Tribunal judiciaire de Marseille, le 19 juin 2025, n°25/01142

Tribunal judiciaire de Marseille, 19 juin 2025. La juridiction statue sur une demande de prolongation de la rétention administrative d’un étranger, sur le fondement des articles L. 742-1 et suivants du CESEDA, modifiés par la loi du 26 janvier 2024. Le retenu a été condamné par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence à une interdiction du territoire de trois ans le 29 janvier 2025, puis placé en rétention le 16 juin 2025. L’autorité préfectorale sollicite une prolongation, tandis que la défense invoque la nullité pour défaut d’interprète lors du placement et de la notification des droits. La juridiction rejette l’exception au motif qu’« aucun grief ne peut donc être tiré de l’absence de recours à un interprète en langue arabe ; que ce moyen sera rejeté », puis accueille la demande de prolongation.

Les faits utiles tiennent à l’enchaînement rapide entre la sortie de détention, le placement en centre de rétention, et la saisine du juge. La défense soutient qu’en l’absence d’assistance linguistique, plusieurs actes seraient irréguliers, ce qui entacherait le maintien. L’administration réplique que le registre du centre fait état d’une compréhension du français et qu’un contradictoire a eu lieu en français, que le retenu a compris. La question est double : l’absence d’interprète affecte-t-elle la validité des actes en l’absence de grief, et les conditions légales de la prolongation sont-elles réunies au regard des diligences, des garanties de représentation et des perspectives d’éloignement.

I. La régularité linguistique et l’exigence de grief

A. La compréhension effective comme critère de régularité
La motivation retient des indices concrets d’appropriation procédurale, notamment la réponse du retenu à un contradictoire en français, l’indication au registre, et la production de justificatifs par l’intermédiaire d’un acteur associatif, « de telle sorte qu’il a pu exercer ses droits ». Cette approche in concreto s’inscrit dans la logique du CESEDA L. 141-2, qui vise l’information dans une langue comprise et la possibilité effective d’agir. Le juge ajoute, sur le fond, que « la personne retenue a été, dans les meilleurs délais suivant la notification de la décision de placement en rétention, pleinement informée de ses droits et placée en état de les faire valoir à compter de son arrivée au lieu de rétention ». La combinaison de ces éléments factuels neutralise l’argument d’une incompréhension systémique.

B. Le principe « pas de nullité sans grief » en matière de rétention
La décision applique explicitement la règle selon laquelle le vice de forme n’entraîne pas la nullité sans démonstration d’un préjudice procédural. En affirmant qu’« aucun grief ne peut donc être tiré de l’absence de recours à un interprète », le juge exige un lien entre le défaut invoqué et l’atteinte aux droits de la défense. La solution est cohérente avec le contrôle de proportionnalité procédurale propre aux mesures privatives de liberté, qui commande de vérifier si l’irrégularité alléguée a empêché l’exercice effectif des droits. Cette méthode évite une automaticité de la sanction tout en rappelant l’exigence d’une information compréhensible, dont la preuve est ici tenue pour suffisante.

II. Les conditions de la prolongation et leur portée

A. Les diligences administratives et la perspective d’éloignement
Le juge relève l’existence d’une perspective concrète d’exécution, notant qu’« un moyen de transport disponible à destination du pays d’origine de la personne intéressée doit être trouvé avant l’expiration du délai de prolongation sollicité ». Cette donnée s’articule avec la preuve de démarches auprès du pays de destination : « La Préfecture justifie de ses diligences en ayant saisi le consulat du Maroc le 16 juin 2025 d’une demande de reconnaissance et de laissez-passer consulaire afin de mettre à exécution la mesure d’éloignement ». La démonstration reste concise, mais elle satisfait l’exigence d’un chemin d’éloignement plausible à brève échéance, condition cardinale d’une rétention prolongée.

B. L’exclusion de l’assignation et l’adaptation au cadre légal de 2024
La juridiction écarte l’alternative de l’assignation à résidence, relevant que le retenu « ne remplit pas les conditions d’une assignation à résidence, n’ayant pas de passeport en original en cours de validité ; qu’il ne justifie pas d’une adresse en France ». Cette appréciation conjugue l’insuffisance de garanties de représentation et des antécédents d’éloignement non exécuté, pour retenir la nécessité d’un maintien. Le dispositif précise enfin une durée conforme au nouveau séquençage légal, « pour une durée maximale de 26 jours commençant quatre-vingt seize heures après la décision de placement en rétention », illustration de l’ajustement opéré par la loi de 2024 qui prolonge la phase initiale tout en conservant une première période plafonnée à trente jours.

La solution offre un équilibre classique entre sécurité juridique et effectivité de l’éloignement. Sur la forme, l’absence de grief emporte le rejet de la nullité, la compréhension étant jugée suffisante. Sur le fond, la combinaison de démarches consulaires actées, d’une perspective logistique identifiée et de garanties défaillantes justifie la prolongation. Le contrôle demeure toutefois pragmatique : il admet des indices prospectifs plutôt qu’une réservation ferme de vol, ce qui peut susciter une vigilance accrue pour éviter que la simple saisine consulaire ne tienne lieu de diligence suffisante en l’absence d’avancées rapides et vérifiables.

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Hassan KOHEN
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