Tribunal judiciaire de Marseille, le 21 juin 2025, n°25/01157

L’ordonnance rendue le 21 juin 2025 par le tribunal judiciaire de Marseille s’inscrit dans le contentieux de la rétention administrative des étrangers en situation irrégulière. Elle illustre les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention peut autoriser une quatrième prolongation de la rétention, au-delà du délai de principe de soixante-seize jours.

Un ressortissant algérien, né le 26 janvier 1976, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral d’expulsion le 15 juillet 2024. À sa levée d’écrou, il a été placé en centre de rétention administrative le 7 avril 2025. Trois prolongations successives ont été ordonnées : la première de vingt-six jours le 11 avril 2025, la deuxième de trente jours le 7 mai 2025, la troisième de quinze jours le 6 juin 2025. Le préfet du Var a saisi le juge le 20 juin 2025 aux fins d’une quatrième prolongation.

L’intéressé contestait la mesure en invoquant une usurpation d’identité. Il affirmait disposer d’une carte de résident, être marié et avoir des enfants sur le territoire français. Il déclarait ne pas envisager de retour en Algérie.

La question posée au juge était de déterminer si les conditions légales d’une quatrième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative étaient réunies, notamment au regard de la menace pour l’ordre public invoquée par l’administration.

Le tribunal judiciaire de Marseille a fait droit à la requête préfectorale. Il a ordonné le maintien en rétention pour une durée maximale de quinze jours supplémentaires, au motif que le comportement de l’intéressé, condamné pour des faits de vol avec violence et violence en réunion, constituait une menace pour l’ordre public justifiant cette prolongation exceptionnelle.

Cette décision mérite examen tant au regard des conditions strictes de la prolongation exceptionnelle fondée sur la menace à l’ordre public (I) que de l’articulation entre la liberté individuelle et les impératifs de l’éloignement des étrangers (II).

I. Le recours à la notion de menace pour l’ordre public comme fondement de la prolongation exceptionnelle

A. Le cadre légal de la quatrième prolongation de rétention

L’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énumère limitativement les hypothèses permettant une prolongation au-delà du délai de soixante-seize jours. Le texte prévoit trois cas liés au comportement de l’étranger ou aux difficultés d’obtention des documents de voyage. Il ajoute que « le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public ».

Cette dernière hypothèse constitue un fondement autonome, distinct des trois premiers cas. Elle permet au juge de prolonger la rétention sans que l’une des circonstances objectivement définies par les alinéas précédents soit caractérisée. Le législateur a ainsi conféré au juge un pouvoir d’appréciation élargi lorsque la sécurité publique est en jeu.

En l’espèce, le tribunal retient expressément ce fondement. L’ordonnance relève que l’intéressé « a été condamné pour des faits de vol avec violence, violence en réunion, vol avec destruction et vol aggravé » et que « son comportement récidivant représente une menace pour l’ordre public ».

B. L’appréciation concrète de la menace à l’ordre public

La caractérisation de la menace pour l’ordre public suppose une analyse individualisée du comportement de l’étranger. Le juge ne peut se contenter d’une référence abstraite aux antécédents judiciaires. Il doit établir que la libération de l’intéressé présenterait un risque actuel et suffisamment grave.

L’ordonnance commentée procède à cette appréciation concrète. Elle relève la nature des infractions commises : des atteintes aux biens aggravées par la violence. Elle souligne le caractère répété de ces faits, qualifié de « comportement récidivant ». Elle note enfin que l’intéressé « n’envisage aucun retour en Algérie », ce qui laisse présager une soustraction à la mesure d’éloignement.

Cette motivation répond aux exigences de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui impose au juge de caractériser en quoi le comportement personnel de l’étranger constitue une menace réelle et actuelle pour l’ordre public.

II. La conciliation entre la privation de liberté et l’effectivité de l’éloignement

A. Les garanties procédurales entourant la prolongation exceptionnelle

Le caractère exceptionnel de la quatrième prolongation se traduit par un encadrement procédural renforcé. L’article L. 742-5 impose que la circonstance justifiant la saisine soit apparue « dans les quinze derniers jours ». Le juge doit statuer dans les quarante-huit heures suivant sa saisine. L’étranger bénéficie de l’assistance d’un avocat et, le cas échéant, d’un interprète.

L’ordonnance atteste du respect de ces garanties. L’intéressé a été assisté d’un avocat commis d’office et d’une interprète en langue arabe, inscrite sur la liste des experts de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. L’audience s’est tenue publiquement dans la salle aménagée à proximité du centre de rétention. La notification des droits a été effectuée conformément aux prescriptions légales.

Ces formalités substantielles conditionnent la régularité de la prolongation. Leur méconnaissance peut entraîner la mainlevée de la rétention, le juge des libertés et de la détention exerçant un contrôle effectif sur les conditions de privation de liberté.

B. La portée de la décision au regard de la durée maximale de rétention

L’article L. 742-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fixe à deux cent dix jours la durée maximale de rétention. Cette limite absolue résulte de la transposition de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dite directive « retour ».

En l’espèce, la quatrième prolongation porte la durée totale de rétention à quatre-vingt-onze jours au 6 juillet 2025. L’administration conserve donc la faculté de solliciter de nouvelles prolongations, sous réserve de justifier à chaque fois des conditions légales et de ne pas excéder le plafond de deux cent dix jours.

Cette décision illustre la tension inhérente au droit de la rétention administrative. D’un côté, la privation de liberté d’une personne qui n’a commis aucune infraction spécifique à son séjour irrégulier heurte les principes fondamentaux. De l’autre, l’effectivité de la politique d’éloignement suppose de pouvoir retenir l’étranger le temps nécessaire à l’organisation matérielle de son départ.

Le juge des libertés et de la détention occupe une position centrale dans cet équilibre. Il doit vérifier que la rétention demeure proportionnée à l’objectif poursuivi et que l’administration accomplit les diligences nécessaires à l’exécution de la mesure d’éloignement. En l’occurrence, l’ordonnance relève que « les documents fournis par la préfecture attestent de la réalisation des démarches pour obtenir les documents de voyage », ce qui exclut tout détournement de la rétention à des fins autres que l’éloignement effectif.

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Hassan KOHEN
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