Tribunal judiciaire de Marseille, le 19 juin 2025, n°25/01137

Le maintien en rétention administrative d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’expulsion soulève des questions relatives aux conditions de prolongation de cette mesure privative de liberté. Le tribunal judiciaire de Marseille, par ordonnance du 19 juin 2025, apporte une illustration du contrôle juridictionnel exercé en la matière.

Un ressortissant tunisien, né le 17 mai 1983, a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion en date du 4 février 2025, notifié le 6 février 2025. Il a été placé en rétention administrative le 21 mai 2025, cette décision lui ayant été notifiée le lendemain. Par ordonnance du 24 mai 2025, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Marseille a ordonné une première prolongation du maintien en rétention pour une durée de vingt-six jours.

Le préfet des Bouches-du-Rhône a saisi le tribunal judiciaire de Marseille, par requête reçue le 18 juin 2025, aux fins d’obtenir une seconde prolongation de la rétention administrative. L’intéressé, qui a refusé de se présenter à l’audience pour des raisons personnelles non précisées, était représenté par un avocat commis d’office. Le représentant de la préfecture a fait valoir que de nouveaux éléments avaient été transmis par le père du retenu en Tunisie, permettant d’établir sa nationalité, et qu’un acte de naissance devrait prochainement être délivré. Il a souligné que l’intéressé avait été condamné à une peine de dix ans et demi d’emprisonnement, constituant une menace pour l’ordre public.

La question posée au juge était de déterminer si les conditions légales justifiant une seconde prolongation de la rétention administrative étaient réunies, notamment au regard des diligences accomplies par l’administration pour exécuter la mesure d’éloignement.

Le tribunal judiciaire de Marseille a fait droit à la requête préfectorale et ordonné le maintien en rétention pour une durée maximale de trente jours, la mesure devant prendre fin au plus tard le 19 juillet 2025. Le magistrat a retenu que l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résultait de la perte ou destruction des documents de voyage, de la dissimulation d’identité par l’intéressé et du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat.

Cette décision invite à examiner les conditions de fond justifiant la prolongation de la rétention (I), avant d’analyser le contrôle des diligences administratives exercé par le juge (II).

I. Les conditions de fond justifiant la prolongation de la rétention

Le tribunal judiciaire de Marseille caractérise les obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement (A) tout en s’appuyant sur le contexte pénal de l’affaire pour apprécier la menace à l’ordre public (B).

A. La caractérisation des obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement

L’article L. 742-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énumère limitativement les hypothèses dans lesquelles le juge peut ordonner une seconde prolongation de la rétention administrative au-delà de trente jours. Le magistrat marseillais retient en l’espèce plusieurs de ces hypothèses de manière cumulative.

Le tribunal constate que « l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité et du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ». Cette formulation reprend presque textuellement les termes du 2° et du 3° a) de l’article L. 742-4 du CESEDA. La multiplication des fondements juridiques retenus traduit une situation factuelle complexe où plusieurs obstacles se conjuguent pour empêcher l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

La dissimulation d’identité constitue un comportement imputable à l’étranger qui justifie, selon la jurisprudence constante, la prolongation de la rétention. Elle se distingue de la simple absence de documents, laquelle peut résulter de circonstances indépendantes de la volonté de l’intéressé. En retenant ce motif, le juge impute partiellement à l’étranger la responsabilité de l’impossibilité de procéder à son éloignement.

Le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat tunisien constitue un obstacle d’une nature différente, puisqu’il échappe tant à l’administration française qu’à l’étranger lui-même. La coexistence de ces deux types d’obstacles dans une même décision illustre la complexité des situations rencontrées en matière de rétention administrative.

B. La prise en compte implicite de la menace à l’ordre public

L’ordonnance commentée ne développe pas expressément le motif tiré de la menace à l’ordre public, bien que celui-ci ait été invoqué par le représentant préfectoral lors de l’audience. Le compte rendu des débats mentionne que le retenu présente « un quantum de peine de 10 ans et demi » et qu’il « constitue donc une menace à l’OP ».

Cette référence au passé pénal de l’intéressé éclaire le contexte dans lequel s’inscrit la mesure d’expulsion dont il fait l’objet. L’article L. 742-4 du CESEDA prévoit en effet, en son 1°, que la prolongation peut être ordonnée « en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public ». La gravité de la condamnation pénale subie par l’étranger, sans être expressément mentionnée dans les motifs de la décision, constitue l’arrière-plan justifiant l’adoption initiale de l’arrêté d’expulsion du 4 février 2025.

Le silence de la motivation sur ce point peut s’expliquer par le fait que le juge a estimé suffisants les autres fondements retenus. La jurisprudence admet en effet que la caractérisation d’un seul des motifs prévus par l’article L. 742-4 suffit à justifier la prolongation. Le cumul des fondements opéré par le tribunal marseillais renforce la solidité juridique de sa décision sans qu’il soit nécessaire d’invoquer expressément la menace à l’ordre public.

L’examen des conditions de fond étant satisfait, le juge devait encore vérifier que l’administration avait accompli les diligences nécessaires à l’exécution de la mesure d’éloignement.

II. Le contrôle juridictionnel des diligences administratives

Le juge des libertés et de la détention exerce un contrôle sur les démarches accomplies par la préfecture (A), ce qui détermine l’appréciation du caractère raisonnable de la perspective d’éloignement (B).

A. L’examen des démarches consulaires accomplies

Le tribunal judiciaire de Marseille relève que « la Préfecture justifie de ses diligences en ayant saisi le consulat de Tunisie le 21 mai 2025, qu’il a été présenté aux autorités consulaires le 5 juin 2025, qu’une relance a été effectuée le 17 juin 2025 auprès des autorités consulaires tunisiennes ». Cette énumération chronologique des démarches entreprises constitue l’élément central du contrôle exercé par le juge.

La saisine du consulat le jour même du placement en rétention témoigne d’une réactivité administrative conforme aux exigences de la jurisprudence. La présentation physique de l’intéressé aux autorités consulaires, intervenue quinze jours plus tard, constitue une diligence supplémentaire destinée à faciliter l’identification du retenu. La relance effectuée la veille de l’expiration de la première période de prolongation manifeste la persistance des efforts administratifs.

Le représentant préfectoral a par ailleurs indiqué lors de l’audience que « de nouveaux éléments ont été apportés par son papa en Tunisie qui permettent de s’assurer que monsieur est tunisien » et qu’« un acte de naissance devrait être délivré ». Ces éléments, bien qu’ils ne figurent pas dans la motivation de l’ordonnance, suggèrent une évolution favorable de la situation administrative de l’intéressé.

Le contrôle des diligences administratives répond à l’exigence selon laquelle la rétention ne peut être prolongée que si l’éloignement demeure une perspective raisonnable. Le juge doit s’assurer que l’administration ne maintient pas l’étranger en rétention sans entreprendre les démarches nécessaires à l’exécution de la mesure.

B. L’appréciation de la perspective raisonnable d’éloignement

En concluant qu’« au regard des diligences accomplies il convient de faire droit à la requête de maintien en rétention afin de permettre à l’autorité administrative d’exécuter la mesure d’éloignement », le tribunal établit un lien direct entre les efforts déployés par la préfecture et la justification de la prolongation.

Cette formulation implique que l’éloignement demeure une perspective raisonnable, condition posée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et reprise par les juridictions nationales. La directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dite directive « retour », impose en effet que la rétention ne soit maintenue que tant qu’il existe une perspective raisonnable d’éloignement et que les démarches nécessaires sont entreprises avec la diligence requise.

L’annonce d’une prochaine délivrance d’un acte de naissance par les autorités tunisiennes, mentionnée lors des débats, conforte cette appréciation. La perspective d’obtention des documents de voyage apparaît suffisamment concrète pour justifier le maintien de la mesure privative de liberté.

La durée de la prolongation accordée, soit trente jours, correspond au maximum légal prévu par l’article L. 742-4 du CESEDA. La mesure de rétention, qui a débuté le 21 mai 2025, atteindra ainsi une durée totale de cinquante-neuf jours à son terme fixé au 19 juillet 2025, demeurant en deçà du plafond de soixante jours applicable en l’espèce.

L’ordonnance du tribunal judiciaire de Marseille illustre le rôle du juge des libertés et de la détention comme garant de la régularité de la rétention administrative. Le contrôle exercé porte tant sur les conditions légales de prolongation que sur l’effectivité des démarches entreprises par l’administration, assurant ainsi un équilibre entre les impératifs de l’ordre public et la protection de la liberté individuelle.

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Hassan KOHEN
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