonération du ticket modérateur

La mission confiée à l’expert illustre la complexité des critères légaux. L’expert doit d’abord rechercher si l’affection de l’assuré figure parmi les trente maladies énumérées par décret. Cette liste limitative vise les pathologies les plus graves telles que le diabète, les affections cardiaques sévères ou les maladies neurologiques invalidantes.

Dans la négative, l’expert doit déterminer si l’affection constitue « une forme grave d’une maladie ou une forme évolutive ou invalidante d’une maladie grave, nécessitant un traitement d’une durée prévisible supérieure à six mois et particulièrement coûteux en raison du coût ou de la fréquence des actes, prestations et traitement ». Cette définition alternative ouvre le bénéfice de l’exonération aux affections hors liste présentant un caractère de gravité et de chronicité.

Le tribunal reprend ainsi les termes de l’article R.322-6 du code de la sécurité sociale. L’expert devra se prononcer sur ces critères cumulatifs. La gravité de l’affection, la durée prévisible du traitement et son caractère coûteux devront être établis. Cette appréciation relève du pouvoir souverain de l’expert sous le contrôle du juge.

La portée de cette décision demeure limitée puisqu’il s’agit d’un jugement avant dire droit. Le tribunal réserve les dépens et renvoie le prononcé au fond à une audience ultérieure. L’issue du litige dépendra des conclusions de l’expertise à venir. Cette décision s’inscrit dans une application classique des textes régissant le contentieux technique de la sécurité sociale.

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Hassan KOHEN
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